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Cassandre Desramé-Robert, ingénieur qualité dans le Cher

Publié le 6 décembre 2021

Elle « ne pense pas avoir d’avenir » sur une île qu’elle a quitté par défaut. Aujourd’hui responsable QHSE dans une usine qui fabrique des pièces de haute précision pour l’aéronautique, Cassandre gère une équipe de sept personnes. Elle raconte un parcours riche en rebondissements mais qu’elle a tracé sans se retourner.

Lire aussi : Témoigner de son parcours auprès des étudiants - élèves


Pouvez-vous vous présenter ?

Cassandre Desramé-Robert. Je suis née à Saint-Pierre il y a 37 ans, mais j’ai grandi au Port. Mon père travaillait à la SRPP et ma mère était femme au foyer. J’ai grandi dans la ZUP 1 au Port, loin de l’idée d’opulence que beaucoup se font des salaires délivrés par la SRPP. Vivre dans une ZUP m’a surtout donné envie de voir ailleurs et de prouver que vivre dans une cité n’oblige pas à être moins que ceux qui vivent dans une “maison à terre” comme dit ma grand-mère…

Dans quelles conditions avez-vous été amené à quitter l’île ?

Je voulais quitter la Réunion depuis l’âge de 14 ans. J’étais victime de harcèlement scolaire, je n’en pouvais plus de subir les gens de ma classe. La vie chez moi n’était pas mieux donc je n’avais pas vraiment de refuge autre qu’une scolarité réussie et assidue. Aussi, dès que j’ai eu mon bac S au Lycée Jean Hinglo du Port, je suis partie à Bordeaux vivre avec ma soeur aînée. Je voulais être dentiste.

Racontez-nous vos débuts en métropole.

Mes parents ne m’ont pas du tout aidée. Je n’avais ni bourse, ni aide. Le concours de médecine étant extrêmement demandeur d’efforts, je ne pouvais pas en même temps étudier à fond et travailler pour payer mes études... J’ai fait le deuil de l’échec, du métier de dentiste ainsi que de l’abandon familial grâce à mes amis et j’ai préféré me réorienter vers un parcours que je voulais court et un programme Erasmus en Angleterre. C’est par dépit que je me suis retrouvée en licence de chimie moléculaire car je voulais aller à Orléans en génie chimique mais je n’avais pas les moyens de déménager, et ce fut la meilleure expérience humaine de ma vie. Et c’est ainsi que je me suis retrouvée en master en 2006, que j’ai obtenu en 2008 après les deux ans nécessaires grâce aux stages, aux petits boulots et un crédit étudiant que j’ai payé d’un coup à l’obtention de mon premier job.

Avez-vous des anecdotes à partager ?

Comme anecdote qui me fait vraiment rire depuis que je suis abonnée à un fournisseur de séries en streaming. A la fac, j’ai rencontré des personnes dans les mêmes galères que moi, qui m’ont beaucoup apporté et m’ont ouvert les yeux sur le monde et ses multiples perspectives… Je me suis retrouvé à me voir proposer de fabriquer de la cocaïne pour payer mes études, façon « Breaking Bad » avant l’heure (en 2005 !). J’ai refusé mais c’était du sérieux car selon le futur dealer, "j’ai jamais vu quelqu’un fabriquer avec ton rendement”… J’ai été dans des endroits undergound et visité des lieux inimaginables. J’ai beaucoup ri et appris de moi et surtout des autres.

Quel bilan tirez-vous de cette période d’études ?

Si je regarde mes collègues de promotion à la fac, peu étaient dans mon cas : loin de sa famille, seule et sans le sou, avec ce sentiment d’être un étranger dans son propre pays… Je pouvais vraiment sombrer et m’enfermer dans le malheur. Mais grâce à l’entraide qui se noue dans des endroits et des moments où on ne s’y attend pas, j’ai pu faire des stages, apprendre de professionnels aguerris, vivre en Angleterre, en Belgique, travailler pour des grands noms de l’automobile et de l’aéronautique ; et cela sans aide, sans piston, juste avec un CV et un grand paquet de détermination. Au pire, on me disait non et ma situation restait la même. Au mieux, c’était oui et je montais une marche supplémentaire vers mon bonheur. La mobilité m’a montré que mon histoire est unique, aussi bien par les difficultés que les choix que je fais.

Avec son mari Christophe Desramé

Et ensuite ?

Mon premier emploi (auditrice qualité) m’a amené à rentrer à la Réunion mais je l’ai perdu peu après par manque de clients nouveaux. La plupart des entreprises réunionnaises sont leaders de leur marché ; certains dirigeants m’ont carrément répondu qu’ils ne voyaient pas pourquoi ils feraient de la qualité alors que le consommateur n’a nulle part ailleurs où se servir… Cela donne une idée de l’économie.

Qu’avez-vous fait ?

J’ai eu du mal à retrouver quelque chose, j’ai accepté un CDD pour une branche de l’Education Nationale loin de ma formation d’origine mais à 27 ans j’ai dû reprendre mes études en métropole, comme si tout ce que j’avais fait avant n’avait aucune valeur. Ces expériences m’ont appris plusieurs choses :
• Je n’ai aucun avenir à la Réunion en dehors des grands groupes qui recrutent le plus souvent par cooptation.
• L’économie réunionnaise est sclérosée par l’absence de volonté politique de faire évoluer les codes de recrutement. En 2002, lorsque j’ai eu mon bac, il était logique de faire ses études en métropole et c’était bien vu. Mais les jeunes qui font ce sacrifice et qui reviennent sans expérience se retrouvent en bas de tableau du recrutement, ou relégués à des tâches loin de leurs capacités. C’est comme si la Réunion n’avait pas de place pour eux, alors que dans le même temps on voit fleurir des contrats pour des métropolitains à la Réunion ou encore pendant le confinement dans l’Hexagone, le nombre de contrats sortis du chapeau sur l’île (motif impérieux oblige).
• En dehors du fonctionnariat, il est difficile de vivre décemment de son salaire à la Réunion.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Diplômée d’un DUT en mesures physiques, d’une licence en chimie moléculaire, d’un master en qualité management et techniques de contrôles, et d’un mastère spécialisé en management de la qualité, de la sécurité et de l’environnement, obtenus à l’Université Sciences et Technologies de Bordeaux I et à l’école d’Ingénieurs du CESI à Blanquefort, je suis responsable Qualité Hygiène Sécurité Environnement et Amélioration Continue pour le site Celerc du groupe MCSA qui fabrique des pièces de micromécanique de haute précision pour l’aéronautique, la défense et le ferroviaire dans le Cher. Je manage sept personnes en direct, je suis chargée du respect des exigences clients et normatives de mon secteur d’activités. C’est mon métier depuis 12 ans : j’ai même écrit un livre sur le management de l’énergie par l’ISO 50001, aux Editions Universitaires Européennes , disponible sur Amazon.

Quels sont vos projets ?

Dans l’immédiat, je suis comblée. Je suis mariée, je vis dans une région que j’aime beaucoup (la Bourgogne), mes enfants sont heureux et vivent très bien en métropole. Je soutiens les projets de mon époux dans la vie locale... en attendant d’en avoir des plus personnels.

Qu’est-ce qui pourrait vous convaincre de revenir habiter à la Réunion ?

Avoir un concours, ou la retraite... J’ai fait le deuil du retour depuis longtemps, même si la chaleur et le soleil me manquent, surtout vers Noël. Ce qui me manque aussi : l’odeur du letchi, le flamboyant, les eaux bleues de la mer, le bruit des vagues, l’odeur de l’iode, les zones où aller marcher tranquille, les paysages, la nourriture…

Quels objets de la Réunion avez-vous apporté dans vos valises ?

J’étais si persuadée que la Réunion ne me manquerait pas à 18 ans que je n’ai rien emmené… Au final, à chaque fois que je revenais, je ramenais des épices et un petit pot de piment car je suis la seule à en manger. Maintenant avec les enfants, je ramène des fruits, des alcools pour les collègues (à défaut de les faire manger, je les fais boire : toujours avec modération et en dehors des heures de travail !), des vêtements de marques locales parce que j’aime ces créations. J’achète toujours local quand je viens, j’essaie d’aider nos artisans. J’ai aussi découvert un magasin qui vend des produits réunionnais depuis peu dans le Cher, j’y suis quasiment tous les mois pour faire découvrir mes "madeleines" à mes enfants !


Avez-vous des contacts avec des Réunionnais ?

J’ai des contacts avec des Réunionnais, amis de longue date via les réseaux sociaux. Une de mes amies réunionnaises a accouché dernièrement, j’étais super heureuse de lui faire don des vêtements que ne met plus mon dernier né. Cela fait plaisir d’échanger sur nos évolutions personnelles, de discuter de vieux sujets, de partager nos points de vues notamment sur le fameux retour au pays et sur le fait que plus le temps passe, moins nos enfants seront “réunionnais”. Je n’ai jamais fait partie d’associations et je n’ai jamais participé à des événements créoles, mais j’ai la chance d’avoir épousé un Réunionnais qui lui a énormément d’amis réunionnais. Maintenant ce sont aussi mes amis, ce qui comble le manque quand il y en a un.

Quels ont été les avantages / inconvénients du fait de venir de la Réunion dans votre parcours ?

Venir de la Réunion a l’énorme avantage de faire de nous des êtres très tolérants (voire trop surtout au début) et d’avoir toujours l’impression de découvrir. Je ne suis jamais blasée tant au travail que devant un nouveau paysage. Où que je sois et quoi que je fasse, j’ai les yeux qui pétillent, je “rayonne” comme à la Réunion, sourire aux lèvres, gentillesse. J’ai aussi l’humilité du créole et le sens du respect : nou lé pa plus, nou lé pas moins, fo respecte demoun.

...

Par contre, nous avons l’inconvénient de nos qualités : certains nous prennent vraiment pour des imbéciles heureux et abusent de notre bienveillance, souvent par méconnaissance, intolérance ou mépris. D’aucuns diront que c’est du racisme, je dirais surtout que c’est un manque d’ouverture d’esprit du fait de l’absence de nécessité de bouger de son coin pour réussir. Lorsqu’on met 10 000km entre soi et son histoire, on est bien obligé d’en créer une différente et nouvelle qu’on espère plus belle. L’un des “inconvénients” est que tous vos collègues veulent que vous cuisiniez créole et je cuisine mal…

Quelle est l’image de la Réunion là où vous vivez ?

Mes voisins comme mes collègues y voient le paradis, le soleil, et une raison de ne jamais partir s’ils avaient été à ma place ! Beaucoup connaissent des Réunionnais et chacun « vend » son île de la même manière. Car on a tous cette ferveur réunionnaise, cette radiance qui fait qu’on se reconnait quand on se croise dans la rue.

Quel est votre regard sur la région où vous vivez et ses habitants ?

Les Bourguignons sont très accueillants en général. C’est une région mal aimée de ses habitants mais je la trouve paisible et complète, sauf d’un point de vue des soins de santé (désert médical…) Pour moi, on y trouve toutes les activités et les loisirs des grandes villes mais beaucoup moins cher. On ne se bouscule pas dans les rues et l’immobilier est très accessible. Vous pouvez vous acheter une maison bien équipée de 130m² avec 1ha de terrain, sans vendre un rein au marché noir…

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