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Steeve Bourane : retour à la Réunion réussi

Publié le 18 novembre 2019

Chercheur en neurobiologie en Californie, il a trouvé sa place sur l’île au sein de l’UMR - DéTROI (Diabète athérothrombose Thérapies Réunion Océan Indien), unité mixte de recherche entre l’Inserm et l’Université de La Réunion. Nous avions laissé Steeve en 2015 au Salk Institute de San Diego... Ce Saint-Andréen, docteur en neurobiologie, parrain de la Fête de la Science 2019, revient sur son parcours d’excellence qui n’avait rien d’évident au départ.


Pouvez-vous vous présenter ?

Steeve Bourane, 42 ans. Je suis originaire du quartier du Colosse à Saint-André. Je viens d’un milieu plutôt modeste. Mon père tenait un ti boutik - « la boutik Gaby » - qu’il avait hérité de son père « Baba Varsegon ». Il cultivait aussi un peu de canne à sucre. Ma mère, femme au foyer, s’occupait de nous -j’ai 1 frère et 2 sœurs- et elle donnait un coup de main à mon père dans la boutik. Notre maman est décédée brutalement lorsque j’avais 11 ans. C’est donc notre père qui nous a fait grandir avec l’aide de la famille.

J’ai fait toute ma scolarité à Saint-André : école primaire Mixte Sainte-Claire Agénor au Champ-Borne, Collège de Cambuston et Lycée Sarda Garriga. Je suis actuellement chercheur INSERM (Institut National pour la Santé et la Recherche Médicale), au sein de l’UMR - DéTROI (Diabète athérothrombose Thérapies Réunion Océan Indien). L’UMR-DéTROI est une Unité Mixte de Recherche entre l’Inserm U1188 et l’Université de La Réunion.

Quel a été votre parcours de mobilité ?

En 1997, j’obtiens mon BAC S option biologie, au second tour avec 10 de moyenne, après l’avoir présenté pour la deuxième fois. J’hésite un peu pour la suite de mes études. Sur les conseils de mon frère, je m’envole pour Montpellier et m’inscris en fac de biologie, une matière que j’aimais bien et dans laquelle j’avais commencé à me spécialiser au lycée. Au fil des années, je valide une licence, un master puis un doctorat en Neurobiologie en 2007 grâce à mes recherches à l’Institut des Neurosciences de Montpellier. Je m’envole ensuite pendant six ans aux Etats-Unis pour faire de la recherche dans un institut très réputé qui a abrité pas moins de 11 prix Nobel : le Salk Institute (La Jolla, Californie, Etats-Unis), fondé par le chercheur qui a découvert le vaccin contre la polio.

Steeve à droite à la tête de son équipe de recherche à San Diego

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rentrer à la Réunion ?

J’ai eu ce parcours entre la Métropole et l’étranger mais je n’ai jamais oublié mes origines réunionnaises dont je reste très fier. En 1997, lorsque j’ai quitté mon île, je me suis fait la promesse d’y revenir un jour, coûte que coûte, avec des diplômes, de nouvelles compétences et des projets pour faire avancer l’île. Je suis aussi revenu à La Réunion pour des raisons familiales : je voulais revenir auprès de ma famille. Etre auprès de mon père qui vieillissait, voir mon neveu et mes nièces grandir, permettre à ma fille de grandir et de s’épanouir dans notre culture, riche et exceptionnelle à tous points de vue.

Avez-vous préparé votre retour d’une façon spécifique ?

Je n’ai pas planifié et organisé mon retour à La Réunion. Ce sont les hasards et les épreuves de la vie qui m’ont ramenés sur ma terre natale ! En effet, aux Etats-Unis, en 2011, ma femme apprend qu’elle est atteinte d’une forme très rare de cancer des os. Après avoir essayé tous les traitements de pointe possibles, nous sommes rentrés en urgence à la Réunion en avril 2016 alors que son état de santé se dégradait rapidement. Elle nous a quittés en mai 2016.

Décrivez nous votre état d’esprit à l’atterrissage à Gillot.

Notre retour à la Réunion a été un véritable soulagement, après les derniers mois éprouvants passés aux Etats-Unis entre le déménagement, l’organisation de notre voyage retour et l’aggravation de l’état de santé de ma femme. Cependant, nous étions aussi très heureux de revenir dans notre île. Au début, nous étions hébergés chez mes beaux-parents. Je n’ai pas cherché de travail immédiatement, en raison de l’état de santé de ma femme : je voulais être au maximum à ses côtés. Les dons - récoltés à l’occasion d’une levée de fond réalisée par nos amis pour ma femme - nous ont permis de vivre sereinement les premiers mois de retour et de nous concentrer sur la prise en charge médicale de ma femme. Je profite de ces lignes pour remercier toutes les personnes qui nous ont soutenues d’une manière ou d’une autre dans cette période personnellement très difficile.

Comment vous êtes-vous réinséré professionnellement ?

Fin 2016, j’ai effectué un remplacement au CYROI (Cyclotron Réunion Océan Indien). J’ai pu ainsi ouvrir un nouveau chapitre de ma vie - après le décès de ma femme - et faire connaissance avec les différentes équipes de recherche et les start-ups qui y sont hébergées. A cette occasion, j’ai remarqué que le marché du travail dans le domaine de la recherche et de l’innovation à la Réunion était plutôt dynamique, notamment du fait du soutien financier de la région Réunion et de l’Europe. Au CYROI, j’ai été écouté à ma juste valeur, grâce à mes expériences passées et mes compétences acquises en Métropole et aux Etats-Unis.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Cette année, j’ai été reçu au concours national de chercheur de l’INSERM. J’ai également été lauréat du programme ATIP/Avenir, programme conjoint entre l’INSERM et le CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) qui me permettra de constituer mon équipe de recherche et de développer mes propres projets sur la neuropathie diabétique (étude des dommages causés aux nerfs par le diabète) pendant les prochaines années. A plus long terme, j’aimerais faire « réyoné » la recherche réunionnaise, dans l’océan indien et dans le monde, en tirant le meilleur de la matière grise exceptionnelle que nous avons sur notre territoire.

Qu’avez-vous trouvé de changé à votre retour à la Réunion ?

Ce que j’ai trouvé de changé - et même de choquant je dirais- à mon retour à la Réunion c’est le pourcentage de personnes en surpoids. Un Réunionnais sur deux est obèse ! Nous qui critiquions les Américains il y a quelques années, nous faisons mieux qu’eux. C’est nous les « gros » maintenant ; certaines personnes vivent pour manger et plus l’inverse ! Les comportements alimentaires sont irrationnels. Les caddies débordent de malbouffe (sodas, chips, friandises, plats cuisinés, etc). Bientôt toute une génération de Réunionnais ne saura même plus cuisiner créole, à force de manger des barquettes remplies à ras bord tous les jours : il y a au minimum deux repas dans une barquette !

Au Salk Institute en compagnie du Professeur Roger Guillemin, d’origine Française et prix Nobel de physiologie 1977

Malheureusement, encore une fois ce sont les personnes les plus modestes qui subissent de plein fouet cette tragédie de l’obésité et des maladies qui y sont associées : diabète, cholestérol, pression artérielle… L’une des solutions serait de renforcer l’apprentissage des bonnes habitudes et comportements alimentaires à nos enfants dès le plus jeune âge - à l’école primaire par exemple - pour qu’ils puissent, à leur tour, les transmettre à leurs parents !

Qu’est-ce qui vous surprend le plus par rapport à l’endroit où vous viviez en mobilité ?

Là où je vivais aux Etats-Unis, à l’inverse de l’épidémie d’obésité qui est en pleine explosion à La Réunion, les gens mangeaient plus sainement, faisaient du sport et se préoccupaient beaucoup plus de leur santé. Ils ont déjà dépassé cette étape d’épidémie de surpoids généralisée que nous connaissons actuellement : nous avons un décalage de 5 à 10 ans avec ce qui se passe aux Etats-Unis. Là-bas, ils ont bien compris les dangers de la surconsommation orchestrée par l’industrie agroalimentaire. A nous de réagir et vite !

Le rapport au travail est aussi totalement différent entre les Etats-Unis et La Réunion. Ici certaines personnes, dès qu’elles peuvent « tiré o ki » elles ne se gênent pas ! Malheureusement, ces personnes ont tendance à travailler plus par intérêt personnel et pour leur poche que pour l’intérêt collectif. C’est cette mentalité individualiste, qui nous empêche parfois d’avancer et, sur certains sujets, de faire de notre île un territoire d’excellence.

Quels sont les points de satisfaction / déception de votre retour ?

Parmi les points de satisfaction, je note une certaine prise de conscience des problèmes de santé et environnementaux (diabète, cancer, pesticides, plastique, etc), avec notamment de nombreux commerces proposant des produits Bio, dont certains sont fournis par de plus en plus d’agriculteurs locaux. Parmi les déceptions, je peux évoquer le manque de grands projets d’envergure pour la Réunion et l’abandon de certaines infrastructures de transport qui auraient pu faire de La Réunion un territoire pionnier. Je pense ici au Tram train. Sur les transports à La Réunion, j’ajouterai que le manque de cohérence et de vision à long terme fait que la voiture est encore bien trop présente autour de nous alors qu’elle génère bon nombre de désagréments parmi lesquels la pollution ou encore les embouteillages,qui tendent à devenir de plus en plus longs et pénibles au fil des jours ! Je déplore enfin le manque cruel de renouvellement de la classe politique. J’ai grandi avec des hommes politiques qui malgré plusieurs condamnations sont toujours au pouvoir ! « Dan vyé marmite y fé pa touzour bon carry ! »

Avec le recul, tirez-vous un bilan positif de votre expérience de mobilité ?

Mon expérience de mobilité a été très positive et enrichissante, même si elle a été loin d’être toujours simple. Chaque Réunionnais devrait pouvoir bénéficier d’une expérience à l’étranger - pas qu’en Métropole – pour mieux comprendre la chance que nous avons de vivre dans cette île pluriculturelle et fragile qui est la nôtre, mais aussi prendre la pleine conscience de toutes ces aides dont nous bénéficions et qui n’existent pas ailleurs : Sécurité Sociale, RSA, Allocations chômage, Aide à la Continuité Territoriale, etc.

Mon regard sur la société a totalement changé depuis mon départ. Je porte un regard plus critique. Les années passées à l’extérieur me permettent aujourd’hui de prendre du recul en comparant les aspects positifs et négatifs de l’évolution de notre société, par rapport à ce qui j’ai pu observer dans les pays que j’ai eu l’occasion de visiter. Partir de la Réunion m’a permis d’ouvrir mes yeux et mon esprit. Une ouverture sur le monde qui m’a permis de découvrir de nouvelles cultures, rencontrer de nouveaux amis et également de me rendre compte de l’immensité et la diversité du monde dans lequel nous vivons... de mes propres yeux !

Quels conseils donneriez-vous aux Réunionnais qui comme vous souhaiteraient rentrer sur l’île ?

Je donnerais trois conseils aux Réunionnais qui veulent revenir :
- Renseignez- vous bien sur les possibilités d’emploi dans votre domaine.
- Contactez et venez sur place rencontrer les potentiels employeurs.
- Suivez votre intuition et n’ayez pas peur.


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