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Martine Nourry, 24 ans, assistante de coordination dans une ONG au Tchad

Publié le 16 octobre 2006

Diplômée de Sciences-Po Paris en 2005, Martine s’est investie en Afrique très tôt. Cette jeune Bénédictine, fille d’agriculteur, a déjà effectué des séjours au Burkina Faso, au Congo et au Tchad, où elle occupe aujourd’hui un poste dans une ONG locale qui lutte pour la paix dans ce pays. « Les Tchadiens vivent au jour le jour puisque demain tout peut arriver (coup d’état, rebellions…) », nous explique-t-elle en préambule.

Martine Nourry
Martine Nourry à droite, en compagnie de Delphine K. Djiraibé, prix Robert Kennedy des Droits de l’Homme.

D’où êtes vous à la Réunion ?

"Je suis des Hauts de Saint-Benoît : Pont-Payet, gentiment surnommé « trou bébête » par mes amis de collège et de lycée. Mon père est agriculteur et ma mère –qui est restée à la maison pour s’occuper de ses trois filles- a repris ses études il y a sept ans et est maintenant professeur des écoles. J’ai intégré Sciences-Po (IEP) directement après mon Bac S, obtenu en 2000 à la Réunion. J’y ai suivi une spécialité en Carrières Internationales, mention Développement".

Comment s’est passée votre arrivée en métropole ?

"Un ami de mon père est venu me récupérer à l’aéroport d’Orly et m’a laissé avec mes valises à la Cité Universitaire Jean Zay d’Antony où je n’avais pas de chambre (ceux qui devaient partir ne l’ayant pas encore fait). Donc, je suis restée une semaine en dortoir avant d’avoir ma chambre que j’ai gardée 5 ans. J’ai eu de la chance d’être dans cette cité U car elle est cosmopolite et j’y ai rencontré mes amis ivoiriens, camerounais, sénégalais, espagnols, mauritaniens… ce qui a eu pour effet de constituer une petite famille".

Et les études ?

"Mes deux premières années se sont passées à Paris… Pas très bien puisqu’il faut savoir que seuls 2% des étudiants de Sciences-Po sont issus de parents ouvriers, agriculteurs ou chômeurs. Je me suis vite rendue compte que les Grandes Ecoles ne perpétuent pas seulement une élite française dorée, avec un mode unique de pensée, mais encouragent aussi la reproduction sociale : les étudiants de Sciences-Po, HEC, Polytechnique, ENS, etc. se marient souvent entre eux et leurs enfants intègreront ces grandes écoles. J’ai survécu en réussissant à avoir de bons amis grâce notamment aux compétitions sportives !"

Et ensuite ?

"Ma troisième année, je l’ai passée au Burkina Faso, où j’étais en stage au Samu Social. Après quatre mois à Ouagadougou à faire essentiellement de l’administratif, j’ai passé les huit derniers mois à Bobo-Dioulasso où j’ai géré le Centre Renaissance, un centre d’accueil de jour d’enfants des rues qui a pour objectif de les réinsérer socialement. Je pense que cette expérience a vraiment favorisé mon attirance pour le continent africain, où même si les réalités quotidiennes ne sont pas toujours faciles, on sent une vraie envie d’ avancer et de s’en sortir".

Vous êtes par la suite retournée très vite en Afrique.

"Entre juin et août 2004, je me suis rendue en République Démocratique du Congo avec des amis étudiants pour réaliser un documentaire sur les élections présidentielles (qui se sont déroulées fin juillet 2006). Le documentaire a été diffusé en avril et juillet 2006 sur la Chaîne Parlementaire et TV5. De novembre 2004 à février 2005, j’ai effectué un stage avec le Comité Catholique de lutte contre la Faim et pour le Développement (CCFD) qui m’a demandé de me rendre au Tchad pour mener une étude sur la problématique de la paix. C’est à cette occasion que j’ai travaillé pour la première fois avec le Comité de Suivi où je suis actuellement".

Vous vous êtes également investie dans l’organisation d’un salon.

"En 2005, avec des amis africains et africanistes, nous avons créé l’association Livres d’Afrique qui a organisé le premier salon du Livre africain. Il s’est tenu au siège de l’Unesco à Paris et a eu pour thème « La femme dans la littérature africaine ». Editeurs, auteurs et publics ont réellement apprécié d’où la prochaine édition prévue le 28 octobre 2006. Depuis septembre 2005, je suis de retour au Tchad pour le travail. J’ai fait un petit détour par la Réunion en avril 2006 pour intervenir au Forum Social de Saint-Paul sur le thème « une nouvelle aide pour le Sud »".

Parlez-nous de votre travail.

"Depuis septembre 2005, je suis assistante de coordination (sous contrat local) dans un réseau d’organisations de sociétés civiles tchadiennes : « le Comité de Suivi de l’Appel à la Paix et à la Réconciliation ». Ce réseau fait un travail de lobbying auprès des autorités tchadiennes et des institutions internationales en faveur d’un processus global de paix au Tchad. Il fait également un travail de mobilisation populaire et citoyenne sur l’ensemble du territoire (1 284 000 km²) autour des problématiques de paix. Le réseau est coordonné par Me Delphine K. Djiraibé, avocate tchadienne, qui a reçu le prix Robert Kennedy des Droits de l’Homme en 2004".

Quels sont vos projets ?

"Pour le moment, j’ai prolongé mon contrat jusqu’en juin 2007 au Tchad et après, on verra. Si besoin est, je pourrai le reconduire ou alors ce sera une nouvelle destination, peut-être le Cameroun. Avec le temps, je me dis que quand je serai fatiguée de bat’ karé, je penserai à m’installer à la Réunion. Il y a de quoi faire aussi dans la région ! "

Qu’est-ce qui vous manque de la Réunion ?

"Rougail mangue ! Non, blague à part, l’avantage d’être en Afrique, c’est que je peux retrouver pas mal de produits alimentaires (tamarin, mangue carotte, pistache…). Donc, de ce côté-là, ça va, surtout que dans ma valise j’ai mis du piment chinois, massalé, curcuma et vanille… Ce qui me manque vraiment, c’est cette possibilité de passer de la montagne à la mer en peu de temps et ce d’autant plus que le Tchad n’a aucun accès à la mer…
Quoiqu’en y réfléchissant bien, une des vraies richesses de la Réunion c’est de ne s’y retrouver étranger nulle part. A Paris, je me fais contrôler par les policiers dans des wagons de métro où je suis la seule un peu bronzée. En Afrique, on m’appelle Nasara, Toubabou, Mundele (la blanche), sans méchanceté mais simplement pour me signifier que je suis différente. Je crois qu’à la Réunion, j’ai eu cette chance de grandir sans que la couleur de peau, sans que l’origine culturelle soit un poids, au contraire. Cette tolérance, c’est quelque chose qu’il est important de toujours préserver envers et contre tout. Ce serait dommage que compte tenu de certaines réalités, les esprits s’échauffent à la Réunion et qu’on oublie tout ça. Ce qui ne veut pas dire de ne pas se faire respecter en tant que kréol…"

Martine Nourry
En compagnie de l’équipe de volley féminine de Sciences-Po (avec le n°3).

Que vous apporte cette expérience de mobilité ?

"Je suis devenue une nomade avec ma valise sur mon dos et j’adore ça ! A vrai dire, déménager ne me dérange pas et compte tenu de mon travail, je me déplace au fil des enjeux, des défis à relever.
J’ai la chance de pouvoir travailler en fonction de mes convictions et elles me mènent là où elles me mènent".

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de l’île ?

"J’avoue que ça me fait peur que les jeunes n’aient pas assez de perspectives autres que Rmi, emplois précaires… J’ai l’impression que c’est un peu la recherche de la facilité ou du prestige (nou veu travay dan buro). Je ne suis pas issue d’une famille très aisée, mes sœurs et moi n’avions pas droit aux vêtements de marque, à la voiture à 18 ans… Nous avons aidé nos parents dans l’exploitation et avons appris tôt la valeur du travail. Evidemment, les résultats sont longs à voir et on ne peut pas facilement frimer avec les dernières modes. Sauf que nous avons appris à nous battre pour devenir ce qu’on est et nos parents nous ont donné une des choses les plus précieuses : le sens de la dignité. Ce n’est pas parce que les parent sont chômeurs, vivent –relativement bien- des allocations familiales et du RMI que les jeunes doivent faire pareil.
Nous, kréol, avons du potentiel et ne devons pas nous laisser dire le contraire. Evidemment, il n’est pas facile de s’imposer et de se faire une place au soleil mais il est important de se battre et de revaloriser le travail qu’il soit manuel ou intellectuel. Avec une meilleure estime de soi, on est plus en confiance et on avance en tirant les autres vers le haut. Ce n’est pas en bloquant les routes qu’on obtient un emploi digne de ce nom mais en le méritant par le travail. On peut être très bon dans un emploi sans pour autant avoir fait de grandes études. C’est au pied du mur qu’on voit le maçon".


Quels ont été les avantages / inconvénients du fait de venir de la Réunion dans votre parcours ?

"Incontestablement, le côté kafrin dofé m’a aidé à m’imposer parfois parce qu’à Paris j’ai eu droit à « mais de toute façon, qu’est-ce que tu peux y connaître toi avec un père agriculteur ? » ou bien « mais regardez-vous, vous êtes française, française sur le papier » et c’est vrai que j’ai tenu bon, même si ça fait mal, on ne s’y habitue jamais je crois. Mais Kréol lé fièr é néna gro kèr et donc, je garde la tête haute et je prouve sur le terrain ce que je vaux. Paradoxalement, ce qui me pose problème en France continentale, m’arrange en Afrique. Le côté chaleureux, le fait de ne pas être totalement blanche et d’être un peu du continent noir donc d’avoir une histoire commune de colonisé… Ca fait tomber des tabous et je réussis à me faire très bien accepter par les gens avec qui je travaille".

Avez-vous des contacts avec des Réunionnais ?

"Au Tchad, je ne connais pas de Réunionnais bien qu’il doive en avoir quelques uns dans les troupes Epervier (armée française) ici. Néanmoins, j’ai toujours des contacts avec des Réunionnais, qu’ils soient expatriés ou restés à la Réunion. Sans être communautariste, je pense qu’il est important de garder ses racines. « Si tu ne sais pas où tu vas, sache au moins d’où tu viens » proverbe africain « Perd pa la ras, perd pa la fas » Davy Sicard".

Quel est votre regard sur la région où vous vivez et ses habitants ?

"Le Tchad connaît un cycle de guerre civile – dictature – régime militaire dur depuis l’indépendance, donc une culture de méfiance envers l’autre et un repli sur les ethnies d’appartenance. L’étranger peut faire peur car il représente une potentielle menace. Le Tchad a pourtant un énorme potentiel touristique (désert, réserves animales…), économique (pétrole et coton) et humain (60% de la population a moins de 25 ans), mais le régime politique est tel que rien ne peut se faire. Les Tchadiens vivent au jour le jour puisque demain tout peut arriver (coup d’état, rebellions…). La population vit dans la peur, dans la rancœur et malgré tout les gens rigolent, font la fête".

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes Réunionnais ?

"Je pense qu’il est important de sortir de l’île pour voir comment c’est ailleurs. C’est ni mieux, ni pire, c’est différent. Pour se dire que finalement, on a de la chance d’être Réunionnais et qu’il nous appartient de construire notre île en valorisant nos cultures, notre patrimoine, notre nature. Personne ne va venir nous tendre la main pour nous aider à nous relever. C’est à nous qu’il appartient de nous mettre debout et de lutter pour notre dignité, pour notre liberté. Vous allez dire que c’est facile de parler comme ça quand on est loin, mais je garde toujours un œil sur ce qui se passe à la Réunion. Je garde des contacts avec différentes associations et structures qui travaillent dans ce sens pour leur donner un coup de main au besoin".

Lire aussi l’article "Vision croisée du développement durable au Tchad et à la Réunion"

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