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Sarah Hoareau Chang : « l’Amérique est divisée en deux »

Publié le 17 novembre 2020

Mariée à un Américain retraité de l’armée en Virginie, cette Saint-Pauloise titulaire de la double nationalité fait le point sur son parcours et sa vie de famille aux Etats-Unis. « Nous faisons partie des chanceux dans ce pays divisé. Mon mari a un emploi stable et son statut de retraité militaire nous donne droit à une certaine sécurité du point de vue des assurances médicales et de la retraite... »


Pouvez-vous vous présenter ?

Sarah Chang, née Hoareau. J’ai grandi à Saint-Paul dans le quartier de la Caverne. Après un BTS en commerce international obtenu au Lycée Leconte de Lisle, j’ai intégré une école de commerce à Toulouse. Puis j’ai continué mon parcours à Séoul en Corée du Sud où j’ai étudié le coréen pendant quelques années avant de travailler pour Décathlon Production Korea en tant que responsable sous-traitants. C’est à ce moment que j’ai rencontré mon mari qui était officier dans l’armée américaine, en mission prolongée à Séoul.

Et ensuite ?

Mon mari est américain d’origine coréenne. Pendant sa carrière, nous avons vécu en Allemagne et en Corée. Nous nous sommes installés en Pennsylvanie à la fin de sa carrière militaire. Nous y sommes restés presque huit ans et avons déménagé il y a trois mois pour la Virginie du Nord. L’épidémie a beaucoup compliqué ce déménagement mais on y est ! Mon mari travaille maintenant pour une agence gouvernementale américaine et dès que notre installation sera complète, je continuerai ma carrière dans les ressources humaines et le recrutement.

Avec ma soeur Karine !

Comment s’est déroulée l’élection présidentielle pour vous ?

Le jour des élections s’est passé sans problème ou violence dans notre district. Il n’y avait pas de queue aux urnes et tout le monde était de bonne humeur. Le moment des résultats s’est un peu fait attendre avec le décompte prolongé des bulletins. Nous avons suivi tout cela à la télévision. Il y avait des supporters des deux côtés dans notre nouveau voisinage et vraiment, l’atmosphère est restée cordiale. Les enjeux étaient énormes ; les volontaires des campagnes politiques étaient très passionnés et engagés mais j’avoue que c’est très encourageant de voir que d’une manière générale, les gens ont gardé leur civilité.

Quelle est l’ambiance autour de vous depuis l’annonce des résultats ?

Je pensais qu’il y aurait des débordements et des violences, quel que soit le candidat élu, mais je suis heureuse de constater que jusqu’à maintenant, il n’y a pas grand chose à déplorer. Les choses auraient peut-être été différentes si Trump avait gagné... On verra bien ce qui va se passer dans les prochaines semaines avec ses contestations des résultats et son refus de participer au transfert avec Biden.

Mon père et mes enfants devant la Maison Blanche

Comment avez-vous été impliquée par cette élection ?

Nous avons des idées politiques différentes avec mon mari, mais nous étions tous les deux d’accord sur la sécurité de notre famille et de nos enfants. L’économie et la gestion de l’épidémie étaient aussi des sujets de discussion récurrents. Cependant, en tant que Réunionnaise, la crise sociale, le racisme et l’injustice raciale sont des sujets qui m’ont vraiment interpellés. Je trouve ça aberrant qu’une puissance mondiale comme les Etats-Unis soit encore polluée par ce genre de débat. C’est incompréhensible et ça fait vraiment mal au coeur. Ma famille à la Réunion est de toutes les couleurs. Mes ancêtres sont blancs et noirs. J’ai grandi avec des amis Yabs, Cafres, Malbars, Chinois et Arabes. Je garde l’espoir qu’il y a aura des changements positifs avec cette élection et que le pays continuera sa voie vers une égalité.

Quels sont les sujets qui ont déterminé cette présidentielle ?

La manière de gérer l’épidémie et de la minimaliser de Trump lui a peut-être fait perdre des voix auprès des indécis. Mais je pense que c’est surtout la crise sociale qui a eu un impact, tout comme la personnalité abrasive de Trump… Les gens parlaient plus de votes anti-Trump que de votes pro-Biden.


Comment avez-vous vécu le mandat de Donald Trump ?

Même s’il a abordé beaucoup de problèmes que personne n’avait le courage d’affronter, comme l’immigration illégale, les propos de Trump étaient rarement encourageants, ils créaient beaucoup de divisions ! On avait l’impression de vivre dans un état constant de colère... Cette liberté d’expression tant défendue a laissé certaines personnes exprimer ce qu’elles pensaient des personnes de couleurs et d’origines différentes à haute voix. C’était, je dois l’avouer assez épuisant. L’Amérique est divisée en deux. Je ne suis pas sûre qu’il y aura vraiment un gagnant tant que la mentalité des gens restera la même.

Quelle principale conséquence aura pour vous la victoire de Joe Biden ?

Nous faisons partie des chanceux. Mon mari a un emploi stable et son statut de retraité militaire nous donne droit à une certaine sécurité du point de vue des assurances médicales et des retraites. L’enjeu concerne plus les générations futures : la santé, le prix de l’éducation supérieure et les droits et égalité de la femme en général. J’espère aussi que l’élection de Biden ramènera le calme aux Etats-Unis et de vraies mesures pour combattre et contrôler l’épidémie.


Comment avez-vous vécu l’épidémie de Covid ?

Nous étions encore en Pennsylvanie quand le confinement a été déclaré. Notre voisinage était assez petit et nous avons décidé de vivre cette épidémie ensemble. On s’entraidait, faisait des marchés ensemble ; si quelqu’un trouvait des produits rares (papier toilette ou produits nettoyants), on prévenait les voisins. D’une manière générale, ça nous a vraiment rapproché. Au niveau personnel, le fait de ne pas pouvoir voyager librement pour la Réunion en cas d’urgence a rendu cette épidémie plus stressante.

Existe-t-il encore un « american dream » ? Comment s’est-il concrétisé pour vous ?

Oui, je pense que l’"American Dream" existe encore. Il est probablement plus difficile de l’atteindre aujourd’hui qu’hier, mais quand on est déterminé, qu’on n’a pas froid aux yeux et surtout avec la rage de réussir, ce rêve peut se réaliser. Ici les créations d’entreprises ne sont pas alourdies de démarches administratives contraignantes. Les aides sont minimales, mais à tout âge, on peut se réinventer et clamer une nouvelles carrière… Ce n’était pas mon objectif de vivre ici toute ma vie, mais le destin en a décidé autrement. Je peux par contre avouer qu’à plus de 40 ans, ma carrière est bien loin d’être finie et si je le décide, je peux m’orienter différemment à tout moment. Cette liberté de choisir est encore quelque chose d’attrayant.

Quel lien gardez-vous avec la Réunion ?

Avec ma famille, mes amis, Internet rend les choses plus faciles maintenant. FaceTime, Facebook et WhatsApp me permettent de parler avec mes parents, ma soeur et mes amis régulièrement. J’ai déménagé à chaque fois avec mon pilon, mes marmites, mon safran et mon piment la pâte… et mes deux pieds de combava que je rentre à l’intérieur en hiver. Je cuisine créole régulièrement avec les produits que je peux trouver ici. Le lien est fort et malgré la distance et ma double nationalité, mon coeur est avant tout créole ! Mes enfants sont internationaux et son élevés autour des quatre cultures qui les entourent : Française, Créole, Américaine et Coréenne. Hâte que Covid soit derrière nous pour qu’on puisse rentrer en vacances tranquillement. Maman, papa, Karine et papou, vous me manquez énormément... Un petit coucou à mes nièces, cousins/cousines, à Miré, Lala et Virginie... et tous les autres ! Restez prudents...


290 membres et infos réunionnaises aux États-Unis !


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