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Mémona Hintermann, journaliste Grand Reporter sur France 3

Publié le 14 juin 2012

Originaire d’une famille nombreuse du Tampon, Mémona Affejee Hintermann revient dans cette interview sur le lien indéfectible qui l’unit à son île de naissance, présente en pointillé tout au long de sa carrière de journaliste et reporter aux quatre coins de la planète. "Partir de la Réunion m’a ouvert les portes du monde, mais la clef de ma manière d’être reste quand même au Tampon, quelque part entre ravines et champs de cannes."

Mémona Hintermann, journaliste Grand Reporter sur France 3

Pouvez-vous vous présenter svp ?

Mémona Affejee, connue sous le nom Hintermann, née au Tampon, dans une famille mélangée : père indien, mère créole. Je suis la sixième sur sept enfants vivants d’une fratrie de onze. Les autres sont morts de pauvreté et de maladies banales, mais faute de médicaments... Après le Bac, j’ai commencé à travailler tout de suite pour prendre la relève de mes sœurs et frères. Les plus grands sont allés travailler -minuscules boulots divers- pour nourrir les plus petits. Grace à eux, j’ai pu aller à l’école. J’ai d’abord été « pionne » au lycée Juliette Dodu, puis à la radio et à la télévision quand j’ai été reçue première (quelle joie !) lors d’un concours organisé par l’ORTF : le tout premier concours qui allait permettre de recruter deux journalistes réunionnais, mais concours ouvert à tous, sans « discrimination positive » à l’égard des créoles...

Qu’avez-vous fait ensuite ?

Ce concours a été suivi d’une formation théorique et pratique de journaliste à Paris. Parallèlement à mon tout nouveau métier, j’ai entamé des études de droit à la Fac de Saint-Denis : je suis titulaire d’une maîtrise de droit sous l’égide de l’Université d’Aix-Marseille. Je conserve mon diplôme dans un coffre à la banque, car faire des études et travailler en même temps... aujourd’hui encore, je n’en reviens pas !

Dans quelles conditions avez-vous quitté la Réunion ?

J’ai quitté la Réunion de mon plein gré, car au bout de quatre ans de journalisme « intra-muros », « du battant des lames aux sommets des montagnes », j’ai compris que je devais aller faire mes preuves ailleurs. J’ai donc demandé à travailler à la rédaction de France 3 à Paris. Le directeur de l’info sur France 3, Claude Lemoine, m’a regardée un peu étonné avec ce commentaire que je n’oublierai jamais : « Paris ? C’est pour les grands journalistes ». J’ai regardé une carte de France accrochée au mur de son bureau. Orléans paraissait proche de Paris. J’ai été affectée à Orléans. Au bout de deux ans, Jean-Marie Cavada créait Le Soir 3. Et je suis venue à Paris !

Avez-vous connu des galères lors de vos débuts ?

Pour cette mutation tant rêvée de la Réunion en métropole, j’ai perdu la moitié de mon salaire. Problème : je devais continuer à subvenir aux besoins de ma mère et de ma jeune sœur, et payer le crédit d’une petite maison au Tampon où les deux vivaient. Je peux dire que j’ai découvert à nouveau la pauvreté, vu que je devais payer ma chambre de bonne, les transports en commun, m’habiller en version hiver avec une nouveauté mystérieuse : porter des collants, si chers, si fragiles pour une non-initiée. Mais j’étais heureuse. J’apprenais tout, à pleins poumons.

Quels objets de la Réunion avez-vous apporté dans vos valises ?

Rien ! Je voulais regarder devant moi, aller à la découverte de la France. C’est bien plus tard que j’ai éprouvé le besoin de rapporter des morceaux de lave du volcan (que je n’avais jamais vu en partant la première fois). Je voulais couper les ponts et finalement, ce fut plus fort que moi. Je ne suis jamais parvenue à me détacher de l’île et des gens. Plus le temps est passé, plus j’ai voyagé, plus j’ai ressenti mon identité créole. Je n’ai jamais voulu la nier, cette marque de fabrique, j’ai crû que je pouvais la dissoudre dans autre chose. Erreur !

Que vous a apporté cette expérience de mobilité ?

Partir de la Réunion m’a ouvert les portes du monde, mais la clef de ma manière d’être reste quand même au Tampon, quelque part entre ravines et champs de cannes. Je suis fondamentalement une « yab » des hauts et heureuse de l’être… Et ce n’est pas par coquetterie que je le dis. C’est absolument sincère.

Mémona Hintermann, journaliste Grand Reporter sur France 3

Qu’est ce qui vous manque de la Réunion ?

Sincèrement, justement, la Réunion me manque très souvent. Tout : mes frères et sœurs, et leurs familles, les gens en général, le volcan, le vent, le soleil, les brèdes et les rougails, une certaine façon d’être dans l’existence. Mais je sais aussi que je vis sur des souvenirs qui ne coïncident plus avec la réalité ; je fais semblant de ne pas m’en rendre compte. Ce serait trop triste d’ouvrir les yeux sur certains changements...

Lesquels ?

Joker ! Question complexe ! Je préfère ne pas dire certaines choses. Devoir de réserve...Et puis, c’est trop facile de critiquer, de loin.

Quels ont été les avantages / inconvénients du fait de venir de la
Réunion dans votre parcours ?

Mon enfance très pauvre m’a poussée à saisir le bon côté de l’humanité. J’ai gardé -sans le savoir au départ- une carapace d’optimisme qui sauvegarde mon espérance, même si parfois je dégringole dans les abysses... Mais le plus souvent, mon regard de Réunionnaise grandie au carrefour de mille influences me facilite la vie dans certains pays soumis aux turbulences religieuses, ethniques, etc.

Aujourd’hui quels sont vos projets ?

Dans ma profession -Grand Reporter-, pas trop de projets à longue échéance. J’ai modifié mes vacances à cause du report de la date des élections en Libye où je me rends début juillet 2012 pour le scrutin du 7. Avec mon mari et co-auteur, le journaliste allemand, Lutz Krusche, nous avons un autre livre en route...

Quelle est l’image de la Réunion là où vous vivez ?

Je parle de la Réunion partout où je passe. L’image de notre île dépend un peu de sa diaspora, sans présenter notre « petit pays » comme un paradis terrestre mais plutôt un modèle mathématique où des gens différents ont appris à mieux s’accepter. Les réflexions très désobligeantes, racistes même, que j’entendais dans mon enfance se sont édulcorées : qui n’a pas dans sa famille -au sens élargi- une personne issue d’une ethnie différente, même lointaine dans le temps ? Nos attaches nous obligent à ouvrir l’esprit... Ceux qui sont venus chez nous ont - en général - une opinion élogieuse de la Réunion, surtout quand ils la comparent à d’autres destinations

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes Réunionnais ?

Je conseillerais à la jeune génération de bien réfléchir avant de partir ! Personne ne nous attend « dehors ».Ceux qui prennent le large doivent savoir que, partout, il faut se battre pour faire « son trou ». Partir oui, à condition d’avoir un « plan ». Savoir aussi qu’on est plus fort si on garde son identité : les autres vont se charger de faire remarquer votre couleur, votre accent, votre nom. Il serait mieux alors de se garder de la tentation de traiter tous ceux qui vous regardent avec curiosité comme des racistes convaincus. Bref, se sentir à l’aise avec … soi-même sera une boussole bien secourable. Mais la forger exige des années d’apprentissage !

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