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De St-Louis à New-York : « l’endroit spécial où j’ai grandi »

Publié le 4 mars 2021

Du restaurant familial Lio-Soon-Shun à Columbia University où elle enseigne, Christine Capilouto raconte son parcours. Mariée à un Américain, cette avocate de formation qui conseille notamment des gouvernements étrangers se livre. « J’ai mis longtemps à parler du milieu modeste dans lequel j’ai grandi. Non pas que j’avais honte de mes parents, ils ont travaillé sans répit pour fournir à mes sœurs, mon frère et moi les ressources nécessaires pour poursuivre des études supérieures. Un luxe qui ne leur a pas été donné... »


Christine Lio-Soon-Shun (épouse Capilouto) : L’avion perce les nuages alors qu’il amorce sa descente. A travers le hublot, je vois apparaître les contours familiers de l’île intense, avec ses ravines escarpées et ses rivages scintillants : je suis rentrée à la maison !

Tous les Réunionnais qui sont amenés à quitter La Réunion, que ce soit pour les études, le travail ou autre, connaissent cette sensation de chaleur qui nous submerge après avoir « caillé » dans le froid hivernal ; l’émerveillement que la beauté lumineuse de l’île éveille en nous ; le parfum enivrant des épices qui titille nos narines et nous oblige à nous arrêter chez le Zarab le plus proche pour s’empiffrer de samoussas et de bonbons piments... Je suis heureuse d’être de retour, même si ce n’est que pour les vacances de Noël. En effet, ma vie est maintenant à New York où j’habite depuis plus de douze ans.

Flash back…


Je suis arrivée aux États Unis en 2008, pour faire un Master of Business Administration (MBA). Avant cela, j’ai étudié le droit à Panthéon-Assas et exercé la profession d’avocat dans un cabinet américain à Paris (les écoles de commerce américaines requièrent au moins deux ans d’expérience professionnelle préalable). Après l’obtention de mon MBA en 2010, alors que le marché du travail était au plus bas à la suite de la crise financière de 2008, j’ai eu l’opportunité de travailler dans une startup dans le secteur des énergies renouvelables à New York. Mon désir de rester aux Etats Unis était aussi motivé par le fait que j’étais sur le point d’épouser Michael, un Californien d’origine qui travaille à E&Y à New York. Depuis, nous avons fondé une famille - Tristan a huit ans et Cassis quatre - et j’enseigne notamment à l’Université de Columbia, dont je suis aussi membre du comité d’admission.


Mon parcours mobilité est, à quelques détails près, familier et sans exception. Après le baccalauréat, j’ai quitté mon quartier confortable et rassurant du Pont Neuf à Saint-Louis pour étudier le droit en France métropolitaine. Du jour au lendemain, je me suis retrouvée dans une ville immense et étrangère, confrontée à des normes sociales et culturelles différentes, un choc pour quelqu’un qui avait grandi avec l’idée d’être “française.” La langue par exemple, pourtant a priori commune, était parfois une source d’embarras quand, sans m’en rendre compte, j’utilisais des mots créoles que mes amis zoreils ne comprenaient pas. Les vêtements que j’avais emportés avec moi dans ma valise étaient comiquement inadéquats avec les températures hivernales (il est futile d’accumuler plusieurs couches de paltos à moins que le but soit de ressembler à un Baba Michelin).

Ces déconvenues certes éprouvantes ont cependant été formatrices. Une fois qu’on a affronté la peur de l’inconnu, du ridicule, et du déracinement, peu de choses nous arrêtent. C’est notre “superpower” réunionnais, la capacité à s’adapter et à surmonter les difficultés. Il est vrai que l’expérience mobilité peut aussi parfois être aussi paralysante, voire traumatisante. Pour cette raison, il est important d’avoir des réseaux de soutien réunionnais qui peuvent aider à combattre le dépaysement et à rendre l’intégration plus facile. Pour ma part, la mobilité a été transformative et bénéfique car elle m’a ouvert des portes dont je ne soupçonnais même pas l’existence ! Je n’aurais jamais imaginé un jour conseiller des gouvernements étrangers sur des projets d’importance nationale tels que la construction d’un gazoduc depuis le Turkménistan vers l’Inde, et traversant l’Afghanistan et le Pakistan.

Avec le Ministre des mines et du développement de l’acier, 2019, Abuja, Nigeria

L’isolement géographique de la Réunion peut limiter nos ambitions pour la simple raison que nous n’avons pas accès à ces opportunités. C’est un handicap qui peut néanmoins être surmonté. Dans mon cas, c’est grâce au mentorat que j’ai élargi mes horizons et que j’ai notamment eu l’ambition de poursuivre un MBA dans une Ivy League américaine. Les mentors sont les personnes dans notre parcours académique et professionnel qui sont en mesure de nous faire bénéficier de leur expérience et nous aident dans notre développement. Si je voulais devenir un Jedi par exemple, je demanderais à Yoda de me conseiller pour sûr !

Culturellement, nous Réunionnais sommes cependant réticents à demander de l’aide (par fierté créole ?) ou à se faire valoir pour ne pas faire l’intéressant. Il m’a fallu beaucoup de temps pour surmonter ma réserve et décrire le milieu modeste dans lequel j’ai grandi. Non pas que j’avais honte de mes parents, loin de là. Ils ont travaillé sans répit dans le restaurant chinois familial pour fournir à mes sœurs, mon frère et moi les ressources nécessaires pour poursuivre des études supérieures. C’est un luxe qui ne leur a pas été donné. Je pensais que ces circonstances n’étaient pas pertinentes dans mon développement professionnel, mais j’ai compris depuis que nos origines sont un atout souvent sous-estimé.

Mes passions : le développement durable, les relations internationales, ma famille, l’escalade, la photographie.

Aux États-Unis, il existe beaucoup d’inégalités qui se traduisent par des tensions sociales et raciales qui ont été exacerbées par la pandémie de Covid-19. Le taux de morbidité à la suite du virus est disproportionnellement ressenti chez les populations afro-américaines et latinos. À La Réunion, même si tout n’est pas parfait, il existe une coexistence et une tolérance que je n’ai retrouvées dans aucun pays où j’ai vécu ou que j’ai visité. Alors que le reste du monde essaie de promouvoir la diversité de façon souvent artificielle, pour nous c’est un acquis avec lequel on a grandi et qu’on ne questionne même pas. Je pense que c’est cette fluidité culturelle qui m’a permis de travailler avec des gens d’horizons différents, que ce soit en Asie centrale, en Afrique sub-saharienne, en Caucasie ou en Océanie.

Conseillere du Premier ministre de Georgie Giorgi Kvirikashvili, 2017, Tbilisi

Parce que mon intérêt professionnel est porté sur l’international, il est difficile pour moi d’envisager un retour à La Réunion. La vie insulaire a ses avantages mais aussi ses inconvénients. Cela étant, je suis toujours heureuse de rentrer. J’y ai non seulement ma famille mais aussi mes amis d’enfance. Ils me charrient quand “je fais mon américaine” et moukatent le fait que j’ai perdu mon créole (ils exagèrent bien sûr !). Ce retour aux racines me permet de me ressourcer, et pour mes deux enfants de comprendre l’endroit spécial où j’ai grandi.


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