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Ida Techer : souvenirs d’une professionnelle du cinéma

Publié le 1er juin 2023

Arrivée au cinéma un peu par hasard après un stage au Festival de Cannes, elle signe en 2023 « Choeur de Rockers », une comédie avec Mathilde Seigner et Bernard Le Coq co-réalisée avec Luc Bricault. Cette Bénédictine, réalisatrice, scénariste (mais aussi actrice à l’occasion !) partage ses souvenirs et son parcours. Son prochain objectif : développer des projets - série et cinéma - avec la Réunion.


Pouvez-vous vous présenter ?

Ida Techer, je suis scénariste et réalisatrice. J’habite Paris mais j’ai grandi à Saint-Benoit, île de la Réunion, de parents réunionnais. Mon père Paul Techer, était postier.

Racontez-nous votre parcours.

J’étais en première année de littérature et d’anglais à la fac de Saint-Denis lorsque j’ai eu la possibilité de partir étudier en Angleterre. J’y suis restée plus longtemps que prévu ! Puis j’ai poursuivi à Paris, à la Sorbonne, un DEA en Science de l’Information. Après un stage au Festival de Cannes, la direction du festival m’a proposé un poste. Je ne connaissais pas grand chose en cinéma mais le milieu m’intriguait. Et surtout, j’y ai rencontré des gens passionnants qui ont été très bienveillants à mon égard et n’ont jamais jugé mon manque de « culture » cinématographique.

Sur le tournage de « Le masque de fer » où je suis assistante de John Malkovich. Ici avec Leonardo Di Caprio.

Une anecdote : Dans le bureau du Festival, j’ai renseigné un homme mal rasé, massif et très curieux. On a discuté un bon moment. Quelques jours après, j’assistais à la projection de « Underground », son film en compétition. C’était Emir Kusturica. Cela m’est arrivé plusieurs fois, je ne reconnaissais pas les artistes ou les confondais !

Sur le plateau de tournage de « Blueberry » de Jan Kounen plusieurs années plus tard où je doublais l’actrice Juliette Lewis, j’ai confondu Jean-Pierre Jeunet, en visite sur le tournage, avec Pitof… il m’a laissé parler de « Vidoq » en souriant avant de me dire qu’il n’était pas Pitof mais Jeunet !

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Je suis restée quelques années au Festival de Cannes avant de « papillonner » au gré des propositions. J’ai travaillé avec l’acteur John Malkovich, en tant qu’assistante, en presse et aussi en production (Canal et Telema). C’est chez Telema que je rencontre Patrice Chéreau, dont je deviens l’assistante. Nous voyageons beaucoup : tournage de son film "’Intimité" à Londres, Festival de Sundance à New York pour un projet sur Napoléon qui ne se fera jamais, Festival de Berlin... Il est très dur, sans concession, mais je n’ai jamais autant appris. C’est lui le premier qui m’a conseillé d’écrire. Je lui dois beaucoup.

A gauche : sur le tournage de « Camping » où j’ai un petit rôle - A droite : Mon 2ème court « L’instinct d’après » réalisé mon bébé dans les bras !

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Le film « Choeur de Rockers » que j’ai co-réalisé avec Luc Bricault est sorti il y a quelques mois, avec au casting Mathilde Seigner, Bernard Le Coq et Anne Benoit. Il s’inspire de l’histoire vraie de la chorale dunkerquoise Salt and Pepper mais aussi d’un événement personnel. Il y a quelques années, ma mère, vivant à La Réunion, a intégré une chorale alors qu’elle était malade. Subitement, elle a retrouvé son entrain et sa santé, sans que les médecins puissent trouver d’explication. Cette expérience m’a inspiré pour créer cette comédie touchante.

Parlez-nous de l’endroit où vous vivez.

Je vis à Paris, il y a beaucoup d’avantages. On est au centre de tout, on a accès à tout. Mais les inconvénients sont pesants. On en prend conscience lorsqu’on a des enfants : la pollution, le manque d’espace verts, le manque d’empathie des gens, et le rythme infernal. On est toujours en « résistance » pour ne pas devenir un hamster dans la roue. De temps en temps, je m’arrête et je fais le point sur mes priorités. Pas celles des autres. Car c’est une ville qui vous avale, si vous n’y faites pas gaffe. Ca, c’est un avantage de venir de la Réunion : on sait qu’une autre vie est possible, alors stop.

Un rôle dans Monsieur Naphtali - 1999 avec Eli Kakou

Quels sont vos projets ?

J’ai deux projets à la Réunion (une série et un film cinéma) qui me tiennent vraiment à coeur. Pour avoir écrit d‘autres scénarios, je peux affirmer que ces histoires qui racontent la Réunion sont des projets avec lesquels j’ai une sorte d’évidence, avec lesquels je fais « corps ». Si je pouvais travailler à la Réunion, je reviendrais m’y installer, oui. Mes enfants sont encore très jeunes et j’aurais aimé qu’ils vivent cette enfance libre et sauvage ! C’est dans les tuyaux… A suivre.

Quels liens gardez-vous avec la Réunion ?

Dans mes valises, j’ai toujours de la vanille, un panier en vacoa tressé et des chansons créoles. Encore aujourd’hui, j’ai un coquillage que mon père m’avait rapporté d’une séance de plongée lorsque j’étais petite (le seul car nous ne devions pas sortir les coquillages de la mer !). De mon île, il me manque la limpidité de l’eau, de l’air, la nature, les arbres fruitiers, les filaos. Ici, en France, en Corse, partout où je vois des pins, j’ai l’impression d’être chez moi ! Et puis bien sur, la gentillesse des gens. Heureusement j’ai gardé contact avec mes copains du collège, du lycée, mes amis d’enfance. Et depuis que mon film est sorti, j’ai d’autres contacts, dans le milieu culturel.

Avant-première du film Choeur de Rocker au Cinéma UGC Normandie à Paris

Que vous a apporté l’expérience de la mobilité ?

La mobilité m’a surtout apporté une facilité d’adaptation. L’avantage de venir de la Réunion, c’est que j’ai le contact facile. Je n’ai aucun problème pour aborder les gens. Même si ça peut aussi devenir un inconvénient ! En tout cas, je ne serais pas arrivée là si mes parents n’avaient pas eu confiance en moi. Ils m’ont toujours dit que j’avais la capacité de faire ce que je voulais de ma vie. C’était faux : pas tout. Mais ça m’a aidé d’y croire !

Quel regard portez-vous sur la situation à la Réunion ?

C’est compliqué car je n’y vis pas. J’ai l’impression que malgré un taux de chômage important, une frange de la population est très dynamique, se démène pour accomplir des choses. Cependant, les quelques fois où je suis venue en vacances, j’ai eu une impression de stagnation. Je ne sais pas si c’est à cause à ce désir très égoïste de retrouver l’île comme on l’a quittée : celle de mon enfance. Les maisons fleuries gravées dans ma mémoire ont été remplacées par des immeubles peu gracieux, les sentiers sauvages vers les rivières sont désormais balisés, il y a de plus en plus de routes, de voitures, et les embouteillages qui vont avec… Je dirais qu’il y a beaucoup de volonté et d’énergie, mais pas les moyens nécessaires. Ou pas les bons. C’est aussi le cas ici, de toute façon.

Quelle est l’image de la Réunion là où vous vivez ?

Il y a ceux qui ne connaissent pas et la voient comme un paradis : beauté des paysages, chaleur et rhums arrangés… ou une île entretenue par le RSA. Et ceux qui y ont passé des vacances inoubliables et ont trouvé l’île et les Réunionnais authentiques. Ils n’ont pas eu l’impression de faire une « expérience touristique » avec les passages obligés.


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