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Kamala Tacoun : voir le monde et puis rentrer

Publié le 17 avril 2023

Armée d’une belle expérience internationale, cette Bénédictine revient à 30 ans à la Réunion. Après avoir déchanté sur un premier poste, elle est recrutée par l’Association Saint-François d’Assise en tant que manager transverse. Elle partage son parcours, ses impressions et ses conseils dans cette interview "spécial retour".


Pouvez-vous vous présenter ?

Kamala Tacoun, 34 ans. Je viens de Saint-Benoît où j’ai fait toute ma scolarité. Après une école de commerce en major communication à Montpellier, où j’ai pu m’apercevoir que le business ne me correspondait pas plus que ça, je me suis réorientée dans la gestion de projets culturels. J’occupe aujourd’hui le poste de manager transverse à l’Association Saint-François d’Assise, qui a une douzaine d’établissements et de services sanitaires et médico-sociaux sur le territoire réunionnais, ainsi qu’un Pôle Formation. Rattachée à la Direction Générale, je suis principalement missionnée sur le projet associatif, la communication et les projets transversaux.

Racontez-nous votre parcours.

Après mon bac, à 17 ans, j’avais la bougeotte et je voulais découvrir autre chose ! Je suis donc allée à Montpellier faire une école de commerce. Et oui, Montpellier, comme environ 40% des Réunionnais que je connais, les autres étant à Bordeaux ou Paris pour la plupart… L’école de commerce m’a permis de faire de nombreux voyages, des stages et une année d’études à l’étranger. J’ai ainsi pu découvrir Prague et la République Tchèque, et la Corée du Sud à l’occasion d’un séminaire des Nations Unies sur le management responsable. J’ai aussi passé ma troisième année d’études en Inde, suivie d’un stage à la Fédération indienne des Télécommunications. Je m’y suis pris une belle claque culturelle alors que j’ai des origines… mais ce n’est pas le sujet de l’interview !

Et ensuite ?

J’ai été très heureuse de rentrer en France pour mon Master 2, effectué à Paris. J’ai ensuite enchaîné les contrats courts dans le secteur culturel, notamment au Centre National du Cinéma et au Ministère de la Culture. Les portes de la Culture ne s’ouvrant pas pour moi, je suis revenue à ma passion pour l’international et suis devenue coordinatrice du Club V.I.E, le réseau alumni des V.I.E (plus de 20 000 membres à l’époque !). J’y ai passé deux belles années, à travailler sur pas mal de fuseaux horaires - le Club a des membres dans de nombreux pays - et à organiser des événements d’envergure comme des soirées Carrières ou des Trophées des Talents Internationaux, mais aussi des événements plus confidentiels comme des workshops sur des thèmes précis : négociation salariale au féminin, stratégie militaire appliquée à l’entreprise, etc.


Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rentrer à la Réunion ?

Evidemment, à force de travailler à l’international, j’ai fini par avoir envie de repartir. J’ai alors signé pour un volontariat de solidarité internationale afin de prendre la direction adjointe d’une Alliance Française à Madagascar. Et c’est la que les choses se corsent… Nous sommes en janvier 2020, j’ai déjà lâché mon appart à Paris, démissionné et formé ma remplaçante, et patatras : Covid-19 et confinement en France, fermeture des frontières un peu partout et surtout à Madagascar... Impossible de prendre mon poste de VSI ! Je finis par renoncer et cherche un emploi à la fois en Dordogne, d’où est originaire mon compagnon et où nous avons passé les confinements, et à La Réunion, en me disant que j’irais où je serais prise en premier. C’est La Réunion, en novembre 2020.

Avez-vous préparé votre retour d’une façon spécifique ?

Il ne s’est passé que deux semaines entre mon entretien d’embauche et ma prise de poste ! Les cartons « de surplus » avaient déjà été expédiés à Saint-Benoit en prévision de mon départ à Madagascar, il ne restait donc pas grand-chose à ramener. En plus, j’avais la chance de pouvoir loger chez mes parents à mon retour...

Décrivez nous votre état d’esprit à l’atterrissage à Gillot.

Heureuse ! Dans l’avion, je suis du bon côté et j’ai la vue sur Sindni et les montagnes, j’arrive avec un job en poche, je vais retrouver les bons caris de Momon (je cuisine créole aussi mais ce n’est pas pareil !), il est prévu que mon compagnon me rejoigne bientôt… Tous les signaux sont au vert !

Inde - Corée

Avez-vous eu des difficultés (professionnelles ou autres) à vous réinstaller ?

Oui, j’ai complètement déchanté dans mon premier poste. C’était une belle boîte avec des projets hyper intéressants et une équipe très sympathique, mais un management trop infantilisant pour moi. Je suis habituée à travailler dans l’initiative, la réflexion et l’autonomie, pas dans la simple exécution. Très vite, je me suis rendue compte que je n’allais pas supporter ce management, ni le rythme trop soutenu qui m’obligeait à produire un travail qui ne correspond pas à mes standards de qualité. Alors j’ai démissionné, avant même la fin de ma période d’essai.

Qu’avez-vous fait ?

J’ai un profil assez généraliste, qui fait que je peux occuper de nombreuses fonctions. J’ai donc pu postuler à des offres variées avant de trouver mon poste actuel, où je suis vraiment heureuse de mettre mes compétences au service de la population réunionnaise. Aujourd’hui, je contribue, par mon travail, au mieux-être de nos personnes âgées, handicapées, des enfants malades…

En tant que Réunionnaise de retour sur son île, avez-vous ressenti un « avantage concurrentiel » sur le marché du travail ?

Je pense que les expériences professionnelles accumulées en France et à l’étranger ont en effet pesé dans la balance lors de mes candidatures : elles sont la preuve d’une adaptabilité à des environnements et des projets variés, d’une capacité à prendre en compte les multiples facettes d’un projet, sans se cantonner au « connu ». La curiosité et l’envie de découvrir sont également un plus pour les recruteurs !

Qu’avez-vous trouvé de changé à votre retour à la Réunion ?

Je suis très déçue par l’aggravation du coma circulatoire… Il y a des réseaux de transports en commun fonctionnels partout dans le monde mais pas à La Réunion ? Quid de l’écologie ? A quand un tram ? Je vis à Saint-Benoît et travaille à Saint-Denis : j’ai 1h30 de trajet le matin, 2h en période de campagne sucrière ! Je suis maman d’un petit garçon de 15 mois ; il a une nounou adorable, mais les temps de trajet me privent de passer avec lui du temps de qualité. Heureusement, ma famille se mobilise pour l’accueillir le matin et le déposer chez la nounou. Je tiens à les en remercier car nous quittons notre domicile à 5h45, et ils nous permettent de partir sereins en sachant que notre enfant sera gavé d’amour et de macatia au chocolat, avant d’aller chez sa nounou. Alors oui, je pourrais déménager, mais je suis une fille de la campagne et j’aime bien à la fois être proche de ma famille et avoir mon bout de jardin !


Je ne demande qu’à prendre un bus, mais il n’y en a pas suffisamment et n’offrent pas de gain de temps significatif. On commence à voir apparaître des tronçons dédiés mais nous avons énormément de retard. Maurice, et même Mayotte, auront des transports efficaces avant nous !

Qu’est ce qui vous surprend le plus par rapport à l’endroit où vous viviez en mobilité ?

Je suis surprise par la faiblesse de l’offre en produits bios, locaux, circuits courts. Il y en a bien sûr, mais cela reste des petites quantités, et ces produits ne sont pas accessibles financièrement à tous. Il y a des choses faites en ce sens, mais il faudrait intensifier l’effort et arriver à convaincre la population de la nécessité d’avoir le comportement le plus éco-responsable possible (et ne plus retrouver de déchets plastiques dans les rues par exemple). Cela permettrait également d’écouler les produits de nos agriculteurs.


Je suis également déçue par le manque de souplesse au travail, de façon générale : horaires décalés, nomadisme et télétravail sont ressentis par certains dirigeants comme une invitation à la paresse, alors qu’il a été démontré que la productivité est supérieure à la maison, notamment parce qu’il y a moins d’interruptions de tâches. Encore une fois, avec la situation sur les routes, ce sont des dispositifs éprouvés qu’il faudrait sérieusement songer à généraliser.

Quels sont les points de satisfaction de votre retour ?

J’ai constaté un renouvellement de la classe politique, avec des maires plus jeunes qui donnent de nouvelles impulsions, une meilleure consultation des citoyens pour les projets qui les concernent, de nouvelles offres de loisir et de restauration, la qualité des propositions pour les enfants… Il reste aussi bien sûr les plaisirs tout simples : la vue mer et montagne, le climat, les moments en famille ou entre amis, la plongée masque-tuba… D’ailleurs, j’ai l’impression qu’il y a plus de poissons dans le lagon que quand j’étais petite, sans doute grâce au travail de la Réserve Naturelle Marine ! Et le meilleur pour la fin : l’accès illimité à la nourriture péï , saucisses, boucané, bouchons, samoussas, piment, fruits… Plus besoin d’attendre les colis !

Avec le recul, tirez-vous un bilan positif de votre expérience de mobilité ?

Mes expériences de mobilité m’ont permis de développer une grande capacité d’adaptation, de découvrir de nouvelles cultures, d’accepter les divergences et d’essayer des modes de vie très différents. La balance est très clairement positive, d’autant que j’ai eu la chance de pouvoir rentrer régulièrement, et de quand même profiter de la Réunion de temps en temps. Elles n’ont pas vraiment changé mon regard, je dirais qu’elles l’ont élargi. J’ai pu prendre conscience de beaucoup d’enjeux, notamment sociaux et climatiques, qui peuvent paraître plus lointains quand on est à La Réunion. Je suis par exemple devenue flexitarienne.

Quels conseils donneriez-vous aux Réunionnais qui comme vous souhaiteraient rentrer sur l’île ?

De bien profiter de tout avant leur départ, et d’être conscients des difficultés à venir, notamment en termes de logement et de transport. La Réunion est notre maison, mais quand on est loin on a peut-être tendance à l’idéaliser. Et de profiter de tout quand ils seront arrivés !


Pour aller plus loin :
+ de portraits « Spécial Retour »
- Les offres d’emplois à la Réunion

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