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René Lacaille, la musique au feu « dobwa »

Publié le 14 août 2016

Comme les meilleurs nectars, il se bonifie avec l’âge… En fêtant ses 70 ans cette année, René Lacaille, pilier de la musique réunionnaise dont il est l’un des meilleurs ambassadeurs dans le monde, a encore le feu pour de nouveaux projets discographiques et scéniques portés par l’association familiale Dobwa.

Un texte d’Alain Courbis extrait du magazine Bat’Carré(Page Facebook)


Dans le cocon familial

Issu de la génération du « baby-boom », René Lacaille, né en 1946 à La Réunion, est surtout tombé dans le musique boom en voyant le jour au sein d’une famille d’agriculteurs des hauts de Saint-Leu qui, le soir et les week-ends, faisait les beaux jours des « bals la poussière » de l’époque. Dès l’âge de six ou sept ans il s’essaie à la batterie et à l’accordéon aux côtés de son père, également prénommé René, et de ses frères. Il commence aussi très vite à tâter de la guitare et du saxophone en autodidacte accompli. Il suit l’orchestre familial dans ses déplacements surtout dans la région ouest, parfois en charrette avec les instruments… ou en train, les rares fois où il a pu les accompagner à Saint-Denis. L’apprentissage musical remplace très vite l’école qu’il délaisse très jeune, comme ses frères, par manque de moyens.

Parmi sa famille nombreuse comprenant cinq frères et trois sœurs, tous les hommes sont musiciens : « À l’époque ça ne se faisait pas pour les femmes de jouer de la musique, même si ma mère venait parfois taper sur la grosse caisse en fin de soirées. Ça n’était pas bien vu…Rétrospectivement je le regrette, mes sœurs ont sans doute raté des vocations de bonnes musiciennes ! »

La fleur au fusil…

À l’époque, une des seules opportunités de quitter La Réunion pour des jeunes issus de familles modestes était l’armée. C’est ainsi qu’il part en 1966 pour un premier séjour en métropole, faire un service d’abord en Corse puis à la fameuse patrouille de France de Salon de Provence…Le fusil n’a surtout pas remplacé la guitare dans son cœur et il ne rate pas une occasion d’animer un orchestre en dehors de la base, alors que le twist commence à faire fureur.

Son service terminé, il rejoint son frère Renaud, militaire à Saint-Maixent, près de Niort. Ce dernier, trompettiste, accordéoniste, chef d’orchestre et compositeur, lui enseigne le solfège. Il monte ensuite à Paris en 1968 alors que les pavés de mai sont à peine refroidis : « C’est là que j’ai appris le métier. Je jouais très souvent dans des clubs ou des bars où je côtoyais des espagnols, italiens, portugais… Je ne manquais pas de travail. C’est à cette période que j’ai commencé à jouer de la musique manouche, à goûter au jazz et à rencontrer beaucoup de musiciens différents. »


Au bal du préfet…

De retour à La Réunion au début des années 1970, il écume les scènes locales et soirées privées, notamment avec le violoniste Luc Donat gratifié du surnom de « roi du séga », un des premiers musiciens réunionnais à marier jazz et séga. « Luc connaissait beaucoup de monde dans la haute société de par le métier de greffier au tribunal qu’il avait exercé. Nous étions souvent invités à jouer dans des grandes soirées privées, y compris chez le préfet de l’époque. »

Lorsque Luc Donat crée le groupe Les Ad Hoc, c’est tout naturellement que René en devient le guitariste attitré. « Nous jouions alors surtout dans des bals sur toute l’île avec un répertoire de reprises. Nous étions en concurrence avec le Fock Group dirigé par celui qui deviendra Ti Fock, le Jazz Des Iles, et aussi les Jokarys. » Après le départ de Luc Donat, les Ad Hoc sortent un disque 45 tours, le seul qu’ils aient enregistré, comportant une composition qui devient un tube emblématique du répertoire de René : « Sax Séga ».

L’avènement du maloya électrique

Après les Ad Hoc naîtront les Caméléons autour du studio Royal à Saint-Joseph, dans le sud de l’Ile, où étaient produits une grande partie des disques de musiques populaires de l’époque. René y tient la guitare, notamment aux côtés d’Alain Peters à la basse et de Loy Ehrlich (aujourd’hui membre du quartet Hadouk) aux claviers. Ce groupe est à l’origine du maloya électrique et parmi les précurseurs des influences pop-rock-blues-psyché dans la musique locale. Il laisse un 45 tours mythique avec « La rosée si feuille songe », première composition d’Alain Peters et « Na voir demain », morceau teinté d’influences africaines de Loy Ehrlich.

Outre ces deux 45 tours et l’activité de ces groupes, René figure comme guitariste et parfois arrangeur sur de nombreux disques de chanteurs de variétés créoles de l’époque, comme Jo Lauret. Le groupe Caméléon a lui-même été accompagnateur de plusieurs artistes produits par le studio Royal dont un historique 33 tours de la très populaire chanteuse Michou.

En 1979, René Lacaille accompagne une troupe folklorique qui part en tournée en métropole et, devant le peu de débouchés et de soutiens pour vivre de sa musique sur l’île, il en profite pour s’y installer et y vivre…jusqu’à présent. Une ouverture vitale pour lui, même si elle est souvent synonyme de galères. Il multiplie les rencontres musicales dans le domaine du jazz, du rock mais aussi des musiques créoles. Il y rencontre sa femme Odile qui est d’un grand soutien dans sa carrière et lui donne deux enfants, Marco et Oriane, qui sont aujourd’hui d’aussi talentueux musiciens dans son groupe.
De ses années 80 il reste deux 33 tours de ségas instrumentaux de l’océan Indien à la guitare et deux cassettes tendance rock et jazz « Cafre au lait » et « Mycose créole ».


Retour aux sources

Éloigné de son île, il connaît un choc en 1992 en assistant au triomphal concert de maloya traditionnel de Danyel Waro devant 4000 personnes au Printemps de Bourges en première partie de Jacques Higelin : « J’en avais entendu parler mais ne le connaissais pas. Ce concert m’a énormément touché et donné envie de revenir aux sources. » C’est ainsi qu’il délaisse la guitare pour reprendre l’accordéon. Sa déjà grande expérience musicale et sa spontanéité lui permettent d’en explorer toutes les capacités rythmiques comme mélodiques et de très vite acquérir une renommée internationale avec cet instrument.

Depuis, il multiplie les projets avec ses propres groupes ou aux côtés de musiciens de toutes nationalités. Sa faculté exceptionnelle de musicien caméléon qui joue comme il respire lui permet de se frotter avec bonheur et jouissance à toutes les musiques du monde et d’étonner tous les publics. Une ouverture et une faculté d’adaptation qu’il revendique haut et fort, favorisée par son origine réunionnaise, « qui fait de moi le porteur d’une culture unique et originale »…

Sa discographie s’enrichit très vite dès 1996 : après un premier album format CD « Aster » produit par Discorama à La Réunion, il enchaîne des projets discographiques tout aussi empreints de générosité et d’authenticité sur différents labels. Il enchaîne aussi les distinctions dans la presse nationale ou internationale pour la plupart de ses albums ainsi que des prix prestigieux. Il obtient notamment deux fois un prix de l’Académie Charles Cros dans la catégorie « musiques du monde » et pour son album « Cordéon caméléon ». Il est également deux fois, en 2005 et 2014, lauréat du Prix Gus Viseur, du nom d’un accordéoniste belge ayant le premier joué du jazz sur cet instrument au début du vingtième siècle.

Musicien du monde

La liste des nombreux artistes avec lesquels il a collaboré ou collabore toujours serait bien plus longue que cet article mais, parmi les rencontres marquantes, il faut citer celle du grand guitariste américain Bob Brozman avec lequel a été réalisé le magnifique album « Dig Dig » suite à une résidence de création à La Réunion. Un album qui lui a ouvert les portes du marché anglo-saxon puisque suivi notamment de tournées en Australie, aux Etats-Unis, au Canada et dans plusieurs pays européens. Une collaboration qui s’est malheureusement interrompue avec le décès de ce guitariste en 2013. On retiendra une confidence que Bob Brozman, qui était également ethnomusicologue de formation, nous avait faite à l’époque et qui a valeur d’hommage : « Aujourd’hui que j’ai été à La Réunion et que j’ai appris avec René Lacaille à jouer sur les rythmiques incroyables du séga et du maloya, je sais que je peux aller n’importe où dans le monde et jouer n’importe quelle musique… »

Le lien pour trouver le magazine Bat’ Carré / Page Facebook

Dans un autre registre, la rencontre des musiciens indiens, les frères Debashish et Subashish Bhattacharya se prolonge aussi depuis de nombreuses années dans plusieurs pays. Jusqu’en ce début d’année 2016 où René Lacaille a pu réaliser pour la première fois une tournée de sept concerts, dont des festivals importants, dans plusieurs grandes villes indiennes. C’était là un des derniers pays où il n’avait pas encore eu l’occasion de se produire, ce qui lui tenait à cœur vu l’importance de l’apport indien dans la culture réunionnaise. Là encore l’accueil des indiens a été à la hauteur du talent et de la générosité de l’artiste créole. « C’est une destination qui me manquait. J’ai été impressionné par l’accueil respectueux des gens, aussi bien dans les concerts qu’en général dans la rue, la richesse de leur culture et de leurs musiques…Sans parler de la cuisine ! Le seul aspect négatif de ce que l’on a vécu dans ce voyage, c’est l’importance de la pollution qui fait peur pour ce pays. »

Cette tournée aura été un beau cadeau d’anniversaire au lendemain de la célébration de ses 70 ans fin janvier avec sa famille et de nombreux amis musiciens, et avant un autre cadeau qui vient d’arriver : sa première petite-fille. Une fête qu’il aurait aimé prolonger sur son île natale d’autant qu’elle coïncide avec la sortie récente de son nouvel album « Gatir »… Mais aucun programmateur réunionnais n’a encore manifesté un intérêt pour cet événement. Il ne veut pas croire que ce serait là une nouvelle confirmation de l’adage maintes fois vérifié dans sa carrière que « nul n’est prophète en son pays ».

Nouvel album :

René Lacaille èk Marmaille « Gatir » (Dobwa/ L’autre Distribution). Après avoir travaillé sur des reprises de chansons du patrimoine réunionnais dans ses deux précédents albums, René Lacaille revient ici à des créations inédites. 13 titres au total, dont 4 composés par son fils Marc et une par sa fille Oriane, membres du groupe. Une seule reprise, mais d’une chanson argentine, « Alphonsine habillée de mer » qu’il a adaptée en créole et en français (« Alfonsina y el mar » d’Ariel Ramirez et Félix Luna) et même… un remix de DJ Clik. Cet album est aussi marqué par le retour de René à la guitare sur la plupart des titres, même si l’accordéon reste présent.

Enfin une nécessaire explication de texte sur le titre de l’album : « Gatir, c’est en créole réunionnais la corde, de choka ou kader, qui sert à lier les poissons qu’on pêche, les brèdes qu’on cueille dans les champs ou au long des chemins pour faire le bouillon, les gousses de vanille… » Plus largement, pour René, Oriane et Marco, « c’est le lien qui rattache au caillou là-bas au loin posé sur l’océan Indien, aux rythmes des ancêtres, aux traditions familiales festives et gastronomiques que l’on porte haut et que l’on transmet partout où l’on passe sur cette terre… » C’est tout eux !

Discographie :

On se limitera ici aux albums parus sous son nom au format CD :
« Aster » (Discorama 1996)
« Patanpo » (Daqui 1999)
« Dig Dig » avec le guitariste américain Bob Brozman (World Music Network 2002) « Mapou (World Music Network 2005)
« Cordéon Caméléon » (Connecting Cultures 2009) 
« Poksina » (Daqui 2011)
« Fanfaroné » (Dobwa 2014 )
« Gatir » (Dobwa 2015)

Plus d’informations et concerts à venir : www.renelacaille.net


Un texte d’Alain Courbis extrait du magazine Bat’Carré
(Page Facebook)

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