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Franck Hoarau : Réunionnais entrepreneur en Martinique

Publié le 3 mai 2022

Nous avions laissé Franck en 20112012, alors vice-président de l’association des étudiants réunionnais de Paris, et co-créateur d’Appreciali. Aujourd’hui installé en Martinique, il s’appuie sur le numérique pour œuvrer et entreprendre à l’échelle ultramarine.


Pouvez-vous vous présenter ?

Franck Hoarau, 32 ans. Je suis originaire du quartier des Camélias à Saint-Denis, et je suis désormais installé dans les Caraïbes, en Martinique. Ingénieur de formation (Ecole des Mines) et entrepreneur par passion, j’affectionne tout ce qui se rapporte à l’esprit et l’action d’entreprendre.

Dans quelles conditions avez-vous été amené à quitter l’île ?

Comme beaucoup de Réunionnais, la case « mobilité » est apparue très tôt comme une étape à laquelle il serait difficile d’échapper. J’aurais aimé, à l’époque, pouvoir me former sur place (comme c’est possible aujourd’hui par exemple avec les formations de l’ESC PAU). Mais je n’ai pas eu le choix, je suis parti, après un BAC S et deux années de prépa scientifique au lycée Lislet-Geoffroy à Saint-Denis. J’ai donc quitté la Réunion à vingt ans et comme pour tous mes « dalons », il s’agissait de mon premier départ. Quitter « papa maman », le cocon familial, devenir indépendant, devoir se débrouiller seul et se retrouver projeté dans la réalité d’un monde nouveau. Tout est différent et se déroule d’une autre manière, les repères changent, les mentalités, le climat, les dimensions et les relations aussi. Vite fé nout ti péi i mank a nou...

Racontez-nous vos débuts à Paris.

Mes premières années de mobilité ont été assez difficiles. Dix ans plus tard, je garde encore le souvenir de ces matins glaciaux, agglutinés dans une rame de métro, à me demander comment j’avais bien pu en arriver là… Ces années à Paris ont d’un côté été celles que j’ai vécu le plus difficilement, mais ce sont aussi celles qui m’ont mis le pied à l’étrier de l’entrepreneuriat. Pour combattre cette impression de décalage permanent, j’ai d’abord commencé avec des projets associatifs. J’ai été très impliqué dans l’association des étudiants réunionnais de Paris et ça me faisait du bien de fournir aux primo-arrivants l’aide que je n’avais pas trouvée à mon arrivée. J’ai connu le site Réunionnais du monde lorsque j’ai intégré l’AERP. Ce site s’est aussitôt révélé être un outil formidable permettant de garder le contact, d’être à jour dans les informations relatives à la mobilité, et de pouvoir relayer les nôtres.

Evénement de l’AERP en 2011

Pour à la fois dénoncer et dédramatiser les clichés et le racisme ordinaire envers les Réunionnais, j’avais lancé avec un ami « Aplanea » (lire ah-plané-ah), un blog qui récoltait, compilait et diffusait des anecdotes vécues en mobilité. L’histoire du pauvre marmaille soupçonné de trafic de drogues à cause d’un sachet de poudre de manioc demeure mon anecdote préférée. Et pour combattre le manque, nous avons lancé en 2015 avec deux amis « Appreciali », une plateforme où des réunionnais cuisinaient entrées, plats et desserts de chez nous, et les proposait à d’autres particuliers. Des Réunionnais en mal du péi, des curieux, ou des touristes qui souhaitent se replonger dans leurs vacances. Ces expériences ont nourri à la fois mon appétit entrepreneurial et la volonté d’œuvrer pour nos territoires.

Et au niveau professionnel ?

Après trois ans dans un boulot et dans une vie qui ne me plaisaient pas, j’ai repris les choses en main. J’ai préparé et réussi le concours pour intégrer l’Ecole des Mines, en 2014. S’en est suivi deux ans de formation très enrichissante, où j’ai beaucoup appris et j’ai pu voyager, notamment grâce à un stage à Washington DC et un projet de fin d’étude à l’île Maurice. Une fois le diplôme en poche, nous sommes venus avec ma compagne nous installer en Martinique, pour y fonder notre famille. C’était il y a six ans.

Avec ma compagne, et mon fils Plage du Diamant

Comment vous sentez-vous en Martinique ?

Je porte un regard bienveillant sur cette île où je me suis senti accueilli. C’est un peu une terre d’adoption pour moi. Même si le quotidien est souvent rendu difficile, j’ai à cœur de garder une image positive de ce territoire. Je peux d’ailleurs citer trois avantages à vivre ici : facilité d’accès à la mer, proximité avec les autres îles de l’archipel, et le coût du billet pour rejoindre Paris est beaucoup moins cher que depuis la Réunion.

Quelle est l’image de la Réunion sur place ?

Mon passage ici m’aide à voir à quel point, du point de vue de l’outremer, la Réunion fait figure d’excellence. Dans plusieurs domaines, à commencer par la qualité des infrastructures, la gestion des politiques publiques (oui oui), le développement durable, la filière numérique... Notre île est souvent citée en exemple. Quand les gens entendent mon nom de famille, on me demande souvent si « Guillaume est mon cousin ». Beaucoup de Martiniquais prennent la balle au bond pour me dire qu’ils sont allés en vacances ou ont eu l’opportunité de travailler à la Réunion, et ils en gardent un super souvenir. Bien sûr, tout n’est pas rose en ce bas monde : régulièrement, on me demande comment j’ai fait pour échapper aux attaques de requin, et on me charrie sur le rhum de chez moi...

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Mes activités tournent essentiellement autour du numérique, avec la vocation d’œuvrer à l’échelle ultramarine. Par exemple, je travaille en partenariat avec une école de commerce, l’ESC PAU Business School : nous proposons depuis 2020 la possibilité aux étudiants des territoires d’outremer de préparer le diplôme de cette grande école sans quitter leur île, grâce à des formations innovantes alliant alternance dans une entreprise locale, et cours à distance sur le web. C’est une belle révolution dans le paysage réunionnais.

Animation atelier entrepreneuriat

J’accompagne également les créateurs d’entreprise à travers « le club des entrepreneurs d’outremer ». C’est un peu le Netflix de la formation pour les entrepreneurs d’outremer, un savant mélange entre inspiration (à travers une série de podcast), formation (e-learning) et réseautage (rencontrer et discuter avec des personnes qui partagent le même état d’esprit). A côté de ça, j’aime beaucoup l’immobilier, faire du sport, les randonnées, aller à la plage, et je suis l’heureux papa d’un petit garçon.

Quels sont vos projets ?

J’ai toujours deux ou trois projets en cours. J’aime quand les choses bougent. Mais les deux dernières années, marquées par le confinement (que tout le monde a connu) et des grosses grèves (en Martinique et Guadeloupe), m’ont amené à aborder les choses différemment et opter pour un meilleur rapport au temps. « Faire moins, mais faire mieux ». Cela a impliqué, ces derniers mois, de mettre fin à certaines activités, qui fonctionnaient, mais qui étaient trop prenantes, en termes de temps ou de charge mentale. Et de créer de nouveaux projets, pensés pour être en alignement avec mes envies, mes ambitions et mes valeurs.


Par exemple ?

Mon projet du « Club des entrepreneurs d’outremer » est la conséquence directe de ce revirement : capitaliser sur mes expériences et mes apprentissages, réfléchir au meilleur canal de distribution, travailler plus intelligemment. Et mettre en avant des entrepreneurs de l’outremer pour valoriser nos territoires. Avec mon ami Clément Marianne, nous avons lancé en janvier 2022 le « Podcast des Entrepreneurs d’Outremer ». Derrière ce projet mûrement réfléchi, il y a beaucoup de travail. Chaque mois, nous sortons un épisode. Nous donnons la parole à un entrepreneur, et il nous raconte son parcours. L’idée, c’est de montrer que l’entrepreneuriat est une réelle opportunité en outremer, de montrer que c’est possible, et donner envie de se lancer. Alors, à la fin de chaque épisode, on propose toujours deux choses aux auditeurs : télécharger un ebook de conseils, offert, et tester l’accompagnement et les formations du club, gratuitement pendant 30 jours.

Avez-vous des contacts avec des Réunionnais ?

J’ai la chance avec mon activité d’animer régulièrement des ateliers et des coachings en ligne avec des entrepreneurs de la Réunion. Plus le temps passe et plus je ressens l’envie de revenir aux sources. Ce projet de « podcast des entrepreneurs d’outremer » est un projet que je mène avec un ami réunionnais de longue date. Ce média me permet via les interviews de reprendre contact avec des amis entrepreneurs, de la Réunion, et d’en découvrir de nouveaux. Cela me plait beaucoup de pouvoir créer du réseau.

L’équipe de l’AERP en 2011-2012

Avec le recul, tirez-vous un bilan positif de votre expérience de la mobilité ?

Même si cette vision des choses est rarement la première qui saute aux yeux, la mobilité n’en demeure pas moins une formidable opportunité d’ouverture sur le monde, d’apprentissage, l’occasion d’acquérir des compétences et des connaissances nouvelles, la chance de mieux se connaître, la possibilité de vivre des expériences uniques, ces choses que l’on n’aurait jamais pu voir, entendre et vivre en restant à la Réunion.

Quels ont été les avantages / inconvénients du fait de venir de la Réunion dans votre parcours ?

Personnellement, être Réunionnais a toujours été un avantage à mes yeux. Ce côté créole m’a permis d’être accepté très vite que ce soit lors de mes immersions à Maurice, dans la communauté afro-américaine de l’ONG où j’étais à Washington, ou encore en Martinique.

Interviewé en tant que vice-président de l’AERP en 2012

Qu’est-ce qui vous manque de votre île ?

Quand j’étais à Paris, tout me manquait : la chaleur, le soleil, la plage, la culture créole, la gastronomie. En Martinique, j’ai eu la chance de retrouver la plupart de ces choses (je trouve même des saucisses fumées !). Mais la Réunion reste la Réunion : ses montagnes et ses randos me manquent, les pique-nique dans les hauts me manquent, la vie de famille aussi. Et je ne parle même pas des samoussas du marché du Chaudron !

Qu’est-ce qui pourrait vous convaincre de revenir habiter à la Réunion ?

D’une manière générale, ce qui m’attire à la Réunion c’est la qualité de la vie, qui se décline en plusieurs aspects importants pour moi : le potentiel et les opportunités professionnelles, le climat, et surtout la vie de famille. Bref, je suis déjà convaincu… reste à savoir c’est pour quand !

Quels objets de la Réunion avez-vous apporté dans vos valises ?

En 2010, quand j’ai quitté la Réunion pour la première fois, j’ai amené un kalou et un pilon et je me demande bien ce qui m’a pris. Je ne les ai plus aujourd’hui. En revanche, j’ai eu l’occasion de repartir à la Réunion depuis que je suis installé en Martinique et lors d’un de ces voyages, j’ai ramassé trois petits cailloux (décidément…) sur le front de mer du Barachois. Ils sont chez moi, et quand je les regarde, je me revois, enfant, regarder l’horizon et me demander ce qu’il peut bien y avoir de l’autre côté. Et maintenant que j’y suis, de « l’autre côté la mer », ces cailloux me rappellent trois choses : que je suis allé loin dans mon parcours, que mon péi me manque, et que j’ai la chance même à des milliers de kilomètres de lancer des projets qui impactent la Réunion, grâce à la magie du numérique.

Souvenirs de l’AERP 2011-2012

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de la Réunion ?

De mon point de vue, je vois une Réunion qui bouge : premier téléphérique des outremers, premier territoire domien à être labellisé French Tech,… En Martinique nous avons également vu l’implantation de la startup réunionnaise ZotCar. C’est inspirant. Ayant eu l’occasion de venir animer une série d’ateliers et de conférences au péi en 2019, j’ai pu constater l’appétence des Réunionnais pour l’entrepreneuriat.


Je ne serai pas arrivé là si…je n’avais pas eu la chance de rencontrer des personnes clefs dans mon parcours qui m’ont aidé, conseillé, inspiré et soutenu. Alors je veux moi aussi, à mon tour, être cette personne qui apporter son aide et sa pierre à l’édifice. Je suis joignable par mail à [email protected]

Liens utiles :
Découvrir le club des entrepreneurs d’outremer : www.lesentrepreneursdoutremer.fr/
Découvrir le podcast des entrepreneurs d’outremer : https://linktr.ee/lesentrepreneursdoutremer
Découvrir les formations de l’ESC PAU à la Réunion : www.alternance-reunion.fr

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