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Stéphanie Ah-Fa, maquilleuse et prothésiste à Tokyo

Publié le 4 juillet 2022

A 33 ans, cette Tamponnaise a développé une compétence professionnelle pointue qui l’a fait voyager des Etats-Unis au Canada, en passant par la France et l’Italie. Aujourd’hui recrutée au Japon, elle partage son parcours et ses motivations. “Je suis quelqu’un qui aime vivre dans une certaine zone de confort, mais je me suis rendue compte que la magie survient lorsque j’en sors”...


Pouvez-vous vous présenter ?

Stéphanie Ah-Fa, j’ai 33 ans et je viens du Tampon. Nos parents nous ont toujours soutenues, mes soeurs et moi, pour poursuivre les études qui nous plaisaient. J’ai donc quitté la Réunion à 18 ans pour faire des études de japonais et de commerce international à Paris. Après avoir obtenu ma licence, j’ai complètement changé d’orientation. J’ai fait une formation de deux ans dans une école de maquillage professionnel : ITM Paris.


Et ensuite ?

J’ai travaillé en free-lance en tant que maquilleuse pendant quatre ans, puis j’ai eu l’opportunité de travailler dans une société de prothèses esthétiques à Paris. Mon profil de maquilleuse était recherché car j’étais déjà habituée à utiliser du silicone pour le maquillage d’effets spéciaux, et évidemment à travailler avec différents types et couleurs de peau. C’est ce qui m’a permis de mettre un pied dans le monde de la prothèse. Cet emploi m’a fait faire beaucoup de voyages professionnels plusieurs fois par an, aux Etats-Unis, au Canada et en Italie. Je passais près d’un quart de l’année à l’étranger ! J’y ai travaillé pendant quatre ans, avant de commencer ma nouvelle aventure au Japon.


Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Je vis au Japon depuis un an et demi, mais j’étais déjà venue pendant un an avec un visa vacances-travail en 2019. Je travaille en tant que coloriste pour des prothèses en silicone dans une entreprise japonaise du nom de Aiwa Prosthetics & Orthotics à Tokyo. J’y travaille officiellement depuis début 2021, mais j’avais obtenu une promesse d’embauche ainsi que leur accord pour sponsoriser mon visa de travail fin 2019. Mais après cela, le Covid a commencé à se répandre partout dans le monde, les frontières se sont fermées, les dispenses de visa suspendues, etc. Au final, j’ai eu énormément de chance qu’ils m’aient attendu pendant plus d’un an avant que je ne puisse réellement prendre mon poste.

En quoi consiste votre travail ?

Il permet de fabriquer des prothèses sur mesure adaptées au corps de chaque patient. Je peins couche par couche des prothèses en silicone, afin qu’elles ressemblent le plus possible à la couleur de peau des patients qui ont subi une amputation. C’est un travail artisanal minutieux qui demande de la précision, de la patience et de savoir nuancer des couches de couleur afin de rendre le tout réaliste pour un rendu naturel.

Quel est votre regard sur la région où vous vivez et ses habitants ?

Pour moi, les Japonais ont toujours été un peuple à part, complexe et fascinant. A la fois très porté sur la modernité mais ancré dans les traditions. A la fois intéressé par des cultures étrangères, mais évoluant au quotidien dans une société ultra-homogène avec des règles de conduite inflexibles. Une chose est certaine, les Japonais sont d’une grande politesse et d’une serviabilité que je n’ai jamais rencontré ailleurs. Le japonais n’est pas une langue facile, mais s’ils voient que vous faites l’effort de l’apprendre et d’essayer de communiquer, ils sont toujours très bienveillants et volontaires pour vous aider. Le Japon possède aussi une énorme diversité de paysages et des spécialités culinaires locales très différentes selon les régions. Autre avantage, le Japon est un pays très sûr. C’est très agréable pour voyager seule lorsqu’on est une jeune femme, mais aussi au quotidien de ne pas être constamment sur ses gardes.


En vérité, chaque étape de mon parcours disparate a pris tout son sens et son utilité pour arriver là où j’en suis maintenant. Avoir étudié le japonais, avoir étudié le maquillage, avoir travaillé dans une boîte française de prothèses... me voilà désormais à travailler pour une entreprise de prothèses à Tokyo. Récemment, j’ai même eu l’opportunité de participer au tournage d’un film au Japon en tant que maquilleuse d’effets spéciaux !

Quels sont vos projets ?

Je ne fais pas de projets fixes à long terme ; je me suis toujours laissée porter en fonction de mes instincts, de mes envies et des opportunités qui se sont présentées à moi. C’est assez paradoxal car en vérité je suis quelqu’un qui aime être dans une certaine zone de confort, mais je me suis rendue compte que la magie survient lorsque j’en sors. Comme on dit, la fortune sourit aux audacieux… et comme on dit chez nous, « pa kapab lé mor san eséyé » ! Donc je ne réfléchis pas trop au futur de manière concrète et précise. Je sais juste que pour l’instant, je souhaite rester au Japon un peu plus longtemps et puis on verra bien où la vie me mènera !

Quels ont été les avantages / inconvénients du fait de venir de la Réunion dans votre parcours ?

Le fait de venir de la Réunion ne m’a jamais porté préjudice lors de mes études ou de ma carrière. Au contraire, cela a toujours été un avantage car les gens que j’ai rencontré lors de mes voyages à l’étranger ont souvent été très intrigués. Une jeune femme qui a l’air asiatique, mais de nationalité française, qui a vécu et travaillé à Paris, mais qui a grandi sur une île dans l’Océan Indien proche de Madagascar…ça leur demandait une certaine gymnastique géographique qui avait le mérite d’être peu banale ! L’un des avantages d’être Réunionnais selon moi est notre capacité à s’adapter. Nous sommes habitués à côtoyer plusieurs types de cultures en raison de la mixité ethnique et culturelle de notre île. Par conséquent, je me suis toujours rapidement entendue avec les locaux et acclimatée aux différents pays où j’étais. Bien entendu parler des langues étrangères, être curieux et ouvert ça aide évidemment.

Quelle est l’image de la Réunion là où vous vivez ?

L’image de la Réunion est quasi inexistante à vrai dire. Soit les gens n’en ont jamais entendu parler, soit ils arrivent à s’en approcher géographiquement car ils ont entendu parler de l’île Maurice. La majorité de l’inconscient collectif des étrangers est d’associer la France à Paris. Au départ quand je me présente comme française et que je dis que je viens d’une île proche de Madagascar, les gens ont du mal à visualiser ou à imaginer qu’un territoire aussi lointain fasse partie de la France. Quand j’étais aux Etats-Unis, je disais que c’est comme Hawaii, et maintenant que je suis au Japon, je dis que c’est comme Okinawa. Sauf qu’à la Réunion, nous avons à la fois les cascades, la montagne, le volcan, la mer, le lagon, les forêts... donc forcément c’est mieux !


Qu’est-ce qui pourrait vous convaincre de revenir habiter à la Réunion ?

Pour l’instant, je n’ai pas pour projet de retourner vivre à la Réunion. En terme d’opportunités de carrière, j’ai un parcours atypique et un boulot de niche. Je doute de pouvoir trouver le même type de travail sur l’île. Après, si jamais j’ai des enfants, pourquoi pas. J’ai eu une enfance merveilleuse entourée de paysages incroyables, et la possibilité de grandir sans connaitre de discrimination raciale. Dans notre monde actuel, c’est complètement idyllique comme enfance. J’aimerais que mes futurs enfants puissent bénéficier de cette chance.

Avez-vous des contacts avec des Réunionnais ?

Ma meilleure amie est une Réunionnaise de Saint-Denis. Je l’ai rencontrée le premier jour de fac à Paris, en cours de japonais. Ça a été un vrai coup de foudre amical et nous sommes toujours en contact régulier depuis plus de 15 ans maintenant. J’ai pu la revoir récemment à Las Vegas alors que j’y étais pour animer une conférence et représenter ma compagnie japonaise. C’est une grande voyageuse et le heureux hasard a fait que nous avons pu nous retrouver là bas, bien loin de notre terre natale à toutes les deux ! A part elle, je n’ai malheureusement plus beaucoup de contact avec des Réunionnais si ce n’est quelques amis de collège-lycée que je croise une fois tous les deux ou trois ans quand je reviens à la Reunion.

Qu’est-ce qui vous manque de votre île ?

Avant tout ma famille. De plus avec le Covid et les restrictions de voyages, certains pays comme le Japon sont devenus plus difficiles d’accès qu’avant en terme de liaisons aériennes. Cela fait plus de deux ans que je n’ai pas pu voir mes parents ainsi que le reste de mes proches, et cela me pèse. Ensuite, ce qui me manque c’est la nourriture ! La cuisine réunionnaise est vraiment une des meilleures à mon goût ; elle est à la fois parfumée, épicée, conviviale, subtile et en même temps riche. Les samoussas, les bonbons piments, les piments farcis, les bonbons miels, le rougail saucisses, le rougail mangue... je salive rien que d’y penser ! Les fruits me manquent aussi. Ils sont horriblement chers au Japon et le choix est très limité. Et puis les paysages, le ciel, l’air de chez nous, c’est un tout qui fait que quand je rentre, je me sens vraiment à la maison dès la sortie de l’aéroport Roland Garros.

Les 3 soeurs Ah-Fa : Julie, Sandrine et Stéphanie

Quels objets de la Réunion avez-vous apporté dans vos valises ?

Depuis que j’ai quitté la Réunion, je me balade toujours avec du safran, du massalé, de la vanille, de la pâte piment et des feuilles de cannelle. Je n’arrive pas à trouver ailleurs des épices aussi parfumées que celles de chez nous ! Venant d’une famille très portée sur la cuisine, c’est absolument nécessaire pour moi et mes soeurs (Julie et Sandrine Ah-Fa qui ont eu aussi leurs articles sur Réunionnais du Monde !) d’avoir nos épices avec nous dans nos pays d’adoption. D’ailleurs, nous avons crée un compte Instagram appelé @3sisfoodies où nous postons nos recettes de la Réunion et d’ailleurs. Nous vivons toutes loin de la Réunion, alors il nous faut bien ça pour retrouver le goût authentique de chez nous le temps d’un repas ! Lorsque je rentre à la Réunion ou que je croise un membre de ma famille en dehors de l’île, je demande toujours de me ramener du rhum et des boîtes de grains...


Quel est votre regard sur la situation socio-économique de la Réunion ?

Pour être honnête, cela fait tellement longtemps que je suis partie que je ne suis pas trop au courant de la situation socio-économique de manière précise. De là où je suis, j’ai l’impression que pendant les restrictions de voyages liées au Covid, la Réunion a enfin été plus reconnue par les métropolitains comme une destination touristique où il était possible de se rendre avec moins de difficulté. Il était temps que notre île soit reconnue pour sa beauté et ses paysages exotiques au même titre que des destinations plus tendances mais bien plus difficiles d’accès ! J’ai d’ailleurs vu qu’il y avait eu récemment des tournages de films à la Réunion et c’est tant mieux. Notre île est un joyau de par sa nature luxuriante, ses magnifiques paysages et sa diversité culturelle. Elle mériterait d’être plus reconnue nationalement et internationalement pour ça.


+ d’infos : https://stephanieahfa.book.fr / www.facebook.com/StephanieAhfaMakeupArtist / www.instagram.com/3sisfoodies

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