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Coronavirus en Chine : le jour d’après

Publié le 4 avril 2020

Ingénieur de Saint-Benoît, Jefferson Laderval travaille dans le traitement des déchets hospitaliers à Foshan : « La vie repart à la normale, mais il faut présenter un QR code vert pour se déplacer dans le pays. Je constate les différences de gestion de la crise avec l’occident, beaucoup plus lent à réagir et moins tourné vers la technologie pour trouver des solutions... »


Pouvez-vous vous présenter ?

Jefferson Laderval, j’ai grandi à Saint-Benoit. Après deux ans de classes préparatoires aux grandes écoles, je suis parti à Metz pour poursuivre mes études à l’Ecole Nationale d’Ingénieurs de Metz. Durant mon parcours, j’ai eu l’occasion de faire plusieurs séjours en Chine, dans un premier temps au sein d’un laboratoire de recherche, et ensuite au sein d’une entreprise de contrôle qualité qui m’a permis de contrôler la qualité de production de plusieurs usines en Chine pour le compte de clients européens. Pour terminer mes études, j’ai eu l’opportunité de faire un semestre d’études à la Nanjing University of Aeronautics and Astronautics, réputée en Chine pour son programme en aéronautique. Depuis septembre 2019, j’occupe le poste d’ingénieur en mécanique pour le compte d’un équipementier industriel français. Je suis basé sur le site Chine du groupe à Foshan, dans le sud. Je suis en charge des phases de contrôle des machines de traitement des déchets hospitaliers à risques infectieux que développe et produit l’entreprise.

Quelle est la situation de l’épidémie Coronavirus en Chine ?

La situation revient progressivement à la normale. Les écoles sont toujours fermées mais les entreprises ont tout juste repris. Les lieux tels que les bars, les KTV (karaoké) ont réouverts. Cependant, le virus est encore bien présent dans les esprits et le masque ainsi que les gestes de prévention sont toujours de rigueur. De même, les contrôles de température à l’entrée des lieux publics ainsi que des quartiers sont toujours là.

Les déplacements dans le pays sont-ils possibles ?

Il n’y a plus de confinement à proprement parler, mais les déplacements d’une province à une autre ne sont pas faciles. Il y a des contrôles d’identité sur les péages et il faut pouvoir présenter le fameux code QR mis en place par le gouvernement, qui permet de retracer tous nos déplacements et de savoir si nous avons été dans une zone à haut risque. Toute entrée sur le territoire chinois s’accompagne d’un test de dépistage ainsi que d’une mise en isolation de 14 jours dans un hôtel désigné, et aux frais du voyageur. Le 28 mars, le gouvernement a finalement décidé de fermer ses frontières aux étrangers.


Aujourd’hui, un retour à la normale se profile même si une certaine crainte s’est installée en Chine quant à une deuxième vague de contamination à cause des cas importés de l’étranger. Avec les récentes restrictions et la fermeture du pays aux étrangers, les habitants se montrent moins chaleureux. Par exemple certains restaurants et bars refusent temporairement les étrangers. Dans plusieurs quartiers, il est impossible pour un habitant chinois d’inviter un étranger chez lui. Heureusement, je n’ai pour le moment pas eu à subir cela.

Racontez-nous comment vous avez personnellement traversé cette crise ?

J’ai pris connaissance de cette crise au tout début des congés du Nouvel An chinois. J’avais un voyage initialement prévu à Shanghai, que j’ai finalement annulé par précaution. J’ai eu raison ! Au bout de trois jours j’ai vu que le nombre de cas augmentait rapidement, et les premiers décès étaient annoncés. C’est à ce moment que j’ai commencé à acheter des masques et du gel hydro alcoolique. Quelques jours plus tard, il était devenu difficile de s’en procurer et même les nombreux sites d’achat en ligne étaient en rupture de stock.


Je n’ai pas subi de confinement strict car cela ne concernait que la province du Hubei et la ville de Wuhan. Je suis resté chez moi pendant deux semaines en ne sortant qu’une à deux fois par semaine afin de faire mes courses. Les rues de ma ville étaient très calmes, les gens portaient des masques. Rapidement et sur autorisation gouvernementale, mon entreprise a été autorisée à rouvrir afin de produire des machines de traitement des déchets hospitaliers à risques infectieux pour les hôpitaux de Wuhan. C’est une expérience gratifiante qui m’a permis de contribuer au combat contre l’épidémie du coronavirus en Chine.

Quel est le regard sur la situation en France et en Europe vu de Chine ?

C’est avec tristesse que j’assiste aujourd’hui à l’évolution de l’épidémie en France. La situation semble très grave et nous n’avons pas connu une telle situation en Chine en dehors de la ville de Wuhan. Il est clair que les sociétés chinoise et européenne sont très différentes, cela se remarque à l’occasion de cette crise. Par exemple, mes collègues chinois ont été choqués de voir qu’en Europe le port du masque était non recommandé par les autorités. Un geste qui a semblé tout à fait logique en Chine ne passe pas en Europe ? Nous savons aujourd’hui que les raisons sont essentiellement logistiques et dues au manque d’approvisionnement en masques. On avait un retour d’expérience de la Chine qui avait « de l’avance » sur l’épidemie, pourquoi ne pas l’avoir considéré ? Est-ce le fruit du sentiment de supériorité dont font preuve les pays occidentaux à l’égard de la Chine ?

Pouvez-vous comparer la manière de gérer la crise en Chine et en France ?

Ce qui est frappant, c’est le temps de réponse des autorités. En Chine, on ne perd pas de temps. Dès qu’une solution est envisageable, elle est mise en place. En France, plusieurs semaines se sont écoulées avant la mise en place d’un confinement ou encore la relance de la production de masques. A l’annonce des moyens de contrôle en Chine par le gouvernement central, dès le lendemain ils étaient appliqués dans les lieux publics : contrôles de température, port du masques obligatoire, messages diffusés dans la rue pour sensibiliser. En France, je pense qu’il aurait fallu procéder à un confinement total dès le début dans les zones où il y avait un foyer de contamination, comme dans l’Oise… et rendre obligatoire le port du masque dès qu’on sort de chez soi.


En Chine la stratégie est de stopper l’épidémie, en France la stratégie est plutôt de la ralentir. Je note également une différence dans l’utilisation de la technologie pour faire face à cette épidémie. En Chine rapidement des services en ligne ont été mis en place : des systèmes de détection automatique de la température dans les métros, le suivi des déplacements via un code QR. En France, il fallait imprimer un document pour pouvoir sortir dans la rue…

Est-ce que vous diriez que les Chinois « s’en sont bien tirés » ? Pourquoi ?

Oui, les Chinois s’en sont bien tirés, car cette épidémie est arrivée à un moment défavorable : le début des congés du Nouvel An chinois, qui est souvent considéré comme la période où l’on assiste à la plus grande migration humaine au monde. En effet, la population migre des grandes villes vers les provinces se retrouver en famille. Finalement, de nombreux vols et trains ont rapidement été annulés pour éviter d’aggraver la situation. Cela a certainement joué un rôle majeur dans le ralentissement de cette épidémie. De même il n’y a pas eu la psychose collective que l’on peut voir en Occident. A ma connaissance, il n’y a pas eu de ruée dans les supermarchés en Chine.


Est-ce que vous faîtes une totale confiance au bilan livré par les autorités chinoises ?

Je pense qu’il est très difficile d’avoir des chiffres exacts sur la mortalité. Que ce soit en Chine ou en France, nous avons peu d’informations sur la méthodologie de comptage des décès. Les médias occidentaux s’appuient sur des images de file d’attente de personnes devant des crématoriums pour dire que la Chine a menti sur son bilan, mais il ne faut pas oublier que pendant l’épidémie la vie continuait. Il y avait aussi des décès liés à d’autres choses que le virus. Il est aujourd’hui impossible de savoir à combien se porte le nombre de décès liés au virus en dehors des structures hospitalières, mais il est probable que ce nombre soit beaucoup plus important. Pour moi, le bilan annoncé est à nuancer... ce que ne semblent pas faire les médias occidentaux qui préfèrent se concentrer sur les erreurs de communication du gouvernement chinois par le passé.

Est-ce que vous suivez l’état d’avancement de la situation à la Réunion ?

La situation à la Réunion reflète la situation qu’on connait actuellement en France. L’épidémie est arrivée plus tard mais cela n’a pas servi de leçon. Les contrôles sanitaires et la quatorzaine obligatoire pour les voyageurs à l’arrivée sur l’île ont été mis en place bien trop tard. De même, connaissant notre situation insulaire, il aurait fallu anticiper l’approvisionnement en masques, protections individuelles... D’autant plus que la Région Réunion a des relations privilégiées avec la Chine, premier producteur de masques au monde. L’organisation d’un approvisionnement avec l’appui des compagnies aériennes locales aurait dû être possible.


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