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Elisabeth Mondon, ingénieure et championne en Jamaïque

Publié le 28 mars 2023

Installée depuis 15 ans à Kingston, cette grande triathlète connue au pays du reggae occupe aujourd’hui un poste d’ingénieure en génie côtier et marin. Son rêve : développer un partenariat entre la Jamaïque et la Réunion pour partager les pratiques sur la protection des côtes, la lutte contre l’érosion et le réensablement des plages.


Pouvez-vous vous présenter ?

Elisabeth Mondon, 43 ans. Je suis du Guillaume du côté de ma mère (famille Paulet), et de la Plaine Bois de Nèfles Saint Paul du côté de mon père. Ma famille a quitté la Réunion lorsque mon père a trouvé un travail en métropole. J’étais à l’école maternelle des Combavas à la Plaine. Quasiment toute ma scolarité s’est donc passée en France. Comme beaucoup de Réunionnais vivant en métropole, nous rentrions régulièrement sur l’île, pour les grandes vacances et à Noël.


J’ai une formation d’ingénieur typique : bac scientifique, math sup, math spé, école d’ingénieur (niveau Bac +5). Diplômée de l’Institut des Sciences de l’Ingénieur de Toulon et du Var en 2003, je suis ingénieure en océanographie de formation, spécialisée en milieu côtier. Je suis employée à Smithwarner international depuis 2007, en qualité d’ingénieure en génie côtier et marin jusque 2019, et manager des opérations depuis janvier 2020.


Dans quelles conditions êtes-vous arrivée en Jamaïque ?

Depuis l’Australie où je vivais, j’ai répondu à une offre d’emploi qui correspondait exactement à ce que je voulais faire, sur un site spécialisé dans les milieux côtier (instrumentation, modélisation numérique, cyclones tropicaux…). Je voulais vivre à la Réunion, mais n’ayant pas trouvé d’emploi, je me suis dit que les Caraïbes feraient office de transition… Je suis arrivée à Kingston en mars 2007, seule avec un bagage de 23kg, sans bijoux et sans maillot (ce qu’on pouvait lire sur la Jamaïque sur Internet n’étais pas très rassurant). Mon entreprise m’avait prêté un appartement dans lequel j’ai logé pendant un moi avant de trouver le mien. J’ai pris le taxi pour aller travailler et faire les courses pendant à peu près trois mois avant de pouvoir me payer une voiture. Et puis je suis restée ; la culture m’a plu, le pays de James Bond m’a plu... et m’y voilà encore 16 ans plus tard !

Avec Usain Bolt à droite

Quel est votre regard sur la région où vous vivez et ses habitants ?

La Jamaïque est un pays pauvre, indépendant depuis 1962 mais très influencé par la culture américaine de part la proximité des Etats-Unis. Les Jamaïquains sont fiers de leur parcours et ceux qui ont accès à une éducation excellent dans leur milieu de prédilection. Le marché du travail est très compétitif, ceux qui réussissent ont l’habitude de travailler très dur. Vu que leurs origines viennent des esclaves ayant survécu, leur fierté s’en ressent encore aujourd’hui. Février, le « Black History Month » est un mois très important pour les Jamaïcains, même si les jeunes d’aujourd’hui perdent le contact avec leur histoire, c’est mon avis…


Qu’est ce qui vous plaît dans votre vie là-bas ?

Les Jamaïcains ont le rythme et le chant dans la peau... Ils ont aussi l’athlétisme dans la peau ! A titre d’exemple, aux championnats d’athlétisme inter-scolaires (l’équivalent de notre UNSS), leurs coureurs de 100m de moins de 16 ans sont dans les 10 secondes, équivalent des meilleurs temps mondiaux ! Professionnellement et sportivement, je ne serais pas arrivée là si je n’avais pas pris la décision de venir en pays inconnu, si je n’avais pas bravé ma peur d’une langue et d’une culture différente dans un pays du tier monde, si ma curiosité m’avait fait défaut et surtout si les Jamaïcains ne m’avaient pas offert l’opportunité de prendre mes marques,... Finalement ce que la Jamaïque m’a offert, la Réunion ne l’a pas fait jusqu’à présent et ce n’est pas par défaut d`avoir essayé...


Quels sont vos projets ?

Sportivement, je voudrais refaire le Grand Raid que j’ai fini une fois en 2009, revenir plus souvent à la Réunion et pourquoi pas construire une maison sur un terrain à la Plaine Saint-Paul sur un terrain qui pourrait me revenir en héritage. Au niveau professionnel (c’est plus une vision qu’un projet), ce serait de développer un partenariat entre la Jamaïque et la Réunion pour partager les pratiques sur la protection des côtes, la lutte contre l’érosion et le ré-ensablement des plages.


Qu’est-ce qui pourrait vous convaincre de revenir habiter à la Réunion ?

Un travail ou un partenariat avec les autorités pour faire valoir mes services sur l’amélioration de la côte et la lutte contre l’érosion. Mon expertise, dans les Caraïbes depuis 2007, et en Australie de 2003 à 2007, pourrait être bénéfique pour la résilience des traits de côtes réunionnais.


Pour vous, quelles sont les ressemblances et les différences entre la Jamaïque et la Réunion ?

Nous partageons une culture « des îles » si on peut dire : convivialité, facilité d’approche, porte d’entrée souvent ouverte... tout est une excuse pour se réunir et partager des bons moments. Ce train de vie est le secret d’une vie sans stress. Mais la Jamaïque est un pays très différent de la Réunion, bien que le climat y soit tropical. Une grande différence pour moi est la culture culinaire. Pas de savoir-faire sur les saucisses fumées, les brèdes ou les rougails pimentés ici (tomate arbustes, citron vert, tomates… miam !). Ils ne connaissent pas le combava. Ils mangent beaucoup de plats fris. Certains plats ressemblent au cabri massalé ou au riz zembrocal mais c’est différent de chez nous. Pour moi rien ne peut se comparer aux goûts et aux odeurs réunionnaises !


Quels objets de la Réunion avez-vous apporté dans vos valises ?

J’ai amené en Jamaïque de la vanille, du graton, du piment, des achards citron et palmiste, de la confiture goyavier, papaye, des combavas (épice numéro un pour moi inexistante en Jamaïque !). J’ai aussi quelques objets d’artisanat : paréo, panier en feuille de palmier à suspendre pour les épices, trier les grains, les lentilles, panier de plage...
 

Qu’est-ce qui vous manque de la Réunion ?

L’accent créole, le savoir-faire, l’humour, la nourriture, les odeurs, la plage, les marches dans les cirques et le volcan, la vue sur la mer… Je garde contacte avec des gens de la Réunion : parents, grands-parents, cousins de premier et second degré, oncles, tantes, amis d’enfance...


Quel est votre regard sur la situation socio-économique de la Réunion ?

Il y a tellement de choses à dire… C’est une île dont l’emploi local a besoin d’être revitalisé. Le chômage des jeunes avoisine les 50% ce qui est énorme, l’île est passée de 300 000 habitants dans les années 60 à presque un million aujourd’hui. Jadis pour des personnes venant d’Europe, il fallait un permis de travail ou un billet retour pour pouvoir rester, aujourd`hui c’est de l’histoire ancienne ; du coup l’île est très convoitée. Je crains que la Réunion perde son savoir-faire et sa culture petit à petit. L’arrivée des fast-foods n’a pas arrangé tout ça...


Que vous a apporté l’expérience de la mobilité ?

Le voyage apporte toujours une ouverture d’esprit sur les différences, cultures et traditions qui nous entourent. C’est une expérience enrichissante qui permet de mûrir rapidement et de réaliser que la « normalité » est juste un mot qu’on emploie pour se sentir chez soi. Par exemple, il est normal en France de faire le réveillon de Noël le 24 décembre ; en Jamaïque et de nombreux pays anglo-saxons, cela n’existe pas. On vous fait des yeux ronds pleins de surprise lorsque vous faites une fête le 24.


Quelle est l’image de la Réunion là où vous vivez ?

Très peu de monde connaît la Réunion ici, c’est une petite île perdue au milieu de l’océan indien. Pour les Jamaïcains qui connaissent, c’est en relation avec le reggae et le surf.


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