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Coronavirus en Angleterre : une Réunionnaise témoigne

Publié le 11 avril 2020

Difficultés d’approvisionnement, aliénation des médias, faiblesses du système de santé… Mélissa Amouny décrit une situation difficile outre-manche, où les mesures anti Covid19 ont été prises tardivement.


Pouvez-vous vous présenter SVP ?

Mélissa Amouny, 26 ans. Je vis à Londres depuis plus de cinq ans*. J’y ai créé une entreprise appelée Maloya Lab, à travers laquelle j’offre des services de recherche et conseil stratégique sur la blockchain et les technologies émergentes, principalement à destination des entreprises, académies et gouvernements. Je collabore actuellement avec un gouvernement africain pour l’aider à élaborer une politique et stratégie nationale sur l’économie numérique et ainsi les guider, au travers de mon expertise dans le domaine, à repositionner l’économie nationale afin de tirer parti des nombreuses opportunités offertes par les technologies numériques.

Quelle est la situation de l’épidémie Coronavirus au Royaume-Uni ?

Notre système de santé, appelé le NHS est actuellement surchargé et subit de fortes tensions. Le Premier Ministre Boris Johnson est actuellement en soin intensif après avoir contracté le virus. Les transports en commun (trains, bus, métros) circulent toujours mais en nombre réduit. Les magasins sont toujours ouverts mais avec beaucoup moins de stock. Le Royal mail (équivalent de La Poste) et les livreurs font un travail incroyable afin de permettre aux personnes de rester chez elles et recevoir les besoins de première nécessité. Je vois aussi de nombreux mouvements de solidarité qui se mettent en place pour aider les moins chanceux, comme notamment la livraison de repas pour les personnes totalement isolées. Les soignants et les travailleurs dans l’industrie agroalimentaire, les transports, etc, bref tous ceux qui font tourner le système ont vraiment beaucoup de courage.


Quelles sont les mesures prises par les autorités pour contrer l’épidémie ?

Quand j’ai compris que le coronavirus était vraiment une menace sérieuse, c’était mi-mars. Je rentrais de voir de la famille en France. Le gouvernement anglais n’avait pas encore pris de mesures fermes. Aujourd’hui, les mesures sont assez similaires à celles en vigueur en France, je suppose. Il nous est demandé de rester chez nous et de privilégier le télétravail. Les sorties doivent se faire rares et uniquement pour faire des courses, aller à la pharmacie ou s’aérer rapidement. En cas de sortie, nous devons garder une distance de deux mètres les uns des autres. Des mesures sont aussi mises en place pour accéder à une aide financière pendant le période de confinement. En ce qui concerne le paiement des loyers ou autres dettes financières, aucune action ne peut être prise par les créanciers pendant cette période.

En quoi sont-elles différentes des mesures prises en France ?

La différence majeure entre la France et l’Angleterre est la force du “lockdown” ou confinement. Ici nous n’avons pas d’armée ou de police dans la rue. Le gouvernement anglais a adopté une approche plus libérale pour gérer la crise et fait appel au bon sens des citoyens pour ne pas sortir. Ils font notamment circuler beaucoup de pubs sur les réseaux sociaux. J’aime ce côté où nous devons réaliser par nous même que pour la sécurité de tous, nous devons rester chez nous. La police n’est pas là pour mettre des amendes comme on peut le voir en France. Je suis libre de sortir mais je prends conscience que pour mon bien et celui des autres… mi doi rest mon kaz !


Quelle est la situation dans votre ville / quartier ?

J’habite dans un quartier composé de nouveaux bâtiments destinés à une classe de personnes actives en couple ou en famille. Dans mon quartier, nous avons une grande surface, et il y a très souvent la queue jusqu’à dehors pour pouvoir accéder au magasin. Il y a beaucoup de pression car moins de stocks dans les magasins et des milliers de personnes à nourrir au kilomètre carré.

Comment êtes-vous personnellement affectée par cette crise ?

Je me suis mentalement préparée à rester “enfermée” jusqu’au mois de juin. Pour info, je vis dans un appartement avec balcon et je n’ai pas accès à la nature. La nature me manque énormément mais je sais que le confinement est une méthode qui fonctionne et qui a fait ses preuves, notamment pendant la crise Ebola au Sierra Leone en 2015. J’en profite pour réfléchir, méditer, lire ces livres que je n’avais jamais eu le temps de lire, faire des choses que j’aime et que je n’avais pas le temps de faire avant, cuisiner et apprécier le moment présent avec ma famille.


Je trouve que le confinement est une bonne opportunité pour se poser et réfléchir. Nous vivons dans un monde fou, qui va à 200 à l’heure, avec une déconnexion quasi totale de la nature et de qui nous sommes vraiment sur cette terre. Je souffrais d’anxiété chronique avant le virus, ce qui a déclenché chez moi une maladie dite auto immune, et a considérablement affaibli mon système immunitaire. Un virus tel que celui-ci est donc une source importante de stress supplémentaire et pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître, je me sens beaucoup plus apaisée et en paix depuis que les pays du monde entier ont ralenti la cadence.

Quelle leçon tirez-vous de ces événements ?

C’est dans ces moments là que nous nous rendons compte de notre forte dépendance aux supermarchés, mais aussi, que l’argent ça ne se mange pas… Car aujourd’hui vous pouvez avoir le compte bancaire bien rempli, cela ne change rien. Si les produits sont en rupture, ils sont en rupture. Les plateformes de livraison de produits frais, notamment fruits & légumes sont surchargées et il est quasi impossible de commander. Cela amène à se questionner sur la société dans laquelle nous vivons : est-ce que c’est vraiment “ça” que nous voulons pour nous et nos enfants ? Je comprends que nous sommes dans une période de crise mais aussi de transition mondiale importante. La façon dont la majorité d’entre nous vivons n’est ni durable, ni saine et je crois que c’est le moment idéal pour repenser nos modes de consommation à l’échelle individuelle et collective.

Est-ce que vous restez connectée ?

Cela fait plusieurs années que j’ai décidé de ne plus regarder les informations. Je n’ai pas de télé et je limite ma présence sur les réseaux sociaux afin de préserver ma santé mentale. De nombreuses études montrent maintenant l’effet néfaste des réseaux sociaux sur la santé. Cela m’a permis de cultiver une plus grande clarté d’esprit et identifier rapidement ce qu’on appelle aujourd’hui les FAKE NEWS ou fausse nouvelles / infox**. La télé, radio et l’internet en sont gorgées. Ce sont des informations mensongère délivrées dans le but de manipuler ou tromper un auditoire.

La famille à la Réunion

Ma mémé, mes oncles et tantes, mes parents ont du mal à concevoir que malheureusement aujourd’hui, la télé, la radio et les réseaux sociaux font plus de mal que de bien et contribuent à maintenir un sentiment constant de peur et d’anxiété chez les gens. C’est la raison pour laquelle je ne consomme plus d’informations et je demande aux personnes autour de moi de ne pas croire tout ce qu’ils voient et entendent. Dans des moments difficiles comme celui-là, la seule valeur sûre que je connaisse c’est la solidarité, la compassion, la gentillesse ainsi que la bienveillance envers les uns, les autres.

Est-ce que vous suivez l’état d’avancement de la situation à la Réunion ?

Je limite ma consommation d’informations car je trouve cela souvent indigeste. Mais mes pensées vont tous les jours à ma famille, bien sur, mais aussi au peuple réunionnais auquel je porte beaucoup d’amour et de bienveillance. J’ai une profonde admiration pour l’authenticité que nous avons encore à la Réunion et que nous devons préserver coûte que coûte malgré le système actuel et notamment la société de consommation. J’espère que cette crise majeure fera réfléchir notre peuple et amènera à un éveil des consciences individuelles et collectives, afin de créer un monde plus humain et authentique.

Cela me rappelle une de mes chansons préférées de Ti Sours - Nou Na Asé (Assise dans la forêt).

Voici les paroles :

“Asiz dan la foré la line i briy bonpé i fé fré
Po réflési in pé si la tèr la rényon koman na fé
Mi wa na pi rèspé pou sak bondyé la fé pou nou té réyoné
Mi wa i préfèr tyé na minm pi in dskisyon koman va rivé
Anon té done la min tousak té la bézwin nout tout lé imin
kinm lé dir po sèrtin nou vé pi tro fotrin mazine po donim
Nout zansèt la soufèr la démavouz la vi lésklavaz la fini
nout granpèr la di anou sa la rényon sa lé po nou té sov ali
Mi di azot
Lèv in kou nout tèt agard in kou nout granpapa
lèv in kou nout tèt dann syèl na pi zétwal lo tan la fine gaté bondyé
Ousa oulé
[...]
Anou marmay péi Lé abityé plant mayi pou nout famy
Travay bonpé la tèr pou soign nout bann zanfan nou té pa pèr
zordi koman nou lé i yinm in ta produi i yinm sak lé simik
Avan dann tan avan té manz tout sak té nana navé pwin maladi
Mi larg té mon santé pou lo pèp réyoné fo rouv lo zyé
Mi vé di azot konma i fo koz nout kozé sa lé anou
Asé mars si la otèr i fo té nou lé fyèr nout kiltir réyoné
Aforstan batay rant nou bana i diviz anou oté nou la pa fou
Mi di azot
Lèv in kou nout tèt agard in kou nout granpapa
lèv in kou nout tèt dann syèl na pi zétwal lo tan la fine gaté bondyé
Ousa oulé”


+ d’infos sur www.linkedin.com/company/maloya-innovation-labs/about/ / Plus de Réunionnais CHEFS D’ENTREPRISE / www.reunionnaisdumonde.com/r/18/Royaume-Uni (286 inscrits)

Lors d’une visite au siège de Google à Londres


* Après avoir passé une bonne partie de mon enfance à la Réunion, je suis allée étudier en France. Diplômée d’un master en management international des entreprises, je me suis envolée pour la grande ile. J’ai commencé à travailler en Angleterre dans l’industrie des nouvelles technologies, notamment les technologies qui viennent démocratiser le système bancaire traditionnel afin de le rendre plus simple, plus accessible, plus transparent. Puis au fil des années, je me suis spécialisée dans une nouvelle technologie appelée “la blockchain”.

La blockchain a un avenir très prometteur notamment en Afrique. Pour faire court, cette nouvelle technologie permet notamment de supprimer les intermédiaires entre les personnes mais aussi pallier un manque d’infrastructure comme en Afrique, tout en redonnant le pouvoir de création aux peuples. Les citoyens vont donc pouvoir se reposer sur la blockchain en tant qu’outil de confiance pour créer des économies locales et autonomes. Pour plus d’informations j’en ai parlé sur le plateau de Cash Eco à la BBC Afrique.

** “Les articles de fausses nouvelles emploient souvent des titres accrocheurs ou des informations entièrement fabriquées en vue d’augmenter le nombre de lecteurs et de partages en ligne.” (source wikipedia).

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