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Nadège Saha : « C’est décidé, je rentre… en Guadeloupe »

Publié le 1er février 2021

Rentrer au pays n’est pas synonyme d’échec ou de démarche insurmontable. C’est ce message que Nadège a souhaité faire passer en écrivant son premier livre, "C’est décidé je rentre en Guadeloupe", réflexions d’une jeune guadeloupéenne sur le retour au pays. Malgré son double Master 2, trouver un emploi en Guadeloupe n’a pas été facile, au retour sur son île peu avant l’âge de 30 ans. Mais cela n’a pas été impossible non plus. « J’ai réussi malgré tout à obtenir deux CDI... »

Pour lancer un pont entre les deux îles, nous avons posé à Nadège les questions de l’interview « spécial retour », qui depuis 2008 interroge les Réunionnais du monde sur leurs motivations et leurs stratégies. Alors, la situation face à l’emploi et à la mobilité est-elle différente à la Réunion et aux Antilles ?...


Pouvez-vous vous présenter ?

Nadège A. Saha, 35 ans, je suis originaire de la Guadeloupe. Je suis titulaire de deux Masters 2 en science politique axés sur la coopération internationale et le développement : l’un obtenu à l’Université des Antilles en 2009 et l’autre obtenu à l’Institut Libre d’enseignements en relations internationales (ILERI) en 2019. Je suis actuellement en poste en tant que chargée de mission développement au sein de la Chambre régionale de l’Economie Sociale et Solidaire des îles de Guadeloupe (CRESS-IG).
 
Quel a été votre parcours de mobilité ?

Lors de mon premier Master à l’Université des Antilles, j’ai fait mon stage de fin d’études à l’ambassade de France à Trinidad et Tobago, au sein du service de coopération et d’action culturelle. J’avais en charge la rédaction d’un rapport sur la politique régionale de l’île sous différents aspects : économique, social, environnemental, culturel… A l’issue de ce stage je suis partie à Paris de 2009 à 2013 où j’ai travaillé au sein de cabinets d’avocats spécialisés en affaires internationales. En 2013, j’ai été embauchée par la collectivité régionale de Guadeloupe pour travailler à l’ambassade de France en République dominicaine en tant que chargée de coopération et cela jusqu’à 2015, année où j’ai décidé de rentrer. Entre temps, comme j’étais très active dans le milieu associatif, j’ai pu voyager entre autres en Jamaïque, au Belize, à Montréal, à Winnipeg, tout cela pour soit représenter la Guadeloupe dans des conférences soit pour envisager des actions de coopération, dans le milieu associatif jeunesse.


Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rentrer en Guadeloupe ?

J’avais une opportunité de rester en République dominicaine, mais j’ai préféré rentrer en me disant qu’il serait mieux d’apporter tout ce savoir acquis à l’étranger au pays, au lieu de passer encore du temps hors de Guadeloupe. Je voulais apporter ma pierre à l’édifice, à la construction de l’île. L’envie d’être auprès de mes proches aussi a été l’une des raisons qui m’a motivé.

Avez-vous préparé votre retour d’une façon spécifique ?

Pas vraiment. Je savais que je rentrais, mais pas dans quelles conditions puisque je n’avais aucune perspective d’embauche. Un retour pas simple du tout, parsemé de beaucoup d’embuches, avec deux années dans la précarité, avant de trouver une opportunité qui correspondait à mon profil… Surprises, adaptation et désenchantement ont ponctué ce retour au pays ! Mais finalement, c’est surtout la force, la détermination et le courage qui l’ont remporté et qui font qu’aujourd’hui ce choix est pleinement assumé ! 

Décrivez nous votre état d’esprit à l’atterrissage à l’aéroport de Pointe-à-Pitre.

J’oscillais entre inquiétude et confiance. Je quittais ma vie de "diplomate" pour l’anonymat le plus complet, et cela sans promesse d’embauche. C’était assez bizarre d’abandonner tous les avantages liés à la vie diplomatique avec le passeport de service, la file pour aller plus vite, etc. Quand je suis arrivée à l’aéroport, je ne savais pas du tout par quoi je devais commencer dans mon cheminement de retour. Je n’arrêtais pas de me questionner sur ce que j’allais bien pouvoir faire, comment et où. Je n’avais rien comme perspective, je me disais simplement qu’il fallait que je reste confiante, et finalement c’est en gardant cet état d’esprit que j’ai pu avancer.

Vue de Pointe-à-Pitre

Dans quel état avez-vous trouvé le marché du travail en rentrant ?

Quand j’étais en République dominicaine, j’avais la sensation que le marché de l’emploi en Guadeloupe me serait favorable à mon retour. Pourtant quand je suis rentrée, il ne m’a pas fallu longtemps pour me rendre compte que la situation était plus critique que je ne le pensais. J’ai mis deux bonnes années, où j’ai connu la précarité, avant de trouver une offre qui correspondait à mon profil, entre temps on ne peut pas vraiment dire que j’ai trouvé un marché de l’emploi prêt à m’accueillir les bras grands ouverts...

Quelles difficultés spécifiques avez-vous rencontré ?

Je ne sais pas pour vous, mais parfois je trouve que certaines personnes peuvent vous sortir des choses improbables durant un entretien. Pour moi dans mon retour au pays, "nous avons un souci avec votre profil" remporte vraiment la palme d’or ! En cinq ans j’ai rencontré beaucoup de difficultés. A commencer par une situation de discrimination à l’embauche, ensuite une promesse d’embauche non honorée, du harcèlement moral au travail, des collaborations malveillantes… Rien a été simple, mais j’ai réussi malgré tout à m’en sortir et à finalement trouver un moyen pour m’insérer durablement.

Plus généralement, qu’avez-vous trouvé de changé à votre retour en Guadeloupe ?

Tout ! J’ai trouvé que toute la Guadeloupe avait changé et à une vitesse grand V. Mes années à l’étranger et l’évolution de l’île m’ont fait prendre conscience à quel point on peut être très vite largué quand on reste trop longtemps à l’étranger. Entre les routes qui changent de nom, les travaux, les nouveaux centres commerciaux...

A la Préfecture de Guadeloupe pour la remise d’une Lettre de Félicitations pour son engagement associatif

Qu’est ce qui vous surprend le plus par rapport à l’endroit où vous viviez en mobilité ?

Le manque de spontanéité dans les rapports. En République dominicaine, je pouvais facilement proposer à un(e) ami(e) une sortie sans avoir à prendre rendez-vous longtemps à l’avance. Ici j’ai l’impression qu’on a perdu cette spontanéité, mais aussi une forme de légèreté dans l’attitude. Les Dominicains vivent H24 sans forcément se soucier du lendemain, ici on se met beaucoup de barrières mentales je trouve. Après, ce sont toutes les facilités que j’avais en vivant là bas ; je pouvais commander n’importe quoi (un sandwich, de la lessive, un morceau d’avocat…) dans l’épicerie du coin en restant à la maison et en me faisant livrer à domicile sans forcément payer de coût supplémentaire pour ce service, c’était plutôt plaisant.

Quels sont les points de satisfaction / déception de votre retour ?

Le premier point de satisfaction, c’est quand même ce sentiment d’être enfin chez soi, là où notre cœur vibre. Ensuite, malgré les difficultés, j’ai pu m’investir dans certaines associations et initier des projets très intéressants. J’ai été par exemple la première présidente d’un réseau régional multi-acteurs de coopération internationale : Karib Horizon. Enfin, dernier point de satisfaction, c’est quand même cette fierté que l’on a de se dire que l’on travaille chez soi, ça fait vraiment plaisir.


En principal point de déception, je dirais le manque de politique incitative au retour au pays. Je ne sais pas qui pourrait être légitime à accompagner le retour, si cette initiative revient à une association ou à une collectivité, mais on peut regretter le fait qu’il n’y a rien qui nous attend à notre retour. Paradoxalement on va se plaindre de la baisse démographique en Guadeloupe, déclin principalement dû au départ des jeunes, mais on ne fait rien pour y remédier, comme si il fallait absolument pousser notre jeunesse à partir.

Avec le recul, tirez-vous un bilan positif de votre expérience de mobilité ?

Je fais partie de ces personnes qui pensent que les voyages sont très formateurs. Mon expérience de mobilité m’a été très bénéfique, j’ai beaucoup apprécié mes années hors de Guadeloupe. Grâce à cela je peux désormais concevoir un certain nombre de projets différemment. Bilan très positif qui me permet d’être la personne que je suis aujourd’hui.

Aujourd’hui quels sont vos projets ?

A l’issue du confinement, j’ai constaté que cela faisait cinq ans que j’avais fait le choix de rentrer. Et au détour d’une publication j’ai émis l’idée d’écrire un livre sur la thématique du retour au pays. Mais en écrivant cela au mois de mai, jamais je ne me suis dit que j’irais au bout de cette idée... mon frère m’a convaincu de le faire. J’assure donc en ce moment la promotion de mon premier livre auto-édité « C’est décidé, je rentre en Guadeloupe ! Et, rien ne l’empêchera ! » Réflexions d’une jeune guadeloupéenne sur le retour au pays. Le livre, j’ai pris une vingtaine de jours pour l’écrire et six bons mois pour le peaufiner. C’est le seul projet que j’ai en ce moment : assurer la promotion de ce livre en espérant qu’il incitera de nombreux jeunes comme moi à faire ce chemin du retour au pays. Je dis que c’est le seul projet car après 18 ans de bénévolat, j’ai décidé de mettre fin à la totalité de mes mandats associatifs pour me consacrer à ce qui compte le plus : mon bien-être !

Vue de Pointe-à-Pitre

Quel est le rapport des jeunes guadeloupéens à la mobilité ?

Nombreux sont les jeunes guadeloupéens à vouloir partir faire leurs études, en France hexagonale ou à l’étranger. Parfois c’est une situation qui leur est imposée, parfois juste une envie d’ailleurs qui motive ce départ. Mais ils sont tout aussi nombreux, ceux qui veulent revenir en Guadeloupe une fois leurs études terminées. Si ce chemin du retour n’est pas aussi simple qu’il le devrait, il n’est pas non plus impossible. Il faut qu’on arrête de nous faire croire le contraire. C’est possible de réussir en Guadeloupe, avec certaines concessions certes, mais avec sa tranquillité d’esprit. 

Quels conseils donneriez-vous aux Guadeloupéens qui comme vous souhaiteraient rentrer sur l’île ?

Le premier conseil : lire mon livre ! Je l’ai conçu pour qu’il soit un guide, un carnet de bord pour toute personne qui souhaitent rentrer au pays. Il décrit une réalité et ce qui m’a aidé pour réussir mon retour au pays, ensuite je délivre des conseils. Pour moi le milieu associatif et le sport sont aussi un vecteur de réussite dans le processus de retour, un bon moyen de s’insérer socialement après plusieurs années passées loin des siens et de ses amis d’avant… Après comme autre conseil, je dirais sincèrement que prendre cette décision ne doit jamais être considérée comme un échec. Bien au contraire, voyez le comme une volonté d’apporter votre pierre à l’édification de la Guadeloupe de demain avec une jeunesse formée, qualifiée, animée par l’envie de faire en sorte que l’archipel puisse aller vers l’excellence. Notre île a réellement besoin de sa jeunesse formée, qualifiée !


En vente en version ebook et papier sur Amazon : www.amazon.fr/dp/2957612100 ou s’adresser à Nadège pour commander le livre directement : [email protected] / www.facebook.com/Cd6dgwada


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