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Lamia Mounavaraly, étudiante militante à Sciences Po Paris

Publié le 6 octobre 2020

Elle sera la représentante française au sommet G(irls)20 en marge du G20 en Arabie Saoudite. A 22 ans, cette jeune dionysienne raconte son parcours, ses luttes et ses combats. Portrait.


Pouvez-vous vous présenter ?

Lamia Mounavaraly, originaire du centre-ville de Saint Denis que j’ai quitté en terminale pour venir poursuivre mes études à Paris. J’ai 22 ans et je suis actuellement en master Economie et Politiques Publiques à Sciences Po Paris, en stage d’économiste à la Banque de France. Un peu perdue en quittant l’île, j’ai effectué un double-cursus en sciences sociales et biologie (un combo pas très commun !) et j’ai eu l’opportunité de passer un an en Asie du Sud-Est entre Singapour et la Malaisie. Je suis engagée dans la lutte pour le droit des femmes, débutée au Lycée Bellepierre grâce à ma professeure d’histoire notamment sur le sujet des violences domestiques, et poursuivie à Paris et à Singapour, au sein de mon école et en dehors.

C’est ce qui a motivé votre participation au « G(irls)20 » ?

Pour pallier au manque de représentativité des outre-mer, je me suis présentée au Sommet G(irls)20 cette année, qui rassemble 27 déléguées : une jeune femme entre 18 et 23 ans issue de chaque pays membre du G20, mais aussi de pays observateurs (Afghanistan par exemple), d’organisations telle que l’Union Africaine ou encore une représentante des populations indigènes. Ensemble, nous rédigeons un communiqué sur deux des thèmes qui seront discutés au G20 : « Building inclusitivity in the public and private sector » et « Economic participation through Digitalization and Entrepreneurship ».


Le but est d’identifier les principales barrières pour les jeunes femmes sur ces deux sujets, et de proposer une série de recommandations communes qui seront remises aux organisateurs du G20 en Arabie Saoudite. Ce communiqué sera aussi présenté ici en France aux associations et à toute organisation souhaitant le réutiliser ! Cette rédaction est assez périlleuse, il faut que le communiqué puisse résonner dans chaque pays, du Pakistan à la France en passant par l’Argentine. En plus de cela, nous sommes chacune venues avec un projet à mettre en place dans nos territoires. Le mien porte évidemment sur les outre-mer et notamment l’orientation des jeunes filles et la mise en lumière de femmes ultramarines qui me tient particulièrement à coeur. Nous serons coachées pour pouvoir monter ce projet pendant un an. Hâte de pouvoir en dire plus prochainement !

Que ressentez-vous à l’approche du sommet ?

Je suis très honorée d’être la déléguée française, d’autant que c’est la première fois qu’il s’agit d’une représentante ultramarine. Les autres déléguées n’avaient jamais entendu parler jusqu’alors de La Réunion. Le Sommet aura lieu le 24 octobre en ligne et sera accessible à tous, n’hésitez pas à vous inscrire pour suivre nos discussions et les ateliers, directement sur le site de G(irls)20.

Parlez-nous de votre vie d’étudiante et de militante à Paris.

Malgré le contexte, Paris reste un lieu où il est facile d’entrer en contact avec des porteurs de projets et d’initiatives, ou de se rallier à une cause. Notamment, au sein du milieu universitaire, que ce soit sur la lutte pour le droit des femmes, les études postcoloniales ou l’écologie, il y a sans cesse des discussions qu’il est assez facile d’intégrer. J’en découvre aussi de plus en plus à la Réunion et j’espère pouvoir les suivre également, même à distance...


La crise Covid a exacerbé beaucoup de réalités qui étaient souvent invisibilisées et qui ressortent véritablement dans la capitale : précarité, fatigue sociale, ralentissement économique… tout devient visible et malheureusement un pessimisme ambiant quant à la situation semble s’installer. Beaucoup de jeunes voient leur champ d’opportunités se réduire. Il va falloir créer de nouvelles solutions pour surmonter cela collectivement, surtout si la crise devait se prolonger...

Avez-vous des contacts avec des Réunionnais à Paris ?

Oui, je suis membre de plusieurs associations d’étudiants ultramarins, et par ce biais je rencontre non seulement des Réunionnais mais aussi des ultramarins en général. Ces échanges sont très enrichissants. Nous discutons non seulement de nos différences et ressemblances culturelles, mais aussi de l’avancée économique et politique de nos territoires, de comment s’organiser pour les mettre en valeur… Nous proposons également des événements (débats, conférences…) sur des sujets de société. Voir l’association Sciences Ô sur les réseaux sociaux.


Que vous apporte l’expérience de la mobilité ?

Quitter l’île m’a permis de prendre conscience de la richesse culturelle et de l’ouverture d’esprit que possèdent les Réunionnais. Partir m’a aussi permis de me rendre compte de mon attachement pour notre patrimoine naturel.

Quels ont été les avantages / inconvénients du fait de venir de la Réunion dans votre parcours ?

Lors d’expériences à l’étranger, en Europe ou en Asie du Sud-Est, j’ai constaté que le contact avec les autres était beaucoup plus instinctif et que j’avais moins tendance à me réfugier dans une bulle française, moins besoin de ce filet de sécurité. Il est plus facile de trouver des points de connexion, notamment car nous avons une connaissance (même partielle) des autres cultures. Par exemple, les fêtes indiennes et chinoises importantes sont aussi célébrées à Singapour.


Les inconvénients ont plus été ressentis au niveau national. On rencontre encore des personnes avec beaucoup de préjugés et d’idées préconçues sur les outre-mer : « colonie », « bac cocotier », le fait de n’être là que pour les « quotas »... on me demande même parfois si j’allais au lycée français… Cette situation est dure à vivre quand on débarque car nous ne sommes pas préparés à se prendre ce genre de remarques. Il faut savoir les surmonter et développer un argumentaire pour les contrer et réaffirmer sa place là où on est, surtout ne pas se laisser faire...

Une petite anecdote à ce sujet...

L’an dernier, j’ai eu la chance de rencontre Christiane Taubira qui est un de mes modèles, à travers son combat pour les outre-mer, contre le racisme, pour le droit des femmes… Elle est une des personnes qui m’a poussé à me diriger vers les politiques publiques. Lors de notre discussion, elle me racontait à quel point il avait été difficile pour elle de quitter la Guyane et de faire face au racisme et aux idées préconçues lorsqu’elle est arrivée dans l’Hexagone il y a plus de 40 ans. Je lui communiquais ma triste constatation, 40 ans plus tard, que c’était toujours aussi difficile pour les ultramarins bien que de nombreux programmes d’aide notamment financiers aient été mis en place. Elle a souri et m’a dit : « l’éducation, ma fille, il n’y a que ça qui marche. Garde le sourire et explique, ça finira par rentrer ». J’espère qu’elle a raison !

Quelle est l’image de la Réunion là où vous vivez ?

Parler de la Réunion suscite souvent beaucoup d’intérêt et d’interrogation ; c’est le parfait « Ice breaker » ! Néanmoins les outre-mer sont globalement méconnus. On nous place dans les Antilles ; il est assez compliqué pour beaucoup d’accepter qu’il n’y a pas « une » identité ultramarine et que vivre à Mayotte, ce n’est pas vivre à la Réunion et ce n’est pas vivre en Martinique ! Aussi, globalement, les médias parlent majoritairement de l’île quand ça ne va pas : manifestations sociales, violences, requins... Même s’il est important de souligner ces problèmes, mettre en avant les initiatives citoyennes et l’innovation dont on peut aussi faire preuve aiderait à surmonter une image parfois « négative » de l’île.


Certains s’y intéressent pour le patrimoine naturel et les paysages mais malheureusement peu s’intéressent à l’histoire riche de l’île liée à celle de l’esclavage, de la colonisation ou encore à la musique. De mon côté, j’essaye tout de même de le partager autant que possible en envoyant à mes amis une chanson, un extrait de film ou bien en partageant des articles sur Facebook. Les initiatives de podcast comme Bat’Kare ou autre sont aussi intéressantes de ce point de vue et je suis heureuse de voir celles-ci et autres comptes Instagram très enrichissants se développer. Néanmoins beaucoup sont sensibles à notre ambivalence : très internationaux mais aussi très attachés au local, une envie de partir pour se former et explorer en dehors de l’île tout en conservant un très fort attachement et une appétence pour le développement du territoire...

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de la Réunion ?

La Réunion fait face à de nombreux défis sur le plan social (chômage notamment chez les jeunes, précarité, violences domestiques, etc.) et aussi environnemental où compte tenu de notre situation insulaire, nous devons assurer une bonne transition énergétique. On voit cependant de plus en plus de jeunes militer et investir tous les espaces, qu’ils soient dans le domaine politique, de l’art ou de la lutte pour les droits en général. Certains mènent des initiatives inspirantes notamment sur la santé mentale ou la réappropriation de notre histoire ! Nous voulons à terme revenir et développer notre territoire, l’inscrire dans l’espace Océan Indien et nous réapproprier cet espace, cela donne beaucoup d’espoir…


Il y a encore beaucoup d’auto-censure. J’entends beaucoup de Réunionnais dire qu’ils n’ont pas les capacités de se diriger dans les formations qui les intéressent, mais ce n’est pas vrai ! Il est, je pense, aussi important d’être présent sur notre île, bien évidemment, à tous les postes à responsabilité, mais aussi aux poste à responsabilité dans l’Hexagone pour montrer que nous ne sommes ni « oubliés » ni de « seconde zone » et pouvoir mettre en place des politiques publiques efficaces et qui nous concernent tous. Cela implique évidemment, autant dans nos territoires qu’ailleurs, de se battre pour avoir accès aux postes et ne pas lâcher.

Quels objets de la Réunion avez-vous apporté dans vos valises ?

Lorsqu’on arrive ici en tant qu’étudiant, il n’est pas facile de faire comprendre à nos camarades que c’est parfois dur. Dur de ne pas pouvoir rentrer tous les week-end, dur de passer le premier hiver et les fêtes de fin d’année loin de ses parents, dur de gérer le décalage horaire… Les seules denrées avec lesquelles je rentre chaque année sont… les bouchons et samoussas fromages (le top de la gastronomie réunionnaise je sais !). Et dès que le froid arrive comme maintenant, moi je commence à écouler mon petit stock…


Qu’est-ce qui vous manque de votre île ?

Les randonnées du dimanche. Je suis pourtant une grande fan de musées. Mais le réveil à 6h du matin pour aller marcher puis faire un bon pique-nique, c’est irremplaçable !

* Le Sommet G(irls)20, inspiré de celui des dirigeants des pays du G20, vise à sensibiliser les chefs d’Etat du G20 afin de promouvoir la valorisation des femmes au sein des organes de décision.



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