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Biden président : réactions de Réunionnais des Etats-Unis

Publié le 22 janvier 2021

Le « modèle californien » va-t-il s’imposer dans tout le pays ? A Los Angeles et en Floride, Laëtitia, Laura et Bertrand témoignent de l’ambiance au lendemain de l’investiture du nouveau président, et partagent leurs doutes et leurs espoirs pour l’avenir des Etats-Unis.

Avec Laëtitia Mahicka, Laura Bontemps et Bertrand Rollin

Laëtitia, Laura et Bertrand

Identité – Parcours

Laëtitia Mahicka, 37 ans, originaire de Saint-Denis. Je suis actrice et mannequin. J’ai une maîtrise de lettres de La Sorbonne ainsi qu’un diplôme de Mastère Spécialisé d’une Grande Ecole de Commerce (ESCP Paris). J’ai grandi à la Réunion, vécu à Paris, Londres, Munich, Sydney et à Los Angeles depuis trois ans.

Laura Bontemps, 27 ans, originaire du Tampon. J’ai effectué un parcours en Marketing / Événementiel et je vis aujourd’hui à Los Angeles où je travaille sur des événements musicaux. Je suis également artiste à mes heures perdues et viens de sortir mon premier single. Je suis devenue résidente américaine par tirage au sort ! (lire : Émigrer aux Etats-Unis par loterie - mon témoignage)

Bertrand Rollin, 39 ans, originaire de Sainte-Clotilde. Marié à une Américaine et père de deux enfants, je suis enseignant-chercheur en ingénierie aérospatiale à Daytona Beach en Floride.

Laëtitia Mahicka

Quelle est l’ambiance autour de vous au lendemain de l’investiture de Joe Biden ?

Laëtitia : En Californie l’ambiance est électrique dans le bon sens du terme. Les gens sont impatients et plein d’espoir devant cette nouvelle page qui s’ouvre pour les États-Unis.

Laura : Sur la côte Ouest, nous attendions ce moment avec impatience et nous le fêtons à notre façon, loin des points les plus chauds. Dans mon quartier (Koreatown), tout ce que je vois, c’est l’activité de mes proches et autres sur les réseaux sociaux. Même si je ne suis pas citoyenne américaine et que je n’ai pas le droit de vote, cela reste pour moi un événement historique. Il est impossible de fermer les yeux sur ce que Donald Trump a fait pendant quatre ans, difficile de ne rien dire quand on voit ce que ses supporters sont prêts à faire pour le garder sur le trône... A mes yeux, il n’a apporté que du mal au pays et au reste du monde. Je suis donc contente de le voir enfin partir et j’attends, comme beaucoup d’Américains, qu’il se fasse juger pour tout ce qu’il a fait.

Bertrand : En Floride, comme dans l’ensemble du pays, le climat dominant semble être le retour au calme et à une certaine “normale”. La vigilance reste de mise et la sécurité renforcée autour de bâtiments fédéraux dans de nombreux états. En effet, alors que les autorités fédérales continuent leurs enquêtes et arrestations suite à l’assaut du Capitole, des soupçons d’actes de violences à venir des supporteurs de Trump, groupes suprémacistes blancs et autres groupes extrémistes de droite subsistent. Malgré tout, un étrange sentiment d’euphorie légère semble exister. A travers leurs discours, les gens paraissent apaisés et satisfaits par la prise de fonction de Biden.

Laura Bontemps

Y-a-t-il eu des troubles violences dans votre état ?

Laëtitia : Pas près de chez moi, heureusement. La Californie est pro Biden donc ici c’est facile d’avoir l’impression qu’il n’y a personne du côté de Trump. Cela dit, depuis l’assaut du Capitole, les gens sont encore plus prudents et essayent de rester chez eux.

Laura : Tout au long de l’année 2020, oui. Mais pas depuis le début de cette année. Je doute qu’il se passe quoi que ce soit de la part des supporteurs de Trump ici en Californie. Ils sont présents, mais pas assez nombreux pour causer des troubles. On reste tous cependant sur nos gardes, car on ne sait jamais.

Bertrand : A ma grande surprise, il ne s’est presque rien passé en Floride. Il y a eu quelques centaines de manifestants avec leurs drapeaux surdimensionnés aux coins des rues des grandes villes le jour l’assaut du Capitole... et sept acharnés près d’un bâtiment fédéral de la capitale Tallahassee, le dimanche avant l’investiture de Biden.

Bertrand Rollin

Quelles sont les séquelles laissées par l’assaut du Capitole il y a deux semaines ?

Laëtitia : Ça a été un vrai choc, je n’en croyais pas mes yeux. Que cela se passe en 2021 dans un pays démocratique c’est dur à comprendre ! C’était pour beaucoup la preuve ultime de l’inégalité raciale aux États-Unis, car les gens ne pouvaient pas s’empêcher de faire la comparaison avec le traitement des manifestants pendant les manifestations du Black Lives Matter sur le même lieu…

Laura : On attend que tous ces terroristes se fassent juger. Après tout, c’est Donald Trump lui-même qui a tweeté (avant d’être banni) : "J’ai autorisé le Gouvernement Fédéral à arrêter toute personne vandalisant ou détruisant tout monument, statue ou autre propriété fédérale des Etats-Unis avec une peine allant jusqu’à 10 ans en prison", loi qu’il avait fièrement sortie lors des mouvements Black Lives Matters.

Bertrand : Cet assaut sur la Capitole a été un moment inimaginable pour les Américains. C’est l’un des plus grands symboles de leur démocratie qui a été désacralisé. La majorité de la population est furieuse et demande des punitions exemplaires pour les assaillants, Trump, et les politiciens républicains qui l’ont soutenu. L’une des révélations qui fait suite à cet évènement tristement historique, c’est qu’un nombre important d’individus adhérant au suprémacisme blanc ont infiltré la police, l’armée et même la classe politique américaine.

Malgré avoir anticipé le fait que Trump n’accepterait pas sa défaite facilement, je n’aurais jamais imaginé un tel jusqu’au-boutisme. Mon sentiment pendant la transition est passé de l’incrédulité, dans les jours suivant la présidentielle, à l’inquiétude pendant l’assaut du Capitole. Les attaques infondées mais incessantes de Trump et ses associes sur le déroulement des élections, et la complicité implicite du parti républicain étaient absolument répugnante. L’incompétence alliée à l’audace des avocats de Trump était grotesque. Le fanatisme de ses supporters invraisemblable. Avoir vécu ce moment de l’histoire américaine a été une expérience, a posteriori, terrifiante pour moi.


Qu’espérez-vous comme changements du mandat de Joe Biden ?

Laëtitia : J’ai hâte de voir son programme de soutien aux minorités, sa réforme du système judiciaire, et le retour des Etats-Unis dans l’accord de Paris.

Laura : Pour commencer, un vrai plan d’aide face à la pandémie actuelle. En huit mois, nous n’avons reçu que 600 dollars (un loyer moyen à Los Angeles est de 1300 dollars !). D’un point de vue plus général et sur le long terme, on espère un meilleur accès à l’éducation, à la santé et à la retraite... choses qui ne sont accessibles qu’aux riches aujourd’hui.

Bertrand : 24h après son investiture, Joe Biden a déjà effacé, par des dizaines de décrets présidentiels, les lois les plus viles de l’administration Trump : le mur à la frontière avec le Mexique, la politique de séparation des familles d’immigrants, etc. Son équipe de communication a rétabli des règles de transparence envers le public et les journalistes. Un plan d’urgence sanitaire a été mis en place. Je m’attends à une politique de relance économique agressive, avec pour objectif de soutenir la classe moyenne américaine, et une vision à long terme pour le pays, en particulier en ce qui concerne les énergies renouvelables. Enfin, viendra la normalisation des relations avec les alliés historiques.


Il semble que le nouveau président et sa vice-présidente ne jurent que par le « modèle californien », qu’est-ce que cela signifie selon vous ?

Laëtitia : Pour moi le modèle californien est synonyme d’innovation, particulièrement sur le plan énergétique, d’actions contre le réchauffement climatique et sur les lois du travail. Avec une majorité au Congrès et au Sénat, ainsi qu’une Vice Présidente ancienne sénatrice de la Californie, il est très possible que ce modèle s’exporte dans le reste du pays.

Laura : Rien que la diversité dans l’équipe de Joe Biden est un grand pas pour le pays et ressemble à notre modèle californien où tout le monde est accepté comme il est. Malheureusement, la Californie est un état parmi d’autres et peu d’autres états partagent notre façon de vivre et de penser.

Bertrand : Le « modèle californien » est en quelque mots une politique très libérale pour les Américains. Elle est tournée vers des efforts sur la réduction de la pollution, des régulations plus sévères sur les armes, la légalisation de la marijuana, plus de protection sociale « à l’européenne » pour les travailleurs... Les Démocrates sont au pouvoir en Californie depuis plus d’une décennie et sont les instigateurs de cette vision politique. L’administration Biden comptant un nombre important de « Californiens », elle est naturellement inspirée par ce modèle politique et espère pouvoir appliquer ce qui a marché dans tout le pays. Il y a une partie du pays qui aspire à cette vision politique, mais des compromis seront nécessaires.


Selon vous que faudrait-il pour « réunifier » le pays ?

Laëtitia : Il y a beaucoup de colère et de sentiment d’injustice, particulièrement parmi la minorité afro-américaine. Un premier pas vers la « réunification » du pays est de reconnaître l’inégalité raciale et d’y remédier au plus vite : investir d’avantage dans les minorités et combler l’écart avec le reste des Américains.

Laura : Je ne pense pas que cela soit possible malheureusement. Le pays est bien trop divisé. Il suffit de voir tout ce qu’il s’est passé en un an, de la pandémie au meurtre de George Floyd en passant par les élections. Les Etats-Unis sont un pays totalement individualiste où on ne pense qu’à sa propre personne. C’est d’ailleurs pour cela que nous n’avons pas de couverture santé comme en France. On ne peut pas réunifier un pays qui n’a jamais été uni. Heureusement que la Californie est un peu différente de ce côté, sinon je ne vivrais pas ici.

Bertrand : Cette question nécessiterait un livre complet ! Mais je pense qu’un but commun et grandiose pour le pays, comme par exemple le programme spatial de JFK, combiné à un rééquilibrage des classes sociales et de la richesse est la seule solution pour « réunifier » tout le pays… Malheureusement, je ne pense pas que ça soit très réaliste.


Les Etats-Unis sont particulièrement touchés par la crise sanitaire, comment la situation a-t-elle impacté votre vie ?

Laëtitia : J’ai été impactée personnellement, ayant moi-même attrapé le coronavirus. Je connais beaucoup de gens ici qui l’ont eu, c’est malheureusement assez commun à Los Angeles. Du côté professionnel, (je suis mannequin et actrice) mon secteur a été presque complètement à l’arrêt pendant quatre mois. Les opportunités d’emploi ont été très rares, ce qui a été dur. Cependant l’industrie a rebondi en fin d’année et au final j’ai réussi à décrocher de grosses campagnes publicitaires. Ça m’a montré qu’il fallait s’accrocher jusqu’au bout !

Laura : C’est simple : j’ai perdu mon travail, qui était aussi ma passion (travailler sur des concerts et festivals de musique), je n’ai plus de vie sociale, plus de sorties entre amis, plus de sorties cinéma, musées, ou autre. Il est également impossible de voyager en dehors des Etats-Unis. Et on ne voit pas le bout du tunnel…

Bertrand : Ma vie personnelle et professionnelle ont fait l’objet d’une réorganisation profonde. Je suis parmi les chanceux qui peuvent travailler de la maison. Donc, depuis mars dernier, mes cours et ma recherche se font en ligne. Aussi, mes enfants étant encore très jeunes, ma femme et moi avons décidé de faire l’école à la maison, au vu des précautions déplorables prises par les écoles de Floride. Nous sommes donc isolés, mais en relative sécurité par rapport au COVID.


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