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Nabilah Ibrahim, chef de projet dans une ONG au Congo

Publié le 11 février 2020

Diplômée de Sciences Po Paris et de l’école Pasteur-CNAM, cette Saint-Pauloise est tombée amoureuse de l’Afrique au cours de ses nombreux stages et voyages. Installée au Congo depuis quatre ans, elle y gère un Programme d’appui aux Très petites entreprises pour le compte de l’Institut Européen de Coopération et de Développement (IECD). Portrait.


Pouvez-vous vous présenter ?

Nabilah Ibrahim, 29 ans, originaire de Saint-Paul. J’ai quitté La Réunion une fois mon bac en poche, pour aller faire mes études à Paris. Je suis diplômée d’un Master en relations internationales à Sciences Po Paris et d’un Master spécialisé en santé publique de l’école Pasteur-CNAM. Actuellement Chef de projet au sein de l’ONG française Institut Européen de Coopération et de Développement (IECD), je supervise un programme de formation et d’accompagnement des très petites entreprises (TPE) à Pointe-Noire, au Congo Brazzaville.

Comment vous est venu le goût des voyages ?

Dans le cadre de mes études à Sciences Po, j’ai passé ma troisième année à New Delhi, en Inde, où j’ai effectué deux stages en journalisme : cette année fut haute en couleurs, et j’en ai profité pour effectuer de nombreux voyages à travers le pays : aventure garantie ! En 2014, j’ai passé six mois à Bamako, la capitale du Mali, en tant que stagiaire au sein de l’ONG Solthis, sur un projet de lutte contre le VIH. Mon tout premier contact avec l’Afrique ! Je suis tombée amoureuse de Bamako, avec son grand fleuve, ses couchers de soleil spectaculaires, ses quartiers qui vibrent au rythme des bus collectifs, des marchands ambulants et des jeux des enfants.

Comment êtes-vous arrivée au Congo ?

Après mes études, j’ai travaillé sur les questions de santé mondiale au Ministère des affaires étrangères durant huit mois. J’ai ensuite été recrutée au siège de l’ONG Institut Européen de Coopération et de Développement (IECD) en 2015, sur le suivi des programmes santé. Ayant toujours voulu retourner vivre dans un pays africain, j’ai posé mes valises sept mois plus tard à Pointe-Noire, au Congo Brazzaville, pour lancer un projet de dépistage néonatal de la drépanocytose dans des hôpitaux partenaires.


Le défi à relever était important, car le pays traverse depuis 2014 une crise économique sans précédent, avec des conséquences néfastes sur la qualité des services publics, et du système de santé en particulier. Malgré le contexte d’intervention difficile et des relations parfois complexes avec les partenaires de mise en œuvre, ce premier poste en gestion de projet sur le terrain a été extrêmement enrichissant et formateur.

Et ensuite ?

J’ai été affectée à la supervision de la structure de formation « Congo Entreprises Développement », que j’assure depuis bientôt deux ans. Ce programme a pour objectif d’inculquer les bases de la gestion aux petits entrepreneurs congolais du secteur informel ; c’est un merveilleux outil de développement pour nos bénéficiaires. Les progrès que font les entrepreneurs au quotidien grâce à notre accompagnement par la formation, et la structuration graduelle de leur business nous confortent dans l’idée que nous participons, à notre échelle, à l’amélioration de leurs conditions de vie et à la croissance économique du pays. Ce projet est basé dans les trois principales villes du Congo (Pointe-Noire, Brazzaville et Dolisie), et j’ai dû effectuer beaucoup de déplacements, parfois dans des zones extrêmement reculées, pour superviser nos activités. C’est grâce à ces nombreux voyages et rencontres que j’ai pu approfondir ma connaissance de ce beau pays, de ses habitants… et de sa cuisine locale !

Quel est votre regard sur la région où vous vivez et ses habitants ?

Le Congo Brazzaville est un petit pays, avec une population d’environ 5 millions d’habitants, qui est surtout concentrée dans les villes de Brazzaville, Pointe-Noire et Dolisie. Les infrastructures touristiques sont très peu développées. Il existe donc beaucoup d’endroits magnifiques mais assez difficiles d’accès, à cause de la mauvaise qualité des routes. Ainsi, lorsque vous partez à l’aventure à la découverte du pays, vous pouvez vous retrouver seul(e) au milieu de grands espaces et de paysages à couper le souffle. La vie en ville peut parfois être tumultueuse si vous vous attardez dans les quartiers populaires, tellement vivants, où les habitants se détendent autour d’une bière en écoutant de la musique locale à fort volume !


Les Congolais ont beaucoup d’humour, d’auto-dérision, et ont cette incroyable capacité à dédramatiser en cas de problème. Il est très facile d’entrer en contact et de communiquer avec eux ; je me surprends souvent à engager la conversation et à rigoler avec de parfaits inconnus. C’est, je crois, ce que j’aime le plus dans ce pays. Je peux vraiment dire que j’ai le Congo dans la peau, « en tout cas », comme ils le disent si souvent ici ! Il est quand même difficile de vivre et de travailler au Congo pendant plusieurs années.

Quelle est la situation socio-économique du pays ?

En quatre ans, j’ai vu la situation socio-économique du pays s’effondrer petit à petit, sans qu’aucune solution ne soit trouvée pour améliorer le quotidien des habitants. Le Congo, qui est un pays pétrolier avec une forte capacité de production, devrait pourtant pouvoir garantir de bonnes conditions de vie ainsi qu’un service public efficace. Mais le fossé qui continue de se creuser, entre une élite richissime et le reste du peuple qui s’enfonce dans la pauvreté, est insoutenable à observer d’un regard extérieur.

Comment expliquez-vous cela ?

Pendant des années, le pays est resté exclusivement dépendant de l’industrie pétrolière sans développer les autres secteurs d’activité économiques – le Congo a un fort potentiel agricole inexploité -, ce qui a occasionné des conséquences catastrophiques sur l’économie nationale, lorsque les prix du barril de pétrole ont chuté en 2014. J’ai vu des choses, dans les hôpitaux locaux, que j’aurais souhaité ne pas avoir vues. J’espère sincèrement que le Congo finira par faire les choix et adopter les solutions qui lui permettront de réhabiliter son économie, et par extension d’améliorer sincèrement les conditions de vie de ses habitants.

Avec le recul, quel bilan tirez-vous de votre parcours ?

J’ai fait des choix, d’abord au niveau des études, puis professionnels, qui pourraient me permettre de mettre mes compétences au service du développement humain, être au plus près des personnes et acteurs que nous accompagnons sur le terrain, et participer au renforcement de compétences de mes collègues et équipes. C’est, je pense, ma plus grande fierté aujourd’hui.


Que vous a apporté l’expérience de la mobilité ?

Sans mes nombreux voyages et mes séjours à l’étranger, je ne serais pas la personne que je suis aujourd’hui. J’ai appris à m’ouvrir à d’autres cultures, à chercher à les comprendre, tout en gardant cette humilité face à des subtilités qui ne seront jamais réellement maîtrisées. Mon sens et ma compréhension des relations humaines se sont, à mon avis, beaucoup améliorés en travaillant dans un contexte interculturel. Sans parler de cet esprit de débrouillardise et de flexibilité à toute épreuve que nous devons impérativement développer, étant donné les nombreux imprévus rencontrés sur le terrain !

Quels ont été les avantages / inconvénients du fait de venir de la Réunion dans votre parcours ?

Être originaire de la Réunion n’a jamais été un inconvénient pour moi, bien au contraire : notre identité métissée, au croisement de nombreuses cultures, est une réelle force. Cela nous facilite l’ouverture sur l’autre – au vu des déchirements que connaît la société française actuellement, la Réunion est un modèle de tolérance qui n’est malheureusement pas assez reconnu et mis en valeur en Métropole.

Qu’est-ce qui vous manque de votre île ?

Mes parents, qui sont restés à la Réunion, mais aussi les bons plats de chez nous ! Ici, j’ai apporté dans mes valises la base de la base : les bocaux de piment la pâte et d’ail-gingembre confectionnés par mon Papa ! Et un ou deux petit bocaux de miel la kour aussi… Et je m’assure de ne jamais être en rupture de stock !

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de la Réunion ?

J’ai le sentiment que la Réunion se développe davantage d’année en année, avec une certaine croissance de sa population. Pourtant, je continue de m’inquiéter du taux de chômage, qui demeure beaucoup trop important. Comment favoriser l’avenir de nos jeunes si nous ne pouvons pas leur garantir un certain niveau d’employabilité ? L’amélioration de la qualité des formations, la facilitation et la promotion de l’entrepreneuriat - notamment à travers une plus grande valorisation de la production locale - font partie, selon moi, des solutions à apporter pour contribuer à réduire le taux de chômage chez les jeunes Réunionnais.

Voir la profil de NABILAH IBRAHIM : ww.reunionnaisdumonde.com/membre/nabilah-ibrahim


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