Publicité

Margot Valatchy : contrainte et opportunité d’un retour

Publié le 30 mai 2022

Nous l’avions laissée en 2019 à Toronto, détentrice d’un Permis Vacances-Travail. Le Covid étant passé par là, Margot a dû rentrer sur l’île plus vite que prévu. Récit d’un retour contraint, mais porteur d’opportunités. "Après 8 ans je revenais chez moi, tout en ayant profondément changé. C’était assez déstabilisant..."


Pouvez-vous vous présenter ?

Margot Valatchy, j’ai 27 ans et je suis originaire de Saint-Pierre. J’ai eu un parcours d’études que l’on pourrait qualifier de « pluridisciplinaire », passant d’abord par une prépa aux Instituts d’Etudes Politiques avant me tourner vers les sciences humaines que sont l’Histoire et la Sociologie. J’ai fini par devenir ingénieure sociale, en décrochant mon master en sociologie et stratégies de développement social en 2018. Et dans les années qui ont suivi, j’ai effectué un virage à 180° pour entamer une reconversion professionnelle dans le milieu du chocolat et de la petite restauration sucrée.

J’ai grandi dans un cadre propice à la découverte de l’autre et de « l’extérieur » puisque l’entreprise familiale de chambres et table d’hôtes m’a permis de rencontrer et d’échanger avec des touristes venus des quatre coins du monde. C’est dans cette entreprise, et plus largement dans ce secteur de l’agro-tourisme, que j’ai passé toute ma jeunesse avant de quitter La Réunion à 18 ans. Et depuis mon retour sur l’île, je continue de m’y investir entre deux périodes de travail salarié.

Quel a été votre parcours de mobilité ?

Mon parcours de mobilité s’est déroulé entre 2012 et 2020 et se fractionne en deux étapes. C’est d’abord pour suivre des études que j’ai quitté La Réunion juste après le Bac. J’avais choisi de m’installer à Lille et, malgré les appréhensions de mon entourage vis-à-vis de la « grisaille légendaire » du Ch’Nord, j’y suis restée six ans. Une fois passée la première année d’adaptation (et surtout le premier hiver), on ne peut que se rendre compte du charme débordant de Lille : cette ville étudiante chaleureuse déborde d’énergie. Il s’y passe toujours quelque chose ! Elle est aussi située à la croisée des chemins entre Paris, Bruxelles et Londres, ce qui m’a permis de bouger facilement et à moindre coût, le rêve d’étudiant quoi. Et puis surtout, c’est une ville où l’on prend facilement racine. Les amis que l’on s’y fait deviennent rapidement une deuxième famille et, encore aujourd’hui, je garde toujours des liens très forts avec mes amis du Nord. Au-delà de ma vie d’étudiante, c’est aussi durant cette première étape de ma mobilité que j’ai brièvement exercé dans mon domaine d’étude, en travaillant notamment en tant que chargée d’étude sociologique pour la Direction Régional de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale des Hauts-de-France.

Direction Toronto !

Pourtant, même si j’avais une vie épanouie en Métropole, mon parcours de mobilité n’avait jusque-là pas vraiment assouvi ce besoin « d’aventure » qui était en moi. Quitte à vivre loin de La Réunion, je voulais pousser le curseur jusqu’au bout et partir vivre à l’étranger, m’imprégner d’une langue, d’une culture, d’un mode de vie en contraste total avec tout ce que j’avais connu jusque-là. C’est comme ça que je me suis retrouvée à traverser l’Atlantique pour la première fois, après avoir obtenu un PVT1 de 2 ans pour le Canada. Cette fois, c’est à Toronto que j’ai jeté l’ancre. Et pendant deux ans, j’ai réalisé un rêve de gosse : les tempêtes de neige par -25 degrés, la magie des noëls tout blanc, les grands buildings illuminés, les parcs avec les cerisiers en fleurs au printemps ou les couleurs rouge et or de l’automne, les petits animaux sauvages dans la ville, les matchs de baseball le week-end… j’avais l’impression de vivre dans une série télé et je découvrais tout ça avec les yeux d’un « p’tit marmaille » émerveillé.

Sur le plan professionnel, c’est aussi là-bas que j’ai découvert l’univers du chocolat, en travaillant pour le chocolatier Lindt. Ce qui ne devait être qu’un « job alimentaire » temporaire s’est très vite transformé en une véritable passion. Dans cette boutique/bar à chocolat, au contact de Maîtres Chocolatiers inspirants, j’ai vécu un vrai épanouissement professionnel. Et grâce à un système anglo-saxon qui permet aux plus motivés de gravir rapidement les échelons, j’ai fini par devenir chef d’équipe de vente dans une des boutiques Lindt les plus lucratives du Canada. Je me suis d’abord persuadée que cela n’était qu’une belle parenthèse avant un retour à la réalité à la fin de mon PVT. Mais progressivement, j’ai très vite compris que je n’avais pas envie que le rêve s’achève.


Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rentrer à la Réunion ?

J’ai commencé à faire les démarches nécessaires pour pouvoir rester au Canada au-delà de mes deux ans de PVT. Mais visiblement, une vie canadienne n’était pas dans les cartes pour moi, puisque le Covid-19 est passé par là, en bouleversant à peu près tout pour tout le monde sur son passage… A Toronto, on a été « confiné » de mars à août 2020. Ma boutique a été fermée pendant plus de six mois et toute mon équipe s’est retrouvée au chômage. Les procédures d’immigrations ont été renforcées et avec un emploi devenu incertain, j’ai dû me rendre à l’évidence qu’un retour à La Réunion à l’issu de mon PVT était inévitable. C’est donc dans ces circonstances que je suis rentrée à La Réunion en septembre 2020.

Avez-vous préparé votre retour d’une façon spécifique ?

Je m’étais toujours jurée que, si je décidais de rentrer à La Réunion, ce serait avec un plan de réinsertion professionnelle bien ficelé. Eh bien, évidemment, c’est tout le contraire qui s’est passé. Au moment de rentrer, je n’avais rien préparé. Le fait de subir un retour que je n’avais pas envisagé si tôt m’a un peu plongé dans le déni de ma situation. Je crois que je n’avais pas vraiment inscrit dans mon esprit que le retour allait probablement être définitif. J’avais l’impression que je rentrais simplement en vacances… Mais le voyage retour ne s’est pas déroulé sans stress. Déjà en temps normal, quitter la vie que l’on a construite dans un pays étranger n’est jamais simple. Ajouté à cela le contexte anxiogène de la première année de COVID-19… j’étais déchirée entre la peine de quitter une ville que j’affectionnais particulièrement et l’angoisse de ne pas pouvoir rentrer à La Réunion à cause des restrictions de voyage qui étaient encore assez drastiques à ce moment-là.


Décrivez nous votre état d’esprit à l’atterrissage à Gillot.

J’étais soulagée, c’était la fin du stress qui avait teinté la préparation du voyage retour. Je n’avais pas de plan défini à ce moment-là, mais j’étais de retour sur mon île et il y a toujours un côté réconfortant à cela. Et puis, après un périple qui aura duré 33h au total, on est toujours heureux de toucher la terre ferme je pense !

Avez-vous eu des difficultés à vous réinstaller ?

Pendant plus de six mois, j’ai gardé l’impression de ne pas être totalement chez moi. Je retrouvais ma terre, celle où mes racines profondes sont plantées. Et pourtant, j’avais souvent l’impression de ne plus être à ma place et de ne plus être en phase avec certaines façons de penser. J’ai eu le sentiment d’étouffer parfois, de ne plus avoir la liberté d’être moi-même, au risque d’être incomprise par un entourage qui m’avait connu avant ma mobilité. C’était assez déstabilisant. Le plus difficile a donc été d’accepter le changement. Je revenais chez moi, tout en ayant profondément changé, et il m’a fallu comprendre que cette évolution et la façon dont elle était perçue par les autres, n’invalidait en rien le fait que je sois profondément réunionnaise et que j’aurai toujours ma place ici.

Dans quel état avez-vous trouvé le marché du travail en rentrant ?

A mon retour, j’ai mis plus de temps que prévu à avoir les idées claires quant à la suite que je voulais donner à mon avenir professionnel. Dans mon esprit, la fin du PVT signifiait inévitablement le retour au monde de l’ingénierie sociale. Alors j’ai commencé à orienter ma recherche d’emploi sur des postes correspondant à mon diplôme de sociologie. Les postes ne manquaient pas, mais aucune de mes démarches n’aboutissaient. Il était clair que mon statut d’ex expatriée n’était pas vraiment un « avantage concurrentiel » dans mon domaine. Ou du moins, il n’aurait pas pu palier au manque d’expérience professionnelle dont je pâtissais.


Mais finalement ce manque d’opportunités dans mon domaine d’étude s’est révélé être une chance. Car cette période de chômage à mon retour a été importante pour pouvoir bénéficier du recul et de l’accompagnement nécessaire pour accepter mon besoin de reconversion professionnelle dans le domaine de la petite restauration sucrée et du chocolat. Une fois acceptée, cette reconversion a été actée très rapidement, puisque j’ai trouvé du travail dans la foulée dans un bar à chocolat. Une fois encore, ce n’est pas vraiment mon statut d’ancienne expat’ qui a directement influencé mon recrutement, mais plutôt mon expérience dans le domaine du chocolat.

Qu’avez-vous trouvé de changé à votre retour à la Réunion ?

J’ai été agréablement surprise par la valorisation toujours plus importante de notre patrimoine local, qu’il soit naturel ou culturel : sensibilisation et efforts déployés pour la protection de nos espaces naturels, nou mét en lèr nout langkozé, mise en valeur des producteurs locaux et des produits péi… je crois que le COVID et l’isolement qu’il a entraîné a accéléré un peu partout le recentrage sur nos régions et sur les richesses qu’elles contiennent.


Cependant, d’autres évolutions sont nettement moins agréables à vivre et entrent même parfois en contradiction avec ces belles avancées. Je pense notamment aux transports en communs qui ne sont toujours pas assez développés et fiables (surtout hors des centres-villes). La voiture reste donc incontournable et les embouteillages, qui étaient déjà un problème avant mon départ il y a 10 ans, sont devenus un enfer quotidien. J’ai constaté également une gentrification de plus en plus forte de certains quartiers qui perdent leur âme au profit de constructions de plus en plus denses. L’inévitable conséquence est une flambée des prix du foncier et de l’immobilier. Se loger est de venu un vrai challenge quand on ne fait pas partie des catégories socio-professionnelles les plus aisées !

Qu’est-ce qui vous surprend le plus par rapport à l’endroit où vous viviez en mobilité ?

Le point qui reste unique à La Réunion c’est bien le métissage ! Il est vrai que Toronto est une ville hyper cosmopolite où plein de cultures différentes se côtoient. Mais ce cosmopolitisme est marqué par une forte tendance au communautarisme ; on partage volontiers sa culture sans pour autant la mélanger aux autres. Ici à La Réunion, nous sommes le produit d’un métissage unique qui se retrouve dans tous les pans de notre culture : la cuisine, la musique, l’architecture, la langue, et même les pratiques religieuses ! Ce sont des choses que nous prenons trop souvent pour acquises en étant nés à La Réunion, mais c’est quand on quitte notre île que l’on se rend compte que ce n’est pas partout pareil ailleurs.


Quels sont les points de satisfaction / déception de votre retour ?

Être près de ma famille et bénéficier de leur soutien, par les temps qui courent, ça n’a pas de prix. Il faut aussi reconnaître que l’on vit sur une île fabuleusement belle, je passe mon temps à redécouvrir à quel point notre île est magnifique. Pour moi, l’unique déception concerne les amis que j’ai laissé derrière moi, à Lille et au Canada, et qui me manquent terriblement. Après être partie aussi longtemps, on se sent vite seule au retour et j’ai un peu de mal à reconstruire mon réseau de sociabilité.

Avec le recul, tirez-vous un bilan positif de votre expérience de mobilité ?

Je tire un bilan plus que positif de mon expérience de mobilité, puisque c’est à travers elle que je me suis épanouie. Partir à la découverte du monde, c’est aussi partir à la découverte de soi. Chaque rencontre et chaque expérience m’ont aidé à me construire mais aussi à mieux me connaître. Finalement, aussi bien d’un point de vue personnel que professionnel, mon expatriation a été un vrai cadeau : elle m’a offert la liberté. La liberté de découvrir, d’apprendre, d’expérimenter, de vibrer, d’échouer parfois, de recommencer et enfin, de réussir !

Quels sont vos projets ?

Aujourd’hui mes projets se tournent vers la création d’entreprise. Toujours dans le domaine de la restauration sucrée, du chocolat, du salon de thé cosy, du coffee shop réconfortant… Lorsque que je m’investis dans le travail, c’est toujours à 200%. L’entreprise pour laquelle j’ai travaillé à mon retour ne m’offrait aucune perspective intéressante pour ce degré d’investissement, mais c’est sur cette déception que j’ai pu rebondir et me lancer dans un projet de création d’entreprise perso. Cette aventure là ne fait que commencer pour moi, mais je croise les doigts pour un futur plein de gourmandises et de belles réussites !


En attendant, j’essaie de consacrer plus de temps à la photo, une passion que j’ai également développé au Canada. C’est là-bas que je me suis achetée mon premier appareil photo et que j’ai commencé à me former en autodidacte. Aujourd’hui c’est aussi à travers cette activité que je garde un lien avec le monde du chocolat, puisqu’il m’arrive de faire des photos de produits pour un chocolatier torréfacteur local, « les Cabosses Ailées ». C’est fantastique de pouvoir suivre un pan de la production de chocolat péi, de la fève de cacao à la tablette, tout en ayant la chance de pouvoir l’immortaliser derrière l’objectif…

Quels conseils donneriez-vous aux Réunionnais qui comme vous souhaiteraient rentrer sur l’île ?

Je pense qu’il faut garder à l’esprit que l’aventure ne fait que continuer ! Chaque jour apporte son lot d’opportunité, il faut rester ouvert à ces opportunités, à ces rencontres et ces expériences qui nous forgent et nous enrichissent, comme pendant l’expatriation ! Il faut savoir ajouter de la souplesse dans le plan que l’on établit avant le retour (si tant est qu’on en ait un…). Si le plan ne se déroule pas comme prévu à l’arrivée, il faut savoir accepter de sortir du cadre, en restant bienveillant envers soi-même et en se rappelant qu’au final tout ira pour le mieux.

« Je ne serais pas arrivée là si je n’avais pas eu le soutien constant de mes parents. Ils m’ont encouragé à partir, à persévérer dans les moments de doute et je leur en suis profondément reconnaissante. »


Lire aussi :
Margot Valatchy, l’aventure du Permis Vacances-Travail à Toronto (2019)
Les interviews "Spécial Retour à la Réunion"

Photos souvenirs :





Publicité