Sophie Repiquet : gardienne du patrimoine (spécial retour)
Comment faire revivre la villa Repiquet, emblématique du patrimoine créole dionysien ? En héritant de la maison familiale après huit ans d’études et d’expériences à Paris, Sophie est en passe de réussir son pari : en faire un lieu ouvert au public et vivant, témoin d’un pan de l’art de vivre et de la culture réunionnaise. « Je ne me vois pas comme propriétaire mais comme gardienne d’un patrimoine qui nous est commun. » Un parcours spécial retour à la Réunion.
En 2022, Sophie Repiquet, issue la quatrième génération de la famille, rachète les parts des différents cohéritiers de la villa et décide d’entreprendre une vaste rénovation qui s’achèvera en 2026. Son souhait : faire de sa maison de famille un espace culturel et évènementiel afin de la rendre accessible à tous.
Pouvez-vous vous présenter ?
Sophie Repiquet, 40 ans, issue d’un milieu aisé mais authentique… j’ai grandi dans une maison lovée dans les champs de canne, à Sainte-Suzanne. Aujourd’hui, je gère deux entreprises : une boutique en ligne de décoration d’intérieur, Terre ambrée, et la Villa Repiquet, espace événementiel et culturel situé au coeur de la rue de Paris.
Racontez-nous votre parcours.
Bachelière à 17 ans, je nourrissais le rêve d’étudier à Paris. Mais n’étant pas majeure, mes parents m’estimaient trop jeune et souhaitaient que je ne m’y installe qu’une fois mes 18 ans acquis. J’ai donc commencé un cursus à la fac de Saint Denis en économie, sans grande conviction. J’ai rapidement abandonné et me suis mise à chercher ce que je souhaitais faire comme études, tout en comblant mon temps libre par de petits jobs d’hôtesses. J’ai commencé ma vie d’adulte en apprenant la valeur du travail et de l’argent.
Et ensuite ?
Cette année de transition m’a permis de trouver mon cursus d’étude : la communication… à Paris bien sûr) ! Rares étaient les Réunionnais qui faisaient le choix de cette ville pour leurs études à cette époque : trop grande, trop froide, trop impersonnelle… moi je la trouvais magique… Mon école, l’EFAP, proposait un rythme d’alternance avant l’heure : une partie de la journée en stage, l’autre partie en cours. C’était formateur, on alliait la théorie à la pratique.
Mon master en poche, j’ai été embauchée dans l’événementiel à Paris. Mais je ne me fondais pas dans le moule. Mes parents m’ont assez rapidement prise entre quatre yeux : “tu ne sembles pas être faite pour travailler avec un supérieur hiérarchique. Soit tu montes ta boîte, soit tu travailles avec l’un de nous”. A 21 ans, malgré mon envie de devenir chef d’entreprise, j’ai pris l’option 2 ! Je bossais déjà tous les étés dans l’immobilier en freelance pour l’agence immobilière de famille, alors j’ai fait ce choix mais je voulais rester à Paris… J’ai donc créé le département de vente en VEFA outre mer. Cela me permettait d’y rester et en même temps de rentrer régulièrement à la Réunion.
Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rentrer à la Réunion ?
Après huit années de vie parisienne, la plus belle ville du monde avait commencé à perdre de sa magie… La Réunion me manquait et à chaque séjour dans l’île, repartir devenait difficile. A l’époque, j’étais éperdument amoureuse d’un Avignonnais que j’avais rencontré là bas, mais il ne voulait pas venir s’installer à la Réunion. Il a pris la décision, la bonne décision, de la séparation… annoncée la veille d’un séjour sur l’île... En quelque sorte, il m’a libérée. Bien qu’inéluctable, ce fut un choc. Je suis donc rentrée sans vraiment mesurer ce que je gagnais, récupérais, j’étais centrée sur ce que je perdais…
Dans quelles conditions s’est déroulé votre retour ?
Je ne l’ai pas vraiment préparé. Je rêvais d’ouvrir une boutique de déco, j’en ai profité pour sonder le marché, repérer un local et faire mon business plan. Quitte à perdre une passion, autant la remplacer par une autre ! Et quoi de mieux que le travail pour oublier. J’ai donc créé Terre ambrée. Puis, j’ai rendu mon appartement et j’ai donné mes affaires à Emmaus. Je n’ai gardé que mes effets personnels qui pouvaient être contenus dans quelques bagages et j’ai tourné le dos à Paris. A l’atterrissage à Gillot, j’étais à la fois soulagée, libérée de cette vie, de cette ville qui ne me convenait plus, et triste d’y laisser une partie de mes sentiments. Cela tachait le décor.
Avez-vous eu des difficultés à vous réinstaller ?
Je n’ai pas réellement rencontré de difficultés, mais j’étais consciente que la Réunion avait quelques inconvénients par rapport à la vie que m’offrait Paris : les commerces avaient des horaires restreints, l’offre de produits alimentaires était assez limitée, les prix des produits importés délirants, les restaurants ne servaient plus après 21h, une vie culturelle assez peu développée... Il fallait que je revois ma façon de vivre et de consommer au quotidien. Au niveau professionnel, je me suis positionnée sur deux emplois en rentrant. J’ai repris la gérance complète de l’agence immobilière familiale et en parallèle je créais ma boutique.
Qu’avez-vous trouvé de changé à votre retour à la Réunion ?
J’ai eu la chance de me réinstaller sur l’île quand la ville de Saint-Denis a commencé à s’animer le soir… le carré Cathédrale venait d’être créé ; restaurants, bars étaient venus remplacer ces ruelles coupe-gorges et en faisaient le poumon du centre-ville. C’est une des raisons qui a accru mon envie de rentrer. Je ne revenais plus dans une ville dortoir mais dans une ville qui évoluait, permettait aux gens de se retrouver, de se rencontrer, de s’amuser, de partager des moments en commun en dehors du travail et de chez soi. On sentait une forme de dynamisme et d’envie d’aller de l’avant, c’était stimulant. C’était plein d’espoir.
Qu’est ce qui vous a le plus surpris par rapport à l’endroit où vous viviez en mobilité ?
La gentillesse des gens, la convivialité, leur altruisme. On se rend d’autant plus compte de la facilité des rapports humains lorsqu’on rentre s’installer. Cela donne un certain confort au quotidien, on se sent de nouveau tout de suite chez soi et cela donne également une forme de sentiment de sécurité.
Quels sont les points de satisfaction / déception de votre retour ?
La question qui trotte dans la tête de chaque Réunionnais qui rentre et qui n’a pas encore 30 ans, c’est de se retrouver dans un endroit étriqué, où tous vos faits et gestes sont épiés, c’est de perdre une forme de liberté de mouvement et de pensée finalement. Or, cette crainte s’est envolée assez rapidement me concernant. Je trouvais ça agréable d’avoir des repères d’enfance, de voir les choses évoluer, d’entrer dans un bar, une boutique, d’aller à la boulangerie et qu’on vous salue comme un habitué, comme un membre d’une communauté. Cela rend les rapports humains chaleureux et au-delà de ça, cela vous inscrit dans la société. Et quand vous vous sentez chez vous, vous vous sentez en sécurité…
Passé 30 ans, les quand-dira-t-on, on s’en affranchit. On a gagné en maturité, on vit pour soi en fonction de ce qu’on a appris tout au long de notre vie et en vivant ailleurs… le passage à l’âge adulte est une étape de vie et le faire loin des siens, de ses repères, permet d’affirmer sa personnalité profonde et d’assumer de la laisser s’exprimer.
Avec le recul, quel bilan tirez-vous de votre expérience de mobilité ?
Aller étudier, travailler outre mer donne une ouverture d’esprit, une maturité, un regard différent sur la Réunion, le monde, les gens. On s’aperçoit que nous avons une culture forte à la Réunion, très présente dans notre quotidien, qui nous est propre, un modèle qui nous plait, mais qu’il n’est pas le seul, que d’autres cultures existent et qu’elles sont intéressantes à observer et de s’en inspirer. Étonnamment, la mobilité m’a davantage rapprochée de ma culture, de mon île. Quand on naît ici, tout est évident, à porter de main, dans notre quotidien. Quand on rentre, on tombe amoureux de l’île, comme une première rencontre car on revient avec un regard différent. Les petits détails qui font le bien vivre de la Réunion, on commence à les identifier, les chérir. S’y ajoutent les doux souvenirs de l’enfance…
Aujourd’hui quels sont vos projets ?
En rentrant à la Réunion, j’ai ouvert ma boutique de déco, ma première passion, qui est devenue ensuite un site de vente en ligne. Puis, il y a quelques années, je me suis lancée dans un projet me permettant de nourrir ma seconde passion : la préservation du patrimoine réunionnais. Après un long combat successoral âpre et difficile, j’ai racheté en décembre 2022 les parts de mes cohéritiers dans la maison familiale, la Villa Repiquet, située au coeur de la rue de Paris, promesse faite à mon père qui voulait voir cette maison rester au sein de la famille. Quand j’ai pris cet engagement, je ne savais pas ce que je souhaitais faire des lieux. Il fallait tout d’abord mettre en place un important projet de rénovation car la villa et ses dépendances n’avaient pas bénéficié de travaux d’entretien depuis plusieurs décennies. Remise en état délicate car la villa est inscrite au registre des monuments historiques. Je me suis rendue compte tout au long de mon chemin juridique pour la récupérer, que les maisons créoles se faisaient de plus en plus rares et de plus en plus inaccessibles au public. Alors j’ai souhaité que mon projet ouvre les portes de la villa à tous. La Villa Repiquet est devenue un espace culturel et événementiel.
Son volet culturel consiste en une proposition de visites scolaires et de deux visites guidées par semaine. Pendant ces séances, je raconte aux visiteurs l’histoire de l’architecture des lieux, de la vie de ma famille entre ces murs et le projet que je nourris pour son avenir. La visite se termine par une petite projection de photos anciennes de famille, en noir et blanc, prises dans la villa courant XXème. Mon souhait est de faire vivre au public une expérience spatio-temporelle : la maison, la Réunion d’avant au coeur de ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Dans un second temps, je souhaite mettre en place des soirées de projection de photos anciennes, façon diapos, sur l’un des murs extérieurs de la villa. Ces photos sont issues du fond de la villa qui comporte plus de 2200 images sur la Réunion datées XXème, essentiellement prises par grand-mère.
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J’ai également pour souhait de faire vivre l’expérience d’un moment sous une varangue ou dans un jardin créole. A partir du mois de septembre, nous mettons en place un brunch élégant proposant une cuisine de qualité aux saveurs réunionnaises sous le signe de l’art de recevoir de l’époque : vaisselle ancienne, couverts en argent, verrerie en cristal… Du temps de ma grand-mère, beaucoup de réceptions raffinées s’y tenaient. Le volet événementiel, quant à lui, ouvre les portes de la villa aux séminaires, cocktails, dîners d’exception et aux mariages. Tout comme le brunch, les convives sont reçus selon l’art de recevoir de l’époque.
Enfin, le troisième volet du projet vise à valoriser la culture réunionnaise au sens plus large. La villa est bordée de dépendances, toutes affectées aujourd’hui à des entreprises à taille humaine mettant en valeur les produits et les savoir-faire locaux. Il y a deux restaurants : Au Comptoir du Potager qui propose une cuisine mixte aux saveurs locales qui parfois viennent du jardin de la villa, et l’Opéra d’Une Nuit Créole qui propose une cuisine traditionnelle dans un cadre chaleureux. Puis, il y a le concept store Bflower qui présente des créateurs réunionnais modernes, l’agence de communication Doble You qui oeuvre au développement des enseignes locales et enfin le showroom de ma boutique de déco, Terre ambrée. Les dirigeants de ces structures ont tous comme autre point commun d’être sensibles à la protection du patrimoine réunionnais.
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Mon projet est plus globalement de sensibiliser le plus grand nombre à la préservation de notre patrimoine, de notre culture. C’est notre histoire, notre identité, c’est ce que nous devons transmettre aux générations futures. Préserver notre patrimoine, c’est préserver nos racines. Je ne me vois pas comme une propriétaire mais comme la gardienne d’un patrimoine qui nous est commun. Toutes les maisons créoles ont besoin d’être préservées, protégées, pas uniquement les maisons qui sont très visibles du public, même les toutes petites maisons situées dans des endroits retirés de l’île doivent l’être. Or, les indivisions sont le premier fléau de notre patrimoine. Ces maisons ne doivent pas faire partie des dommages collatéraux.
Quels conseils donneriez-vous aux Réunionnais qui comme vous souhaiteraient rentrer sur l’île ?
Je n’ai pas réellement de conseil car je pense qu’il me faudrait quelques années d’expérience en plus. En revanche je pense que chaque Réunionnais est nécessaire à son île et rentrer y vivre permettrait de mettre à son service les connaissances, compétences acquises acquises ailleurs, une forme d’épanouissement mutuel. La Réunion de demain nous appartient, réunissons-nous pour la construire ensemble !
+ d’infos : www.villarepiquet.fr / www.instagram.com/villarepiquet
Située au 25 rue de Paris, la Villa Repiquet fait partie de ces illustres maisons créoles qui font la renommée de la rue de Paris. Construite entre 1839 et 1843 par Benjamin Bédier au coeur d’un terrain de plus de 2000m² faisant l’angle des rues de Paris et Guyon, elle est inscrite au registre des Monuments Historiques. L’ambiance singulière des villas créoles y règne.
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