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Boris Mouniama Coupan, ingénieur à l’INPI à Paris

Publié le 27 septembre 2021

A 29 ans, ce Saint-Louisien d’une famille modeste retrace son parcours qui l’a mené au poste d’ingénieur examinateur de Brevets à l’Institut National de la Propriété Industrielle. « Je ne serais pas arrivé là si j’avais envisagé la mobilité comme une contrainte et non comme une opportunité. Pendant mes études, j’ai eu le sentiment de travailler pour deux : pour moi, et pour mes proches qui ont consenti à des sacrifices pour me soutenir... »


Pouvez-vous vous présenter ?

Boris Mouniama Coupan, 29 ans, originaire d’une famille modeste de Saint-Louis. Ma mère est garde d’enfant à domicile et mon père technicien, employé communal. Comme beaucoup, j’ai quitté l’île pour poursuivre mes études. Quand on est étudiant, la « mobilité » est souvent plutôt choisie que subie, car on sait d’avance si nos choix d’orientation et les débouchés professionnels vont nous amener à quitter l’île ou pas. Donc on se prépare mentalement à sauter le pas et à vivre cette séparation. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire…

Comment cela s’est-il passé ?

J’ai quitté la Réunion en 2011 après deux années de classe préparatoire à Saint-Denis, pour poursuivre mes études au sein de l’Ecole Nationale Supérieure d’Electricité et de Mécanique (ENSEM). Les moments de doute, la solitude, l’envie de tout abandonner et de retourner à la Réunion ont fait partie de mon expérience de la mobilité. Il faut apprendre à surmonter ces épreuves, prendre sur soi quelques fois, ne pas avoir peur de s’ouvrir aux autres et aux opportunités surtout. Sur le plan purement scolaire, il y a des lacunes à combler en arrivant dans les « grandes écoles » ; il y a aussi un fossé lié au fait que nous n’avons pas exactement les mêmes références culturelles, littéraires, musicales, etc. Enfin, il y a aussi ce sentiment de devoir travailler deux fois plus : une fois pour nous-même, et une fois pour rendre fiers nos parents et nos proches qui ont souvent consenti à des sacrifices pour payer nos années d’étude, les loyers, etc. J’en suis ressorti ingénieur, diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure d’Electricité et de Mécanique (ENSEM). J’ai un double diplôme obtenu en parallèle à l’Université de la Lorraine : un Master en électrotechnique.

Et ensuite ?

Diplômé en 2016, j’ai travaillé trois ans au sein du Groupe Renault-Nissan sur les problématiques liées aux batteries plomb et à la technologie « Stop&Start », au Technocentre de Guyancourt, premier centre de R&D automobile en Europe. Puis j’ai occupé un poste d’Analyste technico-réglementaire au sein du groupe finlandais Kone, leader européen du marché des ascenseurs et des escaliers mécaniques. Je suis actuellement Ingénieur Examinateur Brevets à l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle), administration publique dépendante du Ministère de l’Economie. Je suis en charge de l’examen et de la délivrance des demandes de brevets d’inventions déposées en France par les entreprises françaises et étrangères dans le domaine de l’électrotechnique, notamment les grands groupes industriels français, japonais ou allemands. En France, seul l’INPI a la compétence pour délivrer des brevets d’invention. Nous sommes 130 ingénieurs ayant délégation de signature pour couvrir l’ensemble des domaines techniques, de l’électronique au biomédical.


Quels sont vos projets ?

Je travaille dans un domaine assez spécialisé, la propriété industrielle, à la frontière entre le juridique et la technique. J’ai la chance que l’Institut pour lequel je travaille nous finance un diplôme universitaire au CEIPI (Centre d’Etudes Internationales de la Propriété Industrielle) à Strasbourg ; j’envisage très prochainement de l’intégrer. Ce qui pourrait me convaincre de revenir habiter à la Réunion ? Ma femme dans un premier temps, qui peut être très convaincante quand elle le veut ! Plus sérieusement, aujourd’hui la question ne se pose pas. La fonction que j’occupe n’existe que dans l’Institut dans lequel je travaille.

Que vous a apporté l’expérience de la mobilité ?

Il faut voir la mobilité comme une chance et non une contrainte. Nos grands-parents n’avaient pas toujours l’opportunité d’aller à l’école ; je prends souvent l’exemple de ma grand-mère qui ne sait ni lire, ni écrire, alors que deux générations plus tard l’un de ses petits-fils est cadre au Ministère de l’Economie, à Paris. Les portes des grandes écoles et universités nous sont ouvertes aujourd’hui. Avec l’aide des bourses, beaucoup de travail, d’envie aussi, l’étudiant réunionnais peut accéder à tout ce qui était perçu comme « inaccessible » il y a encore de cela 20-25 ans. Mais l’information ne circule pas toujours…

Qu’entendez-vous par là ?

Il y a un gros travail à mener sur l’orientation des élèves, car à 10 000km de la métropole, on est privé d’énormément d’opportunités : non pas pour des questions de niveau mais souvent parce qu’on ne connait pas l’existence de toutes les formations au moment de choisir notre orientation et un métier. Dans mon cas, étant issu d’un milieu modeste avec des parents n’ayant pas suivi d’études supérieures, rien ne m’avait préparé à faire ce que je fais aujourd’hui. Il y a une part de hasard dans mon parcours qu’avec le recul je ne trouve pas normale, car aucun de mes enseignants ne m’a poussé à faire une école d’ingénieur alors que j’avais 17 de moyenne de la 6ème à la terminale… Je me suis renseigné seul sur les classes préparatoires et mon orientation, comme si un bon étudiant réunionnais devait se contenter d’un BTS ou d’un DUT le plus proche de chez lui. Après, je ne veux pas tomber dans le discours exclusif du « quand on veut, on peut ». On sait très bien que le parcours et la réussite ne se mesurent pas aux brillantes études.

Quels ont été les avantages / inconvénients du fait de venir de la Réunion dans votre parcours ?

Dans la vie quotidienne, il n’y aucun inconvénient au fait de venir de la Réunion, c’est même un atout ! La tolérance, le respect des différentes communautés religieuses m’a toujours permis d’être ouvert aux autres et de m’adapter assez facilement dans les environnements multiculturels. D’ailleurs les autres nous envient souvent notre jeunesse passée entre la mer et la montagne. La Réunion c’est aussi nos repas de famille, nos pique-niques, nos traditions, notre attachement à notre île…

Qu’est-ce qui vous manque de votre île ?

La famille surtout, et tous ces moments simples, anniversaires, repas de famille... qu’on rate et qu’on ne rattrapera plus avec les années qui passent. Les gens qui n’ont pas expérimenté la mobilité peuvent difficilement se rendre compte de ce que ça coûte de partir, de tout quitter. Moi j’ai eu la chance de ramener « dans ma valise » ma petite amie du lycée, qui aujourd’hui est devenu ma femme. Elle me suit encore aujourd’hui !

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de la Réunion ?

Pour rester sur le thème de la « mobilité » chez les jeunes , elle doit être une soutenue si le but est d’acquérir des compétences professionnelles pour pouvoir prétendre à des postes à haute valeur ajoutée sur l’île. Mais on a parfois l’impression qu’elle est un moyen de « délocaliser » le problème du chômage des jeunes en les envoyant chercher du travail ailleurs, plutôt que de réfléchir à comment en créer de manière durable sur place. Il faudrait déjà identifier les postes et les secteurs d’activités pour lesquels aujourd’hui encore on a besoin de ressources humaines venant d’ailleurs, et former des jeunes Réunionnais à ces postes là en priorité.


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