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Jacques Payet : le maître d’Aïkido partage ses souvenirs

Publié le 29 avril 2021

L’enfant de St-Leu devenu sommité mondiale de son art sort ses mémoires, « Uchideshi - Dans les pas du Maître », éditées pour le moment en japonais, anglais et français. Il a accepté d’en partager quelques extraits avec les lecteurs de Réunionnais du monde.


Jacques Payet décide un jour de partir au Japon à la rencontre d’un maître vu dans un film, pour apprendre l’aïkido à ses côtés. Il réalise ainsi son rêve : devenir disciple direct vivant dans un dojo traditionnel. Dans « Uchideshi - Dans les pas du Maître », l’auteur raconte ses aventures à Tokyo pendant 5 ans et sa vie monastique dans le vieux dojo de Koganei. Une aventure humaine, un défi de tous les jours, physique et mental, un entraînement unique qui le marquera à vie. Jacques Payet, est le fondateur et l’instructeur en chef du Mugenjuku Aikido Yoshinkan Dojo basé à Kyoto, au Japon. Il détient le rang de 8e Dan, Shihan, au sein de l’organisation Aikido Yoshinkan.

L’enfant de Saint-Leu à l’entrée du dojo de Koganei (1983)

Jacques Payet : « Je vous ai choisi deux extraits »

« J’ai grandi dans le petit village de la Chaloupe Saint-leu, sur l’île de la Reunion, au milieu de l’océan indien, et c’est après avoir vu un film de Bruce Lee que je décidai d’apprendre un art martial. Malheureusement, je ne pus trouver un endroit où commencer mon apprentissage, ni quelqu’un pour m’enseigner, donc je décidai de m’entrainer moi-meme pour devenir fort…

Une de mes premières méthodes pour me tester était de m’allonger sur un banc et de demander à ma soeur de m’attacher aussi fermement que possible avec une corde. Je lui demandais alors de revenir le matin pour me détacher de mes liens. Il va sans dire que je regrettai rapidement cette idée. Ma soeur, cependant, était tout heureuse de me laisser ainsi, attaché sur mon banc toute la nuit. Je compris alors tout de suite que devenir fort ne serait pas aussi facile que je le pensais… »

Les débuts au Japon : une vie de corvées et d’entrainements

« Trois mois avant mon départ, j’allai à l’agence de voyages la plus proche pour me renseigner sur un billet d’avion pour Tokyo. Même si l’armée française me considérait comme un candidat approprié, la dame au bureau de voyages me considérait comme étant trop jeune et trop frêle pour risquer un voyage par moi-meme dans un pays étranger aussi éloigné ! 

Cela peut paraître surprenant aujourd’hui , mais la Réunion est un tout petit bout de terre situé à 12000 kilometres du continent européen et, même dans les années 80, beaucoup de ses habitants n’osaient pas s’aventurer plus loin que la France ou l’île Maurice, toute proche. Cette dame n’avait jamais vendu de billet pour le Japon auparavant et elle était très sérieuse quand elle me dit : "Une fois, j’ai vendu un billet pour Hong-Kong à un jeune homme, mais il était bien plus grand que vous et très musclé." J’ai dû revenir avec mes parents pour acheter mon billet alors que j’avais 22 ans ! »


« Uchideshi - Dans les pas du Maître » - La version française est enfin disponible en librairies en France (Édition de l’éveil) et bientôt en outre-mer et au Québec (édition Prologue) et sur https://livre.fnac.com/a15218355/Jacques-Payet-Uchideshi
La page de Jacques Payet : www.facebook.com/PayetShihan

Le dortoir pour les uchi deshi (1983)

Retour sur l’histoire de Jacques Payet

Sommité mondiale dans sa discipline, l’histoire de Jacques Payet ressemble à un scénario de film d’arts martiaux. Cet originaire de Saint-Leu prend un jour l’avion pour le Japon, est accepté comme disciple, et autorisé à vivre dans un dojo contre un entrainement intensif de 6 h par jour et une série de corvées destinées à forger le corps et l`esprit. Quarante ans plus tard, âgé de 64 ans, Jacques vit de son art. Aujourd’hui 8e Dan, il a ouvert plusieurs écoles d’Aikido au Japon et en Californie et entraîne de nombreux disciples.


Extraits de son interview de 2010 : Jacques Payet, maître d’Aikido au Japon et aux Etats-Unis :

Racontez-nous votre parcours.
Je suis né à la Chaloupe St-leu. Ma mère était directrice d`école primaire et mon père agriculteur. Instituteur au Plate St-Leu en 1976, j`avais très peur de la vie facile et prédictible d`enseignant à la Réunion. Je décidais de démissionner après un an pour aller chercher l`aventure en France et continuer mes études à Lyon. J`ai pris avec moi un petit carnet de recettes de cuisine créole que ma mère avait composé à mon intention. J`ai fait un IUT à Lyon en 1977 puis je suis revenu à la Réunion pour l’armée.

Qu’est ce qui vous a poussé à partir pour le Japon ?
Juste après mon service en 1980, j’ai pris un billet d’avion pour Tokyo et je suis parti au Japon. Pendant mon séjour à Lyon, j`avais été impressionné par la démonstration d`un maitre d`art martiaux japonais qui me semblait être un magicien. Je m`étais promis à ce moment là de me rendre au Japon et de voir de mes propres yeux si cela était vraiment le cas…

Les uchi deshi devant le Koganei Dojo (1983)

Racontez-nous vos débuts au pays du soleil levant.
Mon arrivée a été suivie d’une série d`aventures car je ne parlais pas un mot de japonais et très peu d`anglais (qui d`ailleurs était très peu parlé au Japon il y a 30 ans !). Au bout d`un mois de recherche, avec l`aide d`une étudiante en français de l`Université de Tokyo, je trouvais enfin le professeur en question et commençais mon apprentissage de L’Aikido. J`ai eu la chance d`être accepté comme disciple et autorisé à vivre au dojo contre un entrainement intensif de six heures par jour et une série de corvées et taches destinées à forger le corps et l`esprit. Je suis resté cinq ans avant de revenir enseigner l’Aikido en France et en Europe. En 1989, je suis retourné approfondir mes connaissances avant de quitter mon professeur en 1993, juste avant sa mort.

Quel est votre regard sur la région où vous vivez et ses habitants ?
J’ai appris à aimer et même admirer les Japonais pour leur grande modestie, leur ardeur au travail, leur très grand respect des autres, leur sens de l`hospitalité et surtout leur incroyable civisme. Les Français et les Réunionnais ont énormément à apprendre de ce coté là.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes Réunionnais ?
N`acceptez pas la fatalité des RMI/RSA et autres allocations, courrez après vos rêves. Il est beaucoup plus facile de le faire aujourd’hui qu`il y a trente ans !


Extraits de l’interview donnée à Guillaume Erard en janvier 2021

Depuis que j’étais môme, j’ai toujours été attiré par les arts martiaux. Je pense que c’était du à l’influence de Bruce Lee. Mais comme j’étais à la Réunion il n’y avait que quelques pratiquants de judo, et c’était assez loin, et donc c’était pratiquement impossible de trouver un professeur. Quand j’ai quitté la Réunion, j’ai passé peut-être quatre ou cinq ans à Lyon et à ce moment là j’ai commencé tout de suite. J’ai commencé par le kung fu, ensuite j’ai touché un peu le karate Shotokan, et puis j’ai commencé le ju-jutsu.

C’est là qu’un jour j’ai vu une projection de huit millimètres de Shioda Gozo, un petit bonhomme qui, tout en se marrant, projetait des gens beaucoup plus costauds que lui. J’ai dit que ça ressemblait à de la magie et que j’aimerais bien aller voir si c’était vraiment ça. C’est comme ça qu’à 22 ans, sans rien connaître du Japon, sans connaître personne ici, j’ai décidé dans toute ma jeunesse, sur un coup de folie, de venir et rencontrer Shioda Sensei.


Donc j’avais juste le nom. Quand j’étais à Lyon j’avais j’ai fait connaissance avec une étudiante japonaise et on s’était liés d’amitié, quand je suis arrivé, je lui ai appelée, je lui au dit : « Il faut que tu m’aides à trouver ce professeur, il fait du ju-jutsu, il faut le trouver. » C’est elle qui m’a assisté, on a fait pratiquement tous les dojo de Tokyo, et puis finalement on est allé à Omiya voir un dojo d’un koryu, et c’est à ce moment là que le professeur là-bas nous à dit : « Je connais Shioda Sensei, son dojo est à Koganei. » On a cherché dans les pages jaunes du téléphone, on a appelé, et c’est comme ça que j’ai rejoint le dojo.


Guillaume Erard : Vu l’époque déjà, c’était probablement très différent par rapport à aujourd’hui. Comment s’est passée votre arrivée là-bas ?

C’était assez chaotique. J’avais très peu d’économie et donc j’ai mis une annonce. J’étais à l’Université de Tokyo dans le département de littérature française et j’ai mis une annonce en français : « Jeune étudiant voudrait partager logement avec un japonais » et j’ai eu une réponse, deux jours après je crois, mais c’était assez loin, à Saitama. Je partageais l’appartement avec lui. Vers 14h00, je faisais deux heures de route en train, j’allais à Koganei et je m’entraînais aux cours pour débutants de 16h00 à 20h00. Je faisais trois heures et puis je rentrais le soir.


Au bout d’un mois, mes économies étaient parties, et donc, le dernier jour, je suis allé au dojo pour dire que j’étais vraiment désolé mais qu’il fallait que je parte car je n’avais plus de sous. Comme par hasard, sur le parking, il y avait le fils de Shioda Gozo, qui lui, avait l’intention d’aller en Angleterre pour enseigner, donc il cherchait un étranger pour parler avec lui en anglais, donc il était très intéressé de parler avec un Français. Ni l’un ni l’autre ne maîtrisions bien la langue, mais avec quelques mots on arrivait à se comprendre, et donc j’ai expliqué ma situation et il m’a dit : « Ah bah aujourd’hui doit être ton jour de chance parce que mon père est là, donc si tu veux je peux te présenter. » Je lui avais dit que j’étais venu exprès au Japon pour rencontrer son père mais que depuis un mois que j’étais là, je ne l’avais même pas vu, donc que ce serait vraiment dommage d’avoir fait tout ce trajet là et de repartir sans l’avoir vu. Il m’a dit : « OK, pas de problème » et il m’a emmené directement au bureau de Shioda Gozo, et il lui a expliqué.


Au bout d’un moment, Shioda, qui était tout petit, s’est levé, il m’a regardé bien droit dans les yeux et m’a dit : « C’est vrai que tu es venu exprès pour faire de l’aikido et que tu voudrais rester ? » Je lui ai dit « bien sûr », il m’a dit : « Bon bah si tu es courageux, si tu peux te lever tôt le matin, faire toutes les corvées et en plus, si tu peux faire six heures de cours par jour, alors tu es le bienvenu pour rester au dojo, tu n’as rien à payer, ou très peu, juste pour les commodités, l’eau, l’électricité des trucs comme ça. Si ça t’intéresse tu peux rester trois mois, et si je pense que tu le mérites on verra après. » Je tombais des nues, j’ai remercié et j’ai accepté tout de suite. C’est comme ça que tout à coup, ma vie a complètement changé et que j’ai le jour suivant j’ai emménagé dans le dojo.


je suis devenu uchi deshi en 1982-83, et comme il commençait à y avoir plus d’étrangers qui venaient au Japon s’entraîner au dojo, je pense que c’était plus facile que ce soit moi qui m’en occupe. Donc mon rôle c’était d’enseigner aux débutants et surtout aux étrangers et au bout d’un temps, c’étaient les étrangers et les japonais en même temps, donc je me suis occupé des débutants comme ça. J’étais assistant instructeur et puis plus tard, je suis devenu instructeur...


Lire la suite sur : www.guillaumeerard.fr


L’aïkido est un art martial japonais (budo), fondé par Morihei Ueshiba entre 1930 et 1960. Il se compose de techniques avec armes et à mains nues utilisant la force de l’adversaire, ou plutôt son agressivité et sa volonté de nuire. Ces techniques visent non pas à vaincre l’adversaire, mais à réduire sa tentative d’agression à néant. Dans l’esprit de l’aïkido, il n’y a pas de combat, puisque celui-ci se termine au moment même où il commence. Conformément à cette logique, il n’existe pas de compétition d’aïkido.

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