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Jessica Poujois : le retour à la Réunion comme tremplin

Publié le 9 mai 2023

Si rentrer au péi n’est pas toujours synonyme d’avancement de carrière, ce fut le cas pour Jessica, à qui l’entreprise Danone Réunion a donné sa chance en lui proposant, à 25 ans, un poste de Cheffe des ventes après ses études. Mais la Saint-Andréenne est aussi revenue avec des idées… Lauréate du Startup Weekend 2023, elle lance « Karay », une Appli pour faire la guerre aux fast-foods en valorisant la cuisine locale. Explications.


Pouvez-vous vous présenter ?

Jessica Poujois, 30 ans, je suis originaire de Saint-André. Issus d’une famille très modeste, mes parents m’ont toujours poussé à faire de grandes études. La Réunion a un potentiel économique énorme, mais je n’avais bien sûr ni les compétences, ni le recul nécessaire pour y contribuer correctement. J’avais besoin de grandir et de voir le monde, afin de revenir avec des idées et des connaissances plein les poches. "Partir pour mieux revenir", comme dit le dicton…

Qu’avez-vous fait ?

J’ai quitté la Réunion à l’âge de 17 ans après l’obtention de mon baccalauréat : direction Paris et l’IPAG Business School, une école de commerce grade Master basée dans le 16e arrondissement. A l’époque, je bénéficiais de plusieurs aides et bourses départementales qui couvraient la quasi-totalité de mes frais de scolarité. Sans ces aides, je n’aurais pas pu continuer mon cursus dans un établissement privé…


Et ensuite ?

En 2015, diplômée d’un Master 2 en Stratégie commerciale et développement d’affaires, j’entre sur le marché du travail. J’intègre l’entreprise Ferrero sur un poste de commerciale en grande distribution, mais très vite j’ai envie d’évoluer et d’aller plus loin. Fin 2017, je saisis l’opportunité de rentrer à la Réunion en obtenant un poste de Cheffe des ventes chez Danone Réunion (groupe GBH). Un vrai tremplin professionnel alors que j’ai à peine 25 ans ! (Je remercie par ailleurs Damien Giroussens, directeur commercial, qui a su valoriser ma détermination et m’a fait confiance malgré mon jeune âge). 

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rentrer à la Réunion ?

En quittant l’île, j’avais déjà pour objectif de revenir le plus vite possible. J’ai toujours eu à cœur de participer au développement économique de la Réunion, d’une façon ou d’une autre. Même à 10 000 km, je ressentais le besoin de m’entourer de Réunionnais et valoriser mes origines. C’est dans ce sens que j’ai rejoint l’AERP (L’Association des Etudiants Réunionnais de Paris) dont l’objectif était d’accompagner et de rassembler nos étudiants en mobilité. 

L’AERP (L’Association des Etudiants Réunionnais de Paris) - 2011

Racontez-nous votre retour.

Tout s’est fait assez vite, même si le processus de recrutement, en plus d’être à distance, a été long et fastidieux. J’ai repéré une offre chez Danone Réunion et je me suis donné pour objectif de saisir cette opportunité professionnelle. J’ai préparé tous mes entretiens comme si ma vie en dépendait ! Au total, j’ai passé cinq entretiens avant d’obtenir ce poste. Après deux mois de processus, j’ai enfin signé ma promesse d’embauche et j’ai pu préparer mes valises. J’ai à peine eu le temps de fêter mon 25ème anniversaire que j’étais déjà dans l’avion !

Décrivez nous votre état d’esprit à l’atterrissage à Gillot.

En atterrissant à Gillot, j’ai été prise d’une vive émotion. J’étais enfin de retour, pas juste pour des vacances, mais définitivement cette fois-ci. Je me suis sentie reconnaissante et chanceuse d’avoir pu rentrer si vite. J’ai conscience que certains attendent des fois plus de 10 ans avant d’avoir cette opportunité de rentrer au pays. Je n’arrivais pas à m’arrêter de sourire en regardant les montagnes et les cocotiers tout autour de moi. C’était vraiment magique.

Avez-vous eu des difficultés à vous réinstaller ?

La première difficulté que j’ai rencontrée a été de trouver un logement près de mon travail, au Port. Mes parents habitaient à Saint-André et faire la route tous les matins est vite devenu un cauchemar. Malheureusement, tant que je n’avais pas terminé ma période d’essai, impossible de trouver un logement. J’ai dû attendre quatre à cinq mois avant de pouvoir emménager à l’Etang Saint-Paul. En attendant, j’étais hébergée chez ma tante à Saint-Denis...

Le siège de Danone Réunion au Port

En tant que Réunionnaise expatriée de retour sur son île, avez-vous ressenti un « avantage concurrentiel » ?

Je pensais que c’était un mythe, mais le fait d’avoir eu une expérience en Métropole est très valorisé ici. Les professionnels nous accordent plus de crédibilité. Pour ma part, je n’ai pas eu à chercher un emploi en rentrant, mais je pense que c’est un critère apprécié par les différents recruteurs. Cela montre une certaine ouverture d’esprit et une prise de recul. 

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Ces cinq années sur ce poste m’ont permis de me construire tant professionnellement que personnellement. J’ai pu développer de solides compétences commerciales mais aussi un mental à toute épreuve. La grande distribution est connue pour être un secteur rude, mais c’est une très bonne école et je suis fière d’y avoir fait mon parcours.

Quels sont vos projets ?

J’ai pour objectif de mettre en lumière le patrimoine de la Réunion. Dans ce sens, je souhaite faire la guerre aux fast-foods et valoriser la gastronomie locale. C’est dans cette optique que j’ai eu l’idée de développer le projet Karay, une application qui met en relation les particuliers entre eux afin de vendre/acheter des plats locaux 100% faits maison. Elle permettra au consommateur (local ou touriste) de déguster des plats traditionnels et de qualité, et en parallèle, à M. et Mme tout le monde sachant cuisiner, de partager leur savoir-faire et se faire des compléments de revenus. C’est l’économie collaborative qui est valorisée via l’application Karay.

L’Appli Karay, vainqueur du Startup Week-end 2023

Comment a été accueilli ce projet ?

J’ai présenté ce projet lors du Startup Week-end le 28 avril 2023, événement organisé par l’association Web Cup et la French Tech. C’est un concours qui encourage et met en avant l’esprit d’innovation et l’entrepreneuriat. Pendant un weekend, des participants en compétition apprennent à créer une startup avec l’aide de coachs spécialisés. Cette année, le thème était "Tech for Good", avec l’objectif de concevoir des outils de manière responsable et qui servent à l’intérêt général, pour construire une société durable et solidaire… Les résultats ont été au-dessus de mes attentes, car en plus d’avoir séduit le public et le jury, j’ai trouvé une équipe très motivée et nous avons remporté ensemble le 1er Prix ! L’adhésion autour du concept Karay m’a profondément émue. Je vais donc me concentrer pour que ce projet voie le jour très vite. J’ai hâte de me lancer dans cette nouvelle aventure entrepreneuriale. Il y a six mois, l’entreprenariat c’était inconnu pour moi. Et voilà que je suis sur le point de créer ma propre Startup !

Avec le recul, tirez-vous un bilan positif de votre expérience de mobilité ?

Mon expérience de mobilité a été déterminante pour moi et m’a permis de prendre du recul sur ce qui se fait ailleurs : les infrastructures, la technologie, l’économie en général… A la Réunion, nous sommes un peu "coupés du monde". C’est un avantage, car on est plus ou moins préservés, mais c’est aussi un inconvénient car on manque d’ouverture d’esprit, çe qui freine l’évolution de l’économie. Je pense que la Réunion de demain sera en grande partie portée par ceux qui ont traversé l’océan et ont décidé de revenir avec des compétences solides et l’intime volonté de "mettre la Réunion en lér". 

Echange universitaire en Corée du Sud (2013)

Qu’avez-vous trouvé de changé à votre retour à la Réunion ?

Ce qui m’a le plus marqué en rentrant, c’est l’émergence des fast-foods. A partir de 2020 ça s’est complètement accentué, j’avais l’impression d’en voir partout. D’ailleurs, ça a dernièrement fait la Une du JIR : "L’île au Fast Food". Pour moi, c’est un véritable fléau, non seulement pour la santé des Réunionnais mais aussi pour notre culture.

Qu’est ce qui vous surprend le plus par rapport à l’endroit où vous viviez en mobilité ?

La plus grosse différence entre Paris et la Réunion, c’est clairement le rythme. A Paris, tout va vite ! Les gens marchent vite et courent dans le métro, les centre commerciaux, dans les rues… A la Réunion c’est tout le contraire, j’ai l’impression que c’est un état d’esprit. Les modes de consommation sont également différents. Là où à Paris nous allons plus vers des tendances alimentaires plus saines, à la Réunion les fast-foods restent encore très prisés, d’où leur développement j’imagine.

Quels sont les points de satisfaction et de déception de votre retour ?

Ce qui m’a plu en rentrant, c’est les paysages montagneux préservés. Nous avons un patrimoine naturel fantastique à la Réunion qu’on se doit de respecter. J’ai l’impression que les Réunionnais sont conscients de ce privilège et profitent souvent de moments en famille en plein nature ; le dimanche pour le traditionnel pic-nic par exemple ! C’est une tradition que même le Covid n’a pas pu effacer… Voir les espaces verts remplis le dimanche, les familles se retrouver pour déguster de bons plats faits maison, ça fait partie de notre culture locale !

Week-end à Rome...

A contrario, l’élément déplaisant (pour ne pas dire scandaleux), c’est le manque de transports en commun. Il y a vraiment trop de voitures sur l’île, les embouteillages à longueur de journée sont un vrai cauchemar. Je ne comprends pas pourquoi les politiciens ne mettent aucune action en place pour stopper cette hémorragie. Heureusement que nous sommes entourés d’océan, sans quoi nous serions constamment sous un nuage de pollution, c’est certain. 

Quels conseils donneriez-vous aux Réunionnais qui comme vous souhaiteraient rentrer sur l’île ?

La Réunion a besoin de vous ! L’île nous a porté et maintenant il est temps de lui rendre la pareille. Il y a de la place et des opportunités pour tous ceux qui veulent contribuer à l’économie locale, il suffit de se frayer un chemin. 


Pour aller plus loin :
+ de portraits « Spécial Retour »
- Les offres d’emplois à la Réunion

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