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Christophe Augustin, ingénieur SNCF en région parisienne

Publié le 23 novembre 2021

« Ne pas développer le train à la Réunion, c’est reculer pour mieux sauter. C’est attendre pour désengorger le trafic et préserver les hommes et la nature. L’ingénierie de la SNCF pourrait être associée à ce projet, comme cela avait été le cas il y a une quinzaine d’année avant qu’il ne soit abandonné… » Ingénieur de signalisation ferroviaire, Christophe Augustin raconte son parcours, depuis son départ de Saint-Paul jusqu’aux espoirs qu’il entretient à distance pour la Réunion.
En fin d’article : « Travailler à la SNCF » : témoignage

Lire aussi : Témoigner de son parcours auprès des étudiants - élèves


Pouvez-vous vous présenter ?
 
Christophe Augustin, 40 ans. Originaire de Bois de Nèfles Saint Paul, je suis l’ainé de la fratrie. Ma mère était femme au foyer (elle a arrêté de travailler pour nous élever) et mon père était enseignant dans l’enfance inadapté. Il s’occupait de « développer le champ des possibles » pour ses élèves en difficultés scolaires au travers d’activités manuelles variées telles que de la pyrogravure, l’élaboration de pizzas et de gâteaux vendus aux autres élèves. Ce type d’activités leur donnait confiance en eux, tout en leur apprenant les bases scolaires. J’admirais mon père pour son implication minutieuse et pragmatique de l’apprentissage. Du coup pour mon propre apprentissage, mes connaissances livresques : j’en ai fait mon leitmotiv et cela rythme ma vie tant sur le plan personnel et professionnel.

Dans quelles conditions avez-vous été amené à quitter l’île ?
 
Adolescent, je souhaitais rejoindre l’aviation civile ou Météo France. C’est pourquoi quand l’opportunité s’est présentée, j’ai quitté mon petit caillou pour rejoindre la ville rose : Toulouse, "The Place to Be" pour l’ENAC et Météo-France. J’ai poursuivi mes études universitaires en Licence et Maitrise de Physique Appliquée. J’étais bien entouré, nous fûmes sept camarades à s’installer à Toulouse cette année-là ! La cohésion et le réconfort mutuels ont facilité l’insertion. La force du groupe de créoles à Toulouse, c’est que nous avions maintenu des habitudes prises lors de nos études à l’Université de la Réunion : Bat’ karé, les soirées cuisine/loisir et le pique-nique. D’ailleurs j’ai deux belles anecdotes à ce sujet…


Racontez...

• Un bat’ karé à la veille de la fête de la musique. J’avais abandonné mon repassage, pris juste une serviette et mes papiers pour rejoindre les copains voulant se baigner. Quelle ne fut pas ma surprise quand je me suis aperçu qu’on prenait l’autoroute, direction Narbonne à 1h30 de Toulouse  ! L’eau était à 18°, le temps était gris avec une brise légère. Bref cela a refroidi nos ardeurs ; une véritable douche froide en comparaisons avec nos plages en hiver austral. J’ai lancé l’idée folle de poursuivre le périple pour aller voir les copains réunionnais à Montpellier. Ainsi le bat’ karé s’est prolongé. Nous ne sommes rentré que le lendemain après-midi à Toulouse en emmenant Eryka Vélio, (l’amie montpellieraine qui nous avait hébergé) pour qu’elle découvre la plage narbonnaise et bat’ karé à Toulouse.

...

• Bien-manger est un sacerdoce bien connu dans notre île, aussi j’ai proposé aux autres stagiaires rencontrés à Météo-France de faire un pique-nique sur les berges de la Garonne. J’avais pour l’occasion concocté deux plats : un cari crevette et un porc sauté avec oignons. Je suis arrivé un léger retard, les bras chargés de mes tant’ avec les marmites et la marmite à riz, un peu de piment la pâte, des bouteilles, des jeux et une guitare. Bref tous les accessoires pour un pique-nique typique. Les non-initiés avaient pratiquement fini leur sandwich triangle acheté dans la superette du coin. A peine avais-je découvert les marmites, l’odeur alléchante des caris a réouvert les appétits. Tout a été englouti en un éclair. L’esprit pique-nique créole était sur nous.

 Que vous a apporté l’expérience de la mobilité ?

L’avantage de la mobilité pour quelqu’un de curieux comme moi, c’est d’élargir son champ des possibilités. Je me suis beaucoup épanoui au travers de mes expériences. J’ai pu faire un stage à Météo France au sein du laboratoire de recherche du CNRM. L’expérience était superbe et très enrichissante mais je ne voyais pas y faire carrière finalement. Par la suite, j’ai éprouvé une nouvelle méthode de mesure nanométrique avec SARFUS. L’équipe était très dynamique et être dans un domaine innovant, faire de la recherche et prospecter les entreprises privées c’est très valorisant. Malheureusement il n’y avait pas d’embauche possible.



 
Et ensuite ?

Par la suite, j’ai posé mes valises au Mans pour son école d’ingénieur. C’était un autre décor mais une ambiance tout autant sympathique où j’ai rencontré un autre créole dans ma promo. Après mes études (2006), j’ai atterri à la SNCF où il m’a été vanté tout ce que j’affectionnais : travail d’équipe, domaine technique vaste et en perpétuel innovation, possibilité de changer régulièrement de poste... Il a fallu s’accrocher au début pour se familiariser au large domaine qui s’offrait. J’en apprends chaque jour, tellement le domaine de la signalisation est vaste. Mes missions ont été effectivement et sont tout autant variées et enrichissantes tout au long de mes quatre postes : utilisation de lasergrammétrie ou photogrammétrie via drones pour le relevé topographique des installations de signalisation, participation à la recherche et développement sur l’IoT des futurs postes d’aiguillage, participation aux maquettes techniques des futurs centres de formation SNCF RESEAU, organisation de forum des activités, de séminaire, d’évènement sportif tel que du Rugby Touch au sein de l’ingénierie.

Quel est votre regard sur la région où vous vivez et ses habitants ?
 
Je suis ravi d’habiter à Meaux, c’est une ville très agréable à vivre et emplie d’Histoire. Sa devise, "Fiers de notre histoire", fait écho à ma fierté d’être réunionnais. Les gens sont adorables et il y a une certaine entraide provinciale alors que nous sommes proche de Paris. Ici, on connait la Réunion puisque la navigatrice Maud de Fontenoy en a fait la promotion lors de son tour de l’hémisphère Sud. Il y a ici un charcutier originaire de Saint Pierre qui promeut la Réunion à travers ses produits. Même en balade, à vélo il suffit d’arborer les couleurs de la Réunion pour se faire héler, ou klaxonner par des créoles !


Quels sont vos projets ?

Quand j’ai quitté mon île, c’était pour avoir plus d’espace pour évoluer et je ne suis pas encore au bout de tout ce qu’il y a à voir, explorer. Professionnellement, j’aimerais m’installer en province. La vie en Ile-de-France est loin d’être de tout repos. L’ingénierie SNCF est présente dans plusieurs centres disséminés sur le territoire, elle offre la possibilité d’évoluer et de se reconvertir en interne.

Qu’est-ce qui pourrait vous convaincre de revenir habiter à la Réunion ?
 
Avoir un travail où je puisse avoir plein d’expérience différente et où je saurai avoir une pertinence compte tenu de mon parcours. Je serais ravi qu’un projet tram-train se fasse à la Réunion. Pouvoir œuvrer pour mon île serait une belle fierté. L’ingénierie de la SNCF pourrait y être associée comme cela avait été le cas il y a une quinzaine d’année avant que le projet ne soit abandonné… Je regrette que les pouvoirs publics n’aient pas encore saisi l’occasion de développer le ferroviaire sur l’île. C’est reculer pour mieux sauter après tout ; il y a tout plein de nouveautés depuis pour piloter les lignes ferrées et les derniers trains sont plus écologiques et plus connectés. J’espère donc que le prochain projet phare à la Réunion soit enfin une ligne de train, afin de désengorger le trafic, préserver les hommes et la nature.
 

Le projet de tram-train à la Réunion modélisé avant d’être avorté en 2010 (photo : www.richezassocies.com)

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de la Réunion ?
 
Je suis très fier de ce qui est mis en place en termes de développement durable à la Réunion. J’aime citer à mon entourage professionnel les développements en biotechnologie, les progressions réalisées dans le cadre de l’autonomie énergétique (usine biomasse, les parcs photovoltaïques). Cela donne des idées pour les gares SNCF et l’implantation de nos centres techniques. Au fil de mes retours, je m’aperçois du développement rapide qui s’opère. Je suis toujours surpris par les nouveautés en termes de commerces et d’activités touristiques, les nouvelles habitations qui apparaissent. La Réunion est une région très attractive où il fait bon vivre. Mais attention à ne pas reproduire les erreurs réalisées en métropole : les projets de centres commerciaux sont avortés suite à la crise sanitaire, l’accès en centre-ville est de plus en plus contraint pour les voitures, les dégâts liés aux conditions climatiques et à une urbanisation non contrôlée.

Avez-vous des contacts avec des Réunionnais ?
 
Ici, j’ai des contacts avec les créoles restés comme moi pour le boulot. Le fait de venir de la Réunion nous rapproche et fait que nous nous entraidons. Les sujets de discussions tournent principalement sur l’approvisionnement en produits péi et on se voit dès qu’on peut pour un bon repas. Quand je reviens sur l’île, j’ai plaisir à retrouver mes dalons d’enfance. Je les connais depuis la maternelle pour certains. Il y a une grande complicité et entente entre nous.

Qu’est-ce qui vous manque de votre île ?
 
La famille et les amis bien entendu, mais aussi les gens chaleureux et authentiques, la beauté des paysages… A chaque vacances sur l’île, je redécouvre et contemple son relief, ses montagnes, sa savane, ses cases créoles, ses routes escarpées avec les yeux émerveillés d’un gamin. A force de crapahuter à vélo sur les routes et en VTT dans les forêts de Seine-et-Marne, je me rends aussi compte du formidable terrain de jeu qu’offre la Réunion pour un sportif. Du coup quand je suis à la Réunion, je veux profiter de la nature au maximum soit en me baladant longuement à vélo ou en randonnant.



 
Sur un plan personnel, la situation sanitaire m’a donné l’opportunité de me recentrer un peu plus sur l’essentiel : la famille et le sport. Si j’avais été à la Réunion, je me serais bien lancé sur la Diagonale des Fous comme certains de mes amis d’enfance qui ont su relever avec brio ce beau défi. Pour avaler du dénivelé en région parisienne, rien ne vaut les sorties longues en vélo. Lorsque je suis à la Réunion, je n’hésite plus à prendre un vélo pour parcourir l’île, cela me fait à chaque fois un excellent entrainement. Il faut dire que les conditions météorologiques durant les mois de juillet, août dans l’est de la Réunion ou le dénivelé rencontré (petite montée via la route du volcan) m’ont permis de développer ma résilience et de relativiser la difficulté des parcours hexagonaux VTT ou Gravel !

 
Quels ont été les avantages / inconvénients du fait de venir de la Réunion dans votre parcours ?
 
Un doctorant à l’Université de la Réunion m’avait dit (et je ne le remercierai jamais assez) que j’étais bien plus armé que je ne le pensais pour étudier en métropole. C’est effectivement la réalité : venant de la Réunion, nous avons une grande ouverture d’esprit, une bonne capacité d’adaptation, nous sommes assez souvent débrouillards. Ajouté à cela le bon sens et le pragmatisme inculqués par les gramouns lontan ainsi que mes parents et me voilà paré !
 
Et les inconvénients ?

Ils sont d’ordre financier ou culturel, au départ :
• Difficile d’avoir un logement quand vos cautionnaires vivent à la Réunion. Les propriétaires ne faisaient pas confiance aux iliens. Il fallait généralement tomber sur des gens ayant déjà eu à faire à des Réunionnais, pour que les choses se passent.
• Difficile aussi de discuter avec des gens bourrés de stéréotypes : "si tu viens en métropole, c’est que t’es le fils d’un riche propriétaire terrien et que t’as des domestiques, non ? " ; "t’as été biberonné au rhum, tu dois bien tenir à l’alcool" ; "t’as pas peur pour ta famille avec le cyclone (ou le volcan), votre cabane a dû être détruite », ...
Bref mieux vaut en rire. La situation s’améliore car les mentalités changent malgré les fakes news qui peuvent circuler sur les réseaux sociaux.
 

Autre inconvénient c’est la distance par rapport à la famille restée à la Réunion. Quand on est en métropole et qu’un événement heureux ou tragique survient au sein de la famille, auprès des amis proches, les difficultés géographiques, temporelles et financières se rappellent à nous. On a beau se dire qu’on laisse tout tomber pour venir rapidement mais difficile d’être réactif compte tenu des tarifs de billets pris à la dernière minute, d’expliquer le caractère exceptionnel aux professeurs d’école des enfants, à l’employeur. Arrivé 20 minutes avant la mise en bière de son parent décédé pour un dernier adieu, c’est un moment bouleversant et rageant à la fois.
 
 
Quels objets de la Réunion avez-vous apporté dans vos valises ?
 
Au départ, pratiquement tous mes ustensiles de cuisines : marmite à riz, pilon en bois, coupe éplucheur d’haricots verts, le Grand Livre de la cuisine Réunionnaise (l’une des premières éditions de 1986), mes CD Chanson Lontan de la Réunion, mon kayamb réalisé durant l’enfance lors du centre aéré, et ma collection de livres "C’était Hier" de Daniel Vaxelaire. Durant les autres voyages, j’ai récupéré chez mes parents toutes mes consoles de jeu, mangas, bandes dessinés et jouets : c’est le leg à mes enfants qui s’amusent avec à présent. De mes récents passages dans l’île, mes valises sont toujours remplies de charcuterie péi, de confiseries et de quelques souvenirs atypiques à présenter ou offrir aux amis.


Je ne serais pas arrivé là si je ne vous avais pas croisé, vous tous qui faites partie de ma vie : ma femme, ma famille, mes amis et mon entourage personnel et professionnel. Des fois, il a suffi d’une attention, d’un mot de votre part pour me donner l’élan nécessaire. J’ai une pensée pour toutes les personnes que j’ai côtoyé ou que je côtoie. J’ai coutume de dire à mon entourage ici : "Tiens j’ai pensé à toi, hier ou tout à l’heure …, j’ai vu/lu… ". Quelque part, j’essaie de distiller des informations qui me semblent pertinentes pour eux et qui leur permette d’avancer ou de découvrir des choses nouvelles.


Travailler à la SNCF : témoignage de Christophe Augustin


« Avant tout je casse volontairement le stéréotype qui veux qu’être à la SNCF, c’est être conducteur, guichetier ou contrôleur. Il y a aussi dans cette entreprise quelques milliers de collaborateurs en charge du développement, de la maintenance et de la régénération de l’infrastructure. Ainsi depuis près de 15 ans, j’ai développé des compétences techniques en tant qu’ingénieur signalisation ferroviaire dans la conception et les essais de validation des postes d’aiguillages qui permettent de gérer le trafic ferroviaire.

 

C’est un métier de sécurité, car il faut toujours avoir à l’esprit de faire rouler des trains en se prémunissant de cinq grands risques d’accidents ferroviaires : survitesse, déraillement, obstacle, rattrapage, prise en écharpe. C’est pour respecter les règles de sécurité ferroviaire que les trains au quotidien ralentissent, s’arrêtent en pleine voie et subissent des retards ; la circulation ferroviaire est contrainte par la signalisation.


Photos d’illustration : www.richezassocies.com
Le projet de tram-train à la Réunion modélisé avant d’être avorté en 2010. Il devait relier Saint-Benoît à Saint-Joseph par l’ouest, avec des stations rapprochées dans les villes où le train serait devenu tram. 


Quelques petites notions pour appréhender cette sécurité :
• En cas de freinage d’urgence, un train classique lancé à 120km, sera arrêté en 800m tandis qu’un TGV à 320km s’arrêtera au bout de 3km.
• Il faut systématiquement contrôler l’état de l’aiguille avant qu’un train ne la franchisse. Un écartement de quelques centimètres peut engendrer un déraillement.
• Un changement de direction n’est possible qu’en zone pourvu d’un aiguillage, généralement en zone de gare.


L’éventail technologique des postes de signalisation s’étend sur un siècle. Ainsi se côtoient sur le réseau ferré français des postes à transmission funiculaire du début du XXe siècle, des postes informatiques du début des années 2000 et les futurs postes où les trains sont géolocalisés par satellites et les installations sont de types IoT (Internet des Objets).


En parallèle de missions techniques, j’ai aussi en charge du pilotage de formation professionnelle. Je planifie des plans de montée en compétence technique des jeunes embauchés et les formations de perfectionnement propre au métier de signalisation et liée aux différentes technologies déployées sur le réseau. »


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