Bertrand Rollin : « Je crois encore au rêve américain »
Ce Réunionnais de Floride réagit à chaud à l’élection de Joe Biden. Marié à une américaine et père de deux enfants, Bertrand Rollin décrit comment son idéal américain et certains de ses projets ont été mis à mal pendant la présidence Trump.
Pouvez-vous vous présenter ?
Bertrand Rollin, 39 ans. Né à Sainte-Clotilde dans un milieu modeste, je suis passé par les classes préparatoires au lycée du Butor, puis en école d’ingénieur en aéronautique et aérospatiale à Poitiers. J’ai débarqué au Texas en 2005 pour un programme d’échange qui a engendré une thèse à l’Université du Vermont la même année. Je n’ai plus quitté les Etats-Unis depuis. Ma femme et moi sommes enseignant-chercheurs en ingénierie aérospatiale a Embry-Riddle Aeronautical University, à Daytona Beach en Floride. Nous avons deux jeunes enfants Réuniono-Franco-Americains. Nous vivons a Deland, une petite ville très agréable de la côte Centre-Est de la Floride, à peut prêt à mi-chemin entre Orlando et l’Océan Atlantique.
Quelle est l’ambiance autour de vous, alors que les résultats viennent d’être annoncés ?
A la maison, c’est un soulagement partiel et mitigé. Nous sommes heureux que Biden ait été déclaré vainqueur, anxieux de ce que Trump et son administration vont faire avant la passation de pouvoir du 20 janvier 2021, et déçu du nombre impressionnant d’américains qui ont voté pour Trump. Dans le voisinage, tout semble rester calme. Dans le centre-ville de Deland, quelques manifestations de joie se sont formées spontanément, mais il n’y a pas de débordements notables.
Est-ce que vous craignez des troubles dans votre état ?
Le centre de la Floride est très conservateur. Malheureusement, une partie de cet électorat se comporte comme s’il était dans un culte, et peut être un peu agressif de temps à autres. Ajoutez à cela le fait que Trump ne condamne jamais les écarts de ses supporteurs, donc implicitement les encouragent, je m’attends donc à des actes de violence en Floride. Mais je pense que ceux-ci resteront confinés à de petites zones à Orlando, Miami, Jacksonville, Tampa et Tallahassee, la capitale de l’état.
En quoi avez-vous été concerné par cette élection ?
Cette élection était importante pour plusieurs raisons. La première a simplement à voir avec la pandémie de COVID-19. Trump a tourné un problème de santé publique en outil politique. Le nombre d’infectés, de malades et de morts en Floride n’est pas acceptable. Et pourtant, les mesures mises en place par gouverneur, un fidèle allié de Trump, sont quasi-inexistantes. Il est donc important qu’une nouvelle administration prenne les rênes pour essayer de mieux contenir la propagation du virus par des directives fédérales.
- Promenade dominicale dans notre avion
Ensuite, l’administration Trump est toute simplement malfaisante. Entre la politique d’immigration raciste, le traitement inhumain des immigrants d’Amérique centrale et des demandeurs d’asile, la négation du changement climatique, l’érosion des partenariats avec les pays alliés, et le profit éhonté que Trump, sa famille et ses alliés font au dépend de l’argent du gouvernement, la liste des raisons pour le rejet de l’administration Trump est très longue.
Enfin, le support que Trump offre aux groupes racistes et violents d’extrême droite en échange de leur vote a rendu le pays vulnérable au terrorisme domestique et a ouvert la voie à une augmentation de comportements intolérables, de la part de certains citoyens ou même de la police. Le sentiment de sécurité et de prospérité s’est clairement amoindri depuis que Trump a pris le pouvoir.
Quelle principale conséquence aura pour vous la victoire de Joe Biden ?
La conséquence principale sera probablement un niveau de stress réduit au quotidien. Je ne ressentirai plus le besoin d’avoir un plan d’urgence pour le cas où mon statut d’immigration serait révoqué du jour au lendemain. Les Twittes complètement fous, les décisions ou actions aberrantes du gouvernement tous les jours aux infos du soir vont aussi probablement disparaître. Cela va faire du bien à beaucoup d’entre nous. Pour le moyen terme, je pense que l’administration Biden peut créer de nouvelles opportunités économiques. Mais cela va prendre un peu de temps à se mettre en place et dépendra aussi de l’évolution de la pandémie dans le pays.
Comment avez-vous vécu l’épidémie de Covid en 2020 ?
Dans la famille, nous avons pris l’épidémie très au sérieux dès le début, malgré la nonchalance le l’état de Floride. Nous avons pris les choses en main en portant systématiquement le masque, en réduisant nos sorties et contacts avec les autres à l’essentiel. Nous avons été forcés de repousser le lancement de notre projet d’entreprise à l’été prochain. Aussi, nous avons décidé de garder les enfants à la maison pour le moment. Avec une autre famille, nous faisons l’école à la maison, et nous partageons notre temps entre télétravail, et l’éducation des enfants.
En quoi cette épidémie à pu jouer sur les élections ?
Je pense que cette épidémie a tout simplement coûté à Trump la réélection. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le support pour Trump était solide. Je pense que le vote en masse des démocrates seul n’aurait pas suffi. Sa non-gestion de la crise de covid a poussé suffisamment d’indécis et de Républicains qui ne reconnaissaient plus leur parti politique vers Biden.
Plus généralement quels sont les sujets qui ont déterminé cette présidentielle ?
L’économie, la pandémie et les tensions raciales ont animé les débats tout le long de la campagne. Mais l’un des fils directeurs a aussi été la compétence de Trump en tant que président. Le vote est en parti devenu un référendum sur Trump. Si beaucoup de votes ont été en réponse à la gestion désastreuse de la pandémie, il y a aussi eu un grand nombre de votes juste contre Trump.
Qu’est-ce qui a changé au cours des quatre ans de mandat de Donald Trump ?
Comme déjà évoqué, le niveau de stress au quotidien a été plus élevé. Mais aussi, des projets professionnels ont été mis entre parenthèses et notre procédure de naturalisation différée en conséquence indirecte de la stricte politique d’immigration. Nous avons réalisé que beaucoup de Floridiens ont des vues discriminatoires, voire racistes. Nous avons aussi observé que la rhétorique présidentielle a causé beaucoup de divisions chez les gens, que la civilité dans notre communauté en avait souffert. Dans notre cercle d’amis le plus proche, nos différences de point de vue en sont toujours restés à la discussion. Mais nous avons eu vent de gens qui ont coupé court leur relation suite à leur désaccord sur Trump et sa politique.
Que dit la présidence Trump sur l’état actuel des Etats-Unis ?
Sa présidence aura montré qu’il existe toujours un racisme systémique et rampant aux Etats-Unis. Tristement, l’ère Obama a réveillé beaucoup de bas instincts que certains pensaient proches de l‘extinction. Il y aura donc un très gros travail à faire pour que toutes les minorités soit traitées justement et équitablement à l’avenir. Elle aura aussi révélé que les gens en ont assez de la vieille garde politique. Une des principales raisons de l’arrivée de Trump au pouvoir a tout simplement été le rejet de l’établissement politique. Il s’était vendu comme l’antithèse aux politiciens et avait promis à qui voulait bien le croire qu’il allait débarrasser Washington des vieux dinosaures politiques et corrompus. Finalement, sa présidence aura exposé un grand nombre de failles dans le système politique américain. Il semblerait que le système présuppose que le président et sont cabinet suivent les règles de la bienséance politique. Trump et son administration ont constamment abusé ou négligé les règles et, avec le support aveugle du parti républicain, n’ont subi aucune conséquence pour leur dédain d’une gouvernance démocratique.
Existe-t-il encore un « american dream » ? Comment s’est-il concrétisé pour vous ?
J’aime à penser qu’il existe toujours. Mais il est devenu très élusif, et ne ressemble pas du tout à l’idée romantique qu’ont les gens. Le rêve américain inclus au moins une aussi grosse dose de chance que de travail. Pour ma femme et moi, ça a commencé par une thèse. Puis, nous avons saisi les opportunités qui se sont présentées à nous sans plan précis. Après quinze ans d’efforts continus, nous avons tous les deux un emploi relativement stable et bien payé en tant qu’enseignant-chercheurs, dans une université qui a une bonne réputation. Nous avons énormément voyagé aux États-Unis et dans le monde grâce à nos activités de recherche. Et nous pouvons vivre notre passion pour l’aérospatiale avec nos enfants en étant propriétaires de notre petit avion privé et en ne ratant que rarement un lancement de fusée à Cap Canaveral.
Quel lien gardez-vous avec la Réunion ?
Toute ma famille vit à la Réunion. Donc, j’y retourne avec grand plaisir régulièrement. Tous les dimanches, une session de vidéo conférence avec mes parents me permet de garder mon créole à jour et de suivre les grandes nouvelles de la Réunion.