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Laurent Dennemont : retour au péi, retour à la terre…

Publié le 28 octobre 2022

Il agit sur tous les fronts pour un retour au sol de nos biodéchets. Après 18 ans à Bruxelles, Laurent a soigneusement préparé son retour à la Réunion. En tant que maître composteur, il collecte des déchets alimentaires, qui évitent ainsi le centre d’enfouissement. A travers des projets comme Les Alchimistes Péi, Les Tisserands, le Réseau Compost Citoyen Réunion ou la co-création de la première micro-ferme urbaine pédagogique de La Réunion, il travaille sur la lutte contre le gaspillage alimentaire, l’agriculture urbaine, l’alimentation durable, l’économie circulaire, la transition écologique et la bioéconomie. « Mon projet consiste à dévier les 38% de déchets organiques des poubelles réunionnaises de l’enfouissement, pour les valoriser en un compost local et naturel, nourrir nos sols et notre agriculture vivrière ».

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Pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour zot tout ! Moi c’est laurent Dennemont, un Yab Tampon de 44 ans depuis quelques jours ! Issu d’un milieu plutôt aisé avec deux parents fonctionnaires, j’ai eu l’immense chance de grandir dans un environnement très végétalisé où la nature sauvage et les friches urbaines étaient encore la norme, même en plein centre du Tampon. Aujourd’hui je me définis comme un maître composteur, jardinier du vivant. Je suis associé chez « Les Alchimistes Pei », une entreprise qui collecte et composte les biodéchets de l’île pour nourrir les sols. J’ai aussi créé avec deux associés Les Tisserands, un centre de formation dédié à la transition. Parallèlement je suis engagé au sein du Réseau Compost Citoyen Réunion, une association que nous avons fondé avec l’ensemble des autres maîtres composteurs de l’île.

Quel a été votre parcours de mobilité ?

En 2000 j’ai quitté l’île « pou saut la mer » et m’installer comme beaucoup de créoles à Montpellier où j’y ai suivi une maîtrise en Management sportif. En 2001, dès notre diplôme en poche, avec mon ami et associé Lilian, nous nous sommes lancés dans ma première aventure entrepreneuriale : nous étions agent de joueurs FIFA à Londres. Notre objectif était alors simple : auréolés d’une coupe du monde obtenue deux ans plus tôt, nous devions alimenter le marché anglais de joueurs français ayant suivi « la formation à la française » ! Mais les choses se déroulent rarement comme prévu et malgré une aventure humaine incroyable et très riche d’enseignements, ce fut un flop professionnel.


Qu’avez-vous fait ?

J’ai quitté Londres en catastrophe en 2003 pour m’installer à Bruxelles où le frère de Lilian était installé. J’ai tout de suite été conquis ! Une ville à échelle humaine, des Bruxellois accueillants, de la bonne bière et très rapidement, j’y ai rencontré Florence, qui deviendra ma femme et la mère de mes trois enfants ! Je suis finalement resté 18 ans dans ce pays, 18 années parmi les plus importantes où je me suis marié, vu naître mes enfants, construit un réseau d’amis et de voisins incroyables, et qui font de moi la personne que je suis aujourd’hui.

Pourquoi la Belgique ?

Il faut comprendre que Bruxelles est un carrefour essentiel de l’Europe, lieu de décision politique et économique où se côtoient plus de 183 nationalités. C’est aussi un haut lieu de combats militants où s’expriment de nombreuses ONG et associations qui se battent face à des lobbys politico-économiques puissants. C’est dans ce contexte que je me suis forgé une conscience citoyenne et écologique forte. Au final, j’ai acquis plus de 20 ans d’expérience dans les domaines de la prévention et gestion des (bio)déchets, les administrations communales et la restauration durable en métropole, à Londres et à Bruxelles.


Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rentrer à la Réunion ?

Si dès le début de notre rencontre avec Flo j’avais évoqué l’idée de pouvoir rentrer un jour, cela n’a jamais été une obsession. On se dit qu’on ira bien s’y installer à un moment ou un autre… Les années passant, on se rend compte qu’on est bien dans notre petite vie de bruxellois. En 2018, l’année de mes 40 ans, nous avons décidé de rentrer nous installer en famille à la Réunion. Cette décision radicale répondait à plusieurs envies :
• Proposer à mes enfants, alors âgés de 11, 8 et 1 an, la possibilité d’explorer leur identité et leur culture créole, au-delà les vacances chez papy et mamy ;
• Contribuer personnellement à la nécessaire transition écologique de mon île au travers de mes expériences acquises ;
• Changer de vie, tout plaquer pour tout recommencer, parce que j’en ai la possibilité ;
• Préparer ma résilience individuelle et familiale face aux grands bouleversements auxquels nous allons devoir faire face dans les années à venir.

Avez-vous préparé votre retour d’une façon spécifique ?

Notre retour a été méthodiquement préparé, analysé, anticipé pendant près de deux ans. Ce n’est pas une mince affaire pour une famille de cinq, de quitter 18 ans d’une vie pour aller s’installer à l’autre bout du globe ! D’autant qu’il fallait que ça marche, le retour en arrière était quasi-impossible. Une analyse SWOT du projet a été réalisée individuellement, un groupe Facebook secret a été créé avec nos proches, et nous avons mis en place un rendez-vous d’une matinée tous les 15 jours pour travailler ensemble sur le projet. Son nom de code : Objectif 974 ! Sans cela il aurait été impossible de tout organiser. Nous avions exploré tous les forums, décortiqué les différentes expériences d’expats, échangé avec nos amis pour finalement commander nos cinq billets en aller simple.


C’était le 9 novembre 2019 et notre vol était programmés pour le 6 août 2020 ! Le retroplanning était prêt, il nous fallait tout mettre en route pour que le départ se fasse dans les meilleures conditions. Nous n’avons eu droit à aucune aide, quittant un système belge pour un système français au sein duquel nous n’avions aucun antécédent (j’avais bien donné des cours de tennis au TCMT ou été animateur de centre aéré à la Commune du Tampon, mais ça s’arrêtait là). En janvier, nous avons vendu la maison, en février acheté notre première voiture depuis 15 ans, et début mars 2020… Patatra ! Le COVID-19 s’invite à la fête. Au final, nous passerons entre les gouttes et pourrons embarquer miraculeusement début août !

Décrivez nous votre état d’esprit à l’atterrissage à Gillot.

L’arrivée à l’aéroport est très particulière car je suis alors très fatigué tant par les semaines précédentes à tout organiser, que par la petite nuit avec mon plus jeune fils. C’est un sentiment ambivalent de grande joie teinté d’une inquiétude face à cette page blanche qu’il nous reste à écrire. Est-ce qu’on n’a pas fait une connerie ? Mais rapidement je balaie cette dernière question pour profiter de ce rayon de soleil du matin qui chauffe mon visage…

Déménager une famille de 5 personnes...

Avez-vous eu des difficultés (professionnelles ou autres) à vous réinstaller ?

Notre départ à la Réunion était aussi pour ma femme et moi l’occasion de rebattre les cartes, créer notre entreprise et tester autre chose que le salariat. C’était aussi l’occasion de gérer notre temps et notre énergie à notre guise… je ne vous l’ai pas dit, mais un des objectifs initiaux de la démarcge était de « ralentir » : ralentir notre rythme, être plus à l’écoute de nos besoins et de ceux de nos enfants… Finalement, c’est l’inverse qui s’est passé : Nous n’avons jamais autant travaillé de notre vie, parfois au détriment du temps passé en famille, et aujourd’hui encore nous sommes à la recherche de cet équilibre entre vie perso, vie professionnelle, vie de couple et activités personnelles… le tout dans une journée de 24h où il faut compter sur l’école qui termine à 16h sans garde d’enfants… Arrrgh ! Au passage, merci papy, mamy et tous les oncles et tantes !

Dans quel état avez-vous trouvé le marché du travail en rentrant ?

En arrivant je savais que personne, à part la famille et les amis, ne m’attendait et qu’il faudrait tout recommencer, repartir de zéro, faire ses preuves et faire sa place. Mais je savais aussi que j’étais à ma place. Arrivés en aoput 2020, le temps de nous installer dans une location trouvée in-extremis avant le départ, d’organiser la rentrée des trois marmailles et de commencer à travailler… en pleine crise COVID. Mais cela ne nous a pas tant affecté que ça. Nous travaillions depuis la maison à constituer notre réseau, à développer notre activité. Dans mon secteur, celui de la prévention et gestion des biodéchets, il n’y avait presque rien. Tout était à faire.

Intervention dans un magasin Naturalia - Dans une cantine scolaire

Qu’avez-vous trouvé de changé à votre retour à la Réunion ?

Notre île s’est fort urbanisée durant ces 20 dernières années et plus d’une fois, je me suis retrouvé face à un sentiment de « solastalgie », décrit comme « une forme de souffrance et de détresse psychique ou existentielle causée par les changements environnementaux passés, actuels ou attendus ». Les enjeux démographiques, sociaux, alimentaires, énergétiques , environnementaux et économiques sont exacerbés dans un milieu insulaire comme le nôtre. Les défis sont immenses et nous sommes peu préparés. La nature abondante et luxuriante qui nous entoure est une bénédiction, pourtant elle n’aide pas les Réunionnais à prendre conscience de sa fragilité. Entendre les oiseaux le matin, contempler les baleines ou observer les endormis du jardin sont de grandes joies que je savoure dès que l’opportunité se présente.

Qu’est ce qui vous surprend le plus par rapport à l’endroit où vous viviez en mobilité ?

L’absence totale d’anticipation politique permettant la mise en place de transports en commun simple et accessibles à tous. Nous sommes entièrement dépendants de la voiture individuelle alors même que chacun sait que le pic de pétrole est passé et que notre île suffoque sous les embouteillages quotidiens. Les conséquences sur notre santé sont directes, sans parler du coût économique et environnemental des choix qui ont été fait par le passé. Il semble que nous soyons incapables d’apprendre de nos erreurs, même quand c’est une évidence.


Quels sont les points de satisfaction / déception de votre retour ?

Après deux années je suis content de notre situation familiale. Je commence à gagner ma vie dans un domaine qui me passionne, les enfants sont bien intégrés, et nous avons de beaux projets en cours. Certes nous avons fait des choix qui impliquent de grands renoncements aussi, tant en termes de mobilité douce, d’alimentation durable, parfois même en qualité de vie lié à la grande ville de Bruxelles. Mais si c’était à refaire je le referais sans hésiter. Je n’ai aucun regret.

Aujourd’hui quels sont vos projets ?

Lorsque j’ai quitté l’île il y a plus de 20 ans, nos centres d’enfouissement étaient déjà à saturation. Il y a quelques semaines un quotidien de l’île annonçait une extension du centre de Sainte-Suzanne pour une élévation de 17 mètres de haut… Quand on habite sur une île, dans un milieu insulaire comme le nôtre, composter est primordial. Mon projet consiste à dévier les 38% de déchets organiques de nos poubelles de l’enfouissement, pour les valoriser en un compost local et naturel pour nourrir nos sols et notre agriculture vivrière. Sinon, j’aimerais bien reprendre le sport, les apéros entre amis, les soirées cool…


Pourquoi avoir choisi le combat du biodéchet ?

Face aux défis climatiques, sociaux et économiques que La Réunion doit relever au cours de prochaines années, la gestion déchets organiques se situe au cœur des enjeux du territoire. Tantôt ressource essentielle pour une agroécologie permettant la souveraineté alimentaire, tantôt matière à valoriser sous forme de biogaz et d’énergie pour des besoins économiques croissants, le biodéchet nécessite une approche professionnelle de caractérisation des flux offrant un panel de solutions adaptées.

Parlez-nous de votre métier de Maître composteur.

A La Réunion, on trouve encore peu de maîtres composteurs, les formations sont également peu développées. Rien ne laisse présager l’essor qui s’annonce dans les années à venir. Et pour cause : des directives européennes ont amorcé un changement de regard sur les produits organiques. De déchets, ils doivent devenir des ressources. La législation s’est mise en place progressivement, pourtant les pouvoirs publics n’ont pas anticipé. Actuellement, seuls les producteurs de plus de 10 tonnes de déchets organiques sont obligés de valoriser cette matière. Au 1er janvier 2023, la loi visera les organismes qui en produisent plus de 5 tonnes. Et un an plus tard, elle concernera tout le monde, jusqu’au simple usager. Nous tous. Un tiers de nos déchets pourront ainsi finir au compost. Il ne s’agit pas de faire du compost pour faire du compost, c’est un retour à la terre. On remet de la vie dans les sols. C’est vraiment le changement de paradigme de l’agroécologie. On ne nourrit pas la plante, on nourrit le sol qui nourrit la plante.

Intervention dans une école - A l’Université du Tampon

Selon vous, la Réunion est-elle préparée à cette transition ?

Fin 2023, tous les biodéchets devront être triés à la source et valorisés ! Le bon point, c’est que depuis toujours nos gramounes compostent leurs déchets organiques "dan’ fon la kour". Ce geste simple, à la portée de tous s’est trop souvent perdu. Il est désormais important de s’y remettre pour éviter l’enfouissement en décharge et permettre un retour à la terre de tous ces nutriments ! Le Réseau Compost Citoyen La Réunion accompagne tous les producteurs de matières organiques (résidus alimentaires et espaces verts) à la réduction et à la valorisation locale et citoyenne de leurs déchets.

Avec le recul, tirez-vous un bilan positif de votre expérience de mobilité ?

Mon expérience de mobilité m’a simplement permis de me construire en tant qu’homme indépendant. Elle m’a obligé à me poser les bonnes questions pour me permettre de me trouver au travers de mes expériences, des mes rencontres. Mais je ne serais pas arrivé là si je n’étais pas accompagné de la plus formidable des Bruxelloises. Elle ne m’a pas simplement accompagné, elle s’est appropriée le projet pour mieux trouver sa place. Car si ce projet est si important pour moi, ma famille l’est encore plus. C’est donc bien un projet commun que nous menons ensemble, à cinq.


Quels conseils donneriez-vous aux Réunionnais qui comme vous souhaiteraient rentrer sur l’île ?

Suivez ce que vous dicte votre cœur. Mais préparez vous bien et n’imaginez pas que ce sera simple. Personne ne vous attend. Rapprochez-vous de l’association Réunionnais de retour au pei qui fait un travail remarquable et soyez persévérants !


+ d’infos sur et les articles de Laurent sur : www.reunionnaisdumonde.com/membre/laurent-dennemont / www.linkedin.com/in/laurentdennemont
Alchimistes Pei : www.alchimistes.re / www.linkedin.com/company/49169647
Les Tisserands : www.lestisserands.org / www.linkedin.com/company/72762730
Réseau Compost Citoyen la Réunion : www.lareunion.reseaucompost.org / www.linkedin.com/company/71490182/


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