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Laura Bénard : rentrer sur l’île avec un diplôme du Québec

Publié le 3 août 2022

Comment rentrer travailler à la Réunion après des études et une expérience au Québec ? Confrontée au problème d’équivalence des diplômes entre le Canada et la France, Laura Bénard témoigne des joies et difficultés d’un retour au péi après 15 ans dans la Belle Province. Une interview « Spécial Retour ».


Pouvez-vous vous présenter ?

Laura Bénard, 36 ans, je viens de la ville du Tampon. J’ai quitté La Réunion en 2007 pour étudier au Cégep de La Pocatière en éducation spécialisée. J’avais 21 ans et j’étais accompagnée de mon compagnon de l’époque et de notre petite fille de 2 ans. Après nos études, nous avons travaillé tous les deux dans nos domaines respectifs. Nous avons eu deux autres enfants qui sont nés là-bas et qui ont la double nationalité franco-canadienne. Après avoir vécu l’expérience d’étudiante et de salariée au Québec pendant 15 ans, je suis de retour à la Réunion et ne travaille pas pour le moment.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rentrer à la Réunion ?

Un retour aux racines devenait fondamental, je dirais même vital ! En effet, malgré mon adaptation et mon intégration dans mon pays d’adoption, j’ai toujours senti que ma vie était entre parenthèses. Les années passant, cela me semblait évident qu’il fallait rentrer ; mon attachement à mon île, aux Réunionnais, était trop fort. J’ai arrêté de minimiser mon envie de revenir aux sources. J’ai dû déconstruire mes propres croyances limitantes et mes peurs, apprendre à faire des choix de cœur et non plus de peur. Après tout, c’est à la Réunion que je suis née. J’aime son odeur, j’aime sa chaleur, j’aime ses paysages, j’aime la langue créole, j’aime les traditions, la culture. Mes ancêtres y sont nés et c’est là que je me sens chez moi.


Avez-vous préparé votre retour d’une façon spécifique ?

Oui et non. Nous savions les difficultés auxquelles nous devrions faire face, nous savions que nos diplômes ne seraient pas reconnus. Et puis revenir après de si longues années, c’est comme s’expatrier dans un nouveau pays. Il faut se préparer psychologiquement et surtout accepter de ne pas tout contrôler. Je suis partie avec cette phrase en tête qui ne m’a jamais quittée : Au lieu de te demander : « Pourquoi ça m’arrive ? », demande toi : « Qu’est-ce ça m’apprend ? ».

Décrivez nous votre état d’esprit à l’atterrissage à Gillot.

C’est simple : je suis née une deuxième fois le 12 juin 2021 ! C’était une renaissance, un soulagement, un apaisement, une douce plénitude qui m’a envahie et ne m’a plus quittée. Quel bonheur de se sentir chez soi !

Avez-vous eu des difficultés professionnelles à vous réinstaller ?

Grace à mon expérience, j’ai trouvé du travail dans mon domaine avec un bon salaire. Sélectionnée parmi plusieurs candidatures, la question de mon diplôme était en suspens. Au final, je n’ai eu le temps de travailler qu’une semaine et demie avant que mon diplôme ne devienne bloquant. Le souci, c’est que le diplôme québécois d’éducatrice spécialisée (3 ans d’études) est considéré comme un Bac+ 2 ici en France. Pour être éducateur en France, il faut un Bac+3.


Qu’avez-vous fait ?

On m’a conseillé d’entamer une démarche d’équivalence avec le centre ENIC-NARIC* (NDLR : rattaché à France Education international, le ENIC-NARIC a pour mission de faciliter la mobilité internationale par la reconnaissance des diplômes). Cela devrait prendre trois mois. J’ai bon espoir d’obtenir au moins une équivalence avec le niveau Moniteur-éducateur (Bac+ 2), mais sans aucune certitude.

Dans quel état avez-vous trouvé le marché du travail en rentrant ? En tant que Réunionnais expatrié de retour sur son île, avez-vous ressenti un « avantage concurrentiel » ?

Je trouve qu’il y a pas mal de travail sur l’île, dans le domaine du social et du médical en particulier. Mon expérience dans l’autisme est un très grand avantage ici, car le Québec est en avance dans ce domaine et les employeurs le savent. Mais le diplôme n’étant pas un "diplôme d’état", et malgré l’expérience, c’est le "bout de papier" qui prévaut. Il est temps que cela change !

Est-ce le thème de votre prochaine intervention à Luniversité Maron ?*

Le problème n’est pas de partir, car c’est toujours une expérience formatrice et belle à vivre. J’ai un problème avec le fait que les contribuables réunionnais / français payent pour que soient possibles les projets d’immigration au Québec alors que les diplômes ne sont pas reconnus. Par conséquent beaucoup des candidats au départ ne reviendront jamais. La Réunion ne profitera pas de ces nouveaux diplômés et travailleurs.

Qu’avez-vous trouvé de changé à votre retour à la Réunion ?

Je trouve que La Réunion s’américanise et perd de son authenticité. Parallèlement, les Réunionnais sont plus fiers de ce qu’ils sont ; ils revendiquent et j’aime ça... Par exemple j’ai noté au bord des routes les panneaux "Sin Dni". C’est discutable, mais moi j’apprécie !


Qu’est ce qui vous surprend le plus par rapport à l’endroit où vous viviez en mobilité ?

Dans la mentalité québécoise, les gens veulent votre réussite. Ils sont contents pour vous et vous félicitent. Des valeurs comme le féminisme, la bienveillance, être responsable et autonome, ne pas attendre de l’aide de l’état ou de qui que ce soit, s’assumer… sont mises en avant. Cela peut parfois rendre les gens plus individualistes, mais j’aime ce côté où on se prend en charge sans rien attendre de personne. Il y a aussi ce sentiment de sécurité au Québec. On ne se fait pas accoster dans la rue, on ne se fait pas siffler ou regarder avec insistance, les maisons n’ont pas de clôture…

Quels sont les points de satisfaction / déception de votre retour ?

Je suis satisfaite, je ne ressens pas de déception. J’essaye d’accepter les choses comme elles sont, avec bienveillance, mais je fais tout pour atteindre mes objectifs. Si je devais me reconvertir, je sais que le champ des possibilités est large. Je n’aurai aucune crainte à le faire. Je n’en serais pas là aujourd’hui si par le biais de mon immigration, je n’avais pas développé ma confiance en moi et la certitude responsabilisante que rien n’arrive pour rien !


Avec le recul, tirez-vous un bilan positif de votre expérience de mobilité ?

Oui, si c’était à refaire, je le referais. Cette expérience m’a appris à me connaître et à me révéler. Elle m’a permis de guérir mes blessures émotionnelles, défaire mes croyances limitantes, mes préjugés, mes peurs, mes angoisses. Pour faire simple, la migration a fait office de thérapie pour moi. C’est très enrichissant de s’imprégner d’une autre culture, de traditions, de mœurs, de perceptions, d’accepter sans juger. J’aime le Québec et les Québécois, mais mon cœur bat pour mon île et mes compatriotes réunionnais. Au final, cette expérience m’a permis d’aimer encore plus La Réunion. Rentrer a été la meilleure décision que j’ai prise de ma vie !


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Luniversité Maron organise deux conférences animées par Laura Bénard sur le thème de la jeunesse exilée au Québec : le samedi 6 août de 9h30 à 12h au Vieux Domaine, 76 chemin Recherchant, Ravine des Cabris et le vendredi 2 septembre de 18h à 20h à la médiathèque Auguste Lacaussade, 601, rue de la Gare, Saint-André.
Laura sera accompagnée de sa fille Candyss, 17 ans, qui exprimera son point de vue de jeune Réunionnaise qui a grandi à l’étranger.

+ d’infos : www.facebook.com/LuniversiteMaron

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