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Tourisme et Recrutement : une tension et des solutions

Publié le 24 janvier 2023

Semaine de 4 jours, suppression des coupures, formation interne, distribution des pourboires, recrutement des séniors… Directeur du Palm Hôtel & Spa***** dans le Sud de la Réunion, Patrice Peta décrit l’éventail de solutions mises en place dans cette structure de 165 collaborateurs, qui fait face comme tout le secteur aux difficultés de recrutement. Il revient également sur le partenariat mis en place entre la Fédération Réunionnaise de Tourisme et le site Réunionnais du monde.

Interview réalisée par la Fédération Réunionnaise de Tourisme


Retour sur le dispositif partenarial FRT / Réunionnais du Monde : avez-vous pu recruter sur les offres postées récemment par votre service RH ?

Patrice Peta : Oui, nous avons eu des candidatures et avons pu recruter. Je trouve que ce partenariat est très bien. Ce qui est intéressant avec Réunionnais du Monde, c’est que la plateforme vient capter des Réunionnais qui ont une expérience à l’extérieur et qui parfois reviennent. Ce sont pour moi des profils très riches ! On sait que la plupart des Réunionnais en mobilité souhaitent à un moment rentrer au pays, et j’aime particulièrement ce type de recrutement-là car il s’agit de personnes qui reviennent, et qui savent bien souvent pourquoi elles reviennent sur l’île.

Pour moi votre partenariat est super. J’aime aussi beaucoup l’idée de la FRT centraliser les valeurs d’entreprise sur un espace commun. Aujourd’hui chacun le fait un peu de son côté, mais montrer que La Réunion est un territoire avec des entreprises qui ont des valeurs humaines, c’est intéressant et attractif aussi pour la destination. La démarche est intéressante pour le secteur dans sa globalité en faisant presque émerger une « marque territoire ». Ce dispositif peut aussi pousser d’autres entreprises à s’aligner avec un effet de levier.

Comment se passent vos recrutements en général ?  

Au PALM Hotel & Spa, nos recrutements se passent plutôt bien, même si cela reste un moment difficile pour les entreprises touristiques, qui peinent souvent à recruter et connaissent un turn over relativement important. Le secteur fait face un réel enjeu d’image et d’attractivité de nos métiers, qui n’est d’ailleurs pas nouveau. On présente souvent la crise Covid comme élément déclencheur, mais dans le secteur touristique et notamment l’hôtellerie-restauration cette problématique est bien antérieure à la crise sanitaire.

Cette réalité nécessite de mettre en place en interne des actions de recrutement très régulièrement, surtout dans de grosses équipes comme la nôtre (nous sommes 165 collaborateurs au Palm Hôtel). Nos recrutements se passent d’ailleurs mieux depuis que nous avons mis en place un certain nombre d’actions en interne pour devenir plus attractifs pour les personnes à la recherche d’un emploi. Concernant le turn over en revanche, j’ai accepté cette dimension depuis longtemps. Pour moi, c’est d’ailleurs un enjeu sociétal, structurel et générationnel lié à un besoin de multiplier les expériences en essayant aussi des métiers différents. La seule chose que nous pouvons faire pour limiter ce turn over, c’est d’essayer de répondre à ces besoins là dans l’entreprise, notamment en termes de mobilité interne.


Quels sont les métiers les plus touchés par ce phénomène de pénurie ?

Les problèmes de recrutement concernent surtout certains postes ou services. Aujourd’hui en hôtellerie, nous n’avons pas trop de souci pour recruter dans les postes liés à l’hébergement (réception et housekeeping/services d’étage). La partie réception est un métier qui attire mieux, qui fait plus « rêver ». Il ne souffre pas des mêmes problèmes de dévalorisation dont pâtissent les métiers de bouche. Pour les métiers du housekeeping c’est encore différent. Ce sont des métiers où le recrutement est simple, qui touchent une part de la population qui s’oriente vers ces professions plus facilement, sans besoin de bagage de formation ou de diplômes.

Dans notre branche, nous avons surtout des difficultés à recruter en cuisine et en service en salle, et ce depuis de nombreuses années déjà. Paradoxalement, ces métiers étaient extrêmement bien cotés il y a une quarantaine d’années. Aujourd’hui, on s’oriente beaucoup moins dans ces métiers par passion et par envie, mais souvent par défaut. La cuisine a un peu moins souffert de ce phénomène grâce notamment à une valorisation du métier avec des émissions TV, etc. Mais cet effet s’est estompé avec le temps. J’ajouterais aussi les métiers du SPA et du bien-être, qui sont aujourd’hui importants pour notre secteur d’activités. Paradoxalement, on s’aperçoit depuis quelque temps que l’on commence aussi à avoir des difficultés de recrutement dans cette branche, particulièrement en local.

Comment le secteur réagit-il face à ces difficultés ?

Il faut réagir et on peut voir que la globalité du secteur ne réagit que maintenant, un petit peu tardivement sur la question des salaires, des horaires de coupure, etc. Mais il faut se concentrer sur le positif et se dire que maintenant il réagit ! On parle d’ailleurs souvent de ces métiers en les abordant par leurs points négatifs et par des stigmatisations : grosses amplitudes horaires, salaires bas, aucune reconnaissance, possibilités d’évolutions limitées, etc. Ce que j’appelle des « fausses vérités », qui peuvent décourager les jeunes, comme les moins jeunes à se lancer dans nos métiers… Alors qu’il existe de nombreux aspects positifs à travailler en tourisme.

« Soyons fiers de nos métiers touristiques et de leurs avantages ! »


• Il est vrai que nos métiers fonctionnent quand l’immense majorité de la population ne travaille pas : week-ends, soirs, vacances. Il est important d’accepter ce point lorsqu’on choisit notre secteur d’activités. Mais ils ont aussi fortement évolué : le nombre d’heures a réduit avec des contrats à 39h, mais aussi à 35h ou à 30h en temps partiel. La grille salariale augmente, avec des salaires plus attractifs que dans d’autres secteurs d’activités. Certains établissements touristiques s’organisent aussi, comme nous l’avons fait au Palm, pour renoncer aux horaires de coupure.

• Le secteur offre une garantie de l’emploi absolue et la capacité de travailler dans le monde entier. A l’international, la France a d’ailleurs une belle image sur ces métiers (plus que dans notre propre pays), notamment autour de la gastronomie et du service. Cela rend la recherche d’emploi plus facile à l’étranger pour les Français.

• Nous sommes un des secteurs où l’on peut évoluer le plus rapidement, en accédant à des postes à responsabilité ou de cadres sans forcément avoir un bagage diplôme important. Je n’ai moi-même aucun diplôme dans ce secteur d’activités. C’est mon expérience terrain qui m’a permis d’évoluer progressivement : de la plonge à la cuisine, de la cuisine à la salle, de la salle au bar, du bar à l’hôtel, etc. Notre secteur nous permet vraiment d’être autodidacte à 100% dès lors qu’on est motivé.

15e anniversaire du Palm en avril 2022

• Nous avons des métiers « plaisir / bonheur » qui nous permettent de partager des moments de vie de personnes sur des événements agréables voire très importants (mariages, baptêmes, etc.). Peu de métiers peuvent s’en targuer et je crois sincèrement que nous devons le revendiquer !

• Travailler en horaires décalés, c’est aussi éviter les embouteillages, les courses quand les magasins sont pleins… C’est pouvoir prendre ses vacances quand la majorité de la population travaille et partir en hors saison avec des billets beaucoup moins chers !

• Des métiers qui bougent, où la routine n’existe pas, où les relations humaines sont au centre, ce qui est passionnant ! On ne parle pas assez de tous ces avantages que l’on a à travailler dans notre secteur...

Quelles mesures avez-vous mis en place pour mieux engager vos collaborateurs et attirer de nouveaux talents dans votre structure ?

Nous avons mis en place plusieurs mesures en interne :

• Le recrutement collégial et par appétence : chaque service est autonome dans son recrutement et la personne chargée du recrutement ne le fait jamais seule. L’entretien est toujours collégial avec une ou deux personnes de l’équipe sans responsabilité particulière qui y participent. L’idée c’est qu’il y ait aussi une validation du recrutement par le collègue, ce qui facilite l’intégration. Le recrutement par les appétences, c’est recruter sur le plaisir de faire et non pas sur le savoir-faire. On valorise donc l’appétence et des « soft skills » comme l’empathie, la bienveillance, le partage, le sens de l’accueil, etc. chez la personne. On s’engage ensuite à la former en interne sur l’aspect technique du métier.

• Nous avons par ailleurs mis en place avec l’association « Resto acteurs », Pôle Emploi et la Mission locale, des ateliers de séduction aux métiers de la restauration : c’est « l’opération resto éphémères ». Elle consiste à intégrer des personnes en recherche d’emploi à priori non destinées à ces métiers sur une journée. Au programme : visite de la structure, mise en place du restaurant, service, échanges en fin de journée sur le ressenti de chacun. En général, les participants sont satisfaits de leur journée d’intégration. S’ils sont séduits, un dispositif de formation peut être lancé pouvant conduire plus tard à une embauche.

« Sois le bienvenu, on va t’apprendre ! Tu as déjà 80% de ce qu’il faut »


• Nous ouvrons aussi le recrutement aux séniors, un public intéressant pour compléter nos équipes (expériences de vie et transmission intergénérationnelle, plus de flexibilité face aux responsabilités familiales, etc.).

• L’intéressement sur résultats

• La dématérialisation et défiscalisation des pourboires rendues également possible sur les TPE, avec une redistribution équitable et facilitée pour toute l’équipe (cuisiniers, services d’étage, jardiniers, etc.).

• La semaine de 4 jours, qui permet d’effectuer le même nombre d’heures en 4 jours, avec 3 jours de repos plein dans la semaine, que l’on teste en interne (sur base de volontariat) sur la salle et la cuisine depuis le début d’année 2022.

Nous essayons d’être le plus à l’écoute possible de nos collaborateurs et le besoin d’avoir plus de temps libre à côté de son travail est un sujet qui revient régulièrement. C’est d’ailleurs sociétal : la « valeur travail » très présente dans les générations précédentes se nuance désormais avec un besoin d’avoir plus de temps pour se réaliser en dehors de son entreprise.

Ce dispositif est une vraie force d’attractivité et un test réussi pour nous car 98% de nos collaborateurs sont allés sur la semaine des 4 jours. A ma connaissance, nous ne sommes que 4 structures touristiques à le proposer à La Réunion (Iloha, Battant des lames, Va piano). C’est un peu complexe à mettre en place, avec un certain coût car il est nécessaire d’augmenter sa masse salariale donc aujourd’hui plus accessible aux structures plus grandes. Mais ce coût est à relativiser cat on diminue l’absentéisme et le turn over (qui constituent aussi un coût) et on facilite le recrutement.

• La journée d’intégration où chaque nouveau membre de notre équipe passe son 1er jour en jouant le rôle du client : découverte de l’établissement et de l’esprit d’entreprise, déjeuner au restaurant, etc.

• La suppression des horaires de coupure et les week-end tournants organisés de façon régulière et équitable

• Le droit à la déconnexion et le droit à l’erreur

• La priorisation des évolutions et de la mobilité interne : dès qu’un poste à N+1 se libère, on étudie systématiquement la possibilité de faire évoluer un collaborateur de l’équipe avant d’envisager un recrutement externe. Si une personne souhaite changer de métier, nous lui ouvrons la possibilité de le faire en interne (du restaurant à la réception par exemple). Des ateliers « vis ma vie » sont mis en place régulièrement pour essayer d’autres métiers au sein de l’établissement. Ces dispositifs permettent de limiter le turn over et d’améliorer la compréhension interservices.

Quels sont vos conseils pour conserver une bonne "marque employeur" ?

Respecter le cadre légal, travailler sa marque employeur et s’ouvrir au changement ! Il faut d’abord être vigilant sur le respect de la législation. Si nos métiers souffrent de cette image, c’est aussi parce que certaines structures de notre secteur ne jouent pas le jeu : travail non déclaré avec de fortes amplitudes horaires, durée minimum légale des temps de repos et des jours de repos non respectés, heures supplémentaires non comptées / non payées, salaires en retard… Ces abus découragent de nos métiers des personnes souvent très compétentes. Le secteur est cependant en train de prendre un virage, avec des entreprises désireuses de faire les choses bien. Je suis persuadé que ce changement aura un impact positif et deviendra la tendance qui ne laissera plus le choix à ceux qui n’ont pas encore amorcé ce virage.


Il faut aussi être cohérent pour conserver une bonne marque employeur : respecter et mettre en place ce qui est annoncé à ses équipes, être à l’écoute de ses besoins, proposer sans imposer, etc. Les entreprises touristiques qui ne sont pas encore là-dedans vont être amenées à le faire. Elles n’auront plus le choix car les personnes en recherche d’emploi iront vers les établissements qui leur offrent un cadre de travail plus vertueux. Les anciennes pratiques du secteur ne fonctionnent plus, et c’est à nous de nous adapter !

Avez-vous des idées de projets à mettre en place (public / privé) pour encore mieux accompagner les prestataires touristiques dans leurs recrutements ?

Plusieurs choses seraient intéressantes à explorer :

• Une campagne de communication pour valoriser l’image des métiers du tourisme au sens large, pour transformer les perceptions et stigmatisations qui y sont associées. Montrer que l’on partage des valeurs de bonheur avec les clients, qu’on est dans des métiers dans lesquels on évolue, dans lesquels on peut voyager dans le monde entier. L’aspect « horaires décalés » peut être intéressant à explorer également : montrer qu’on évite bien souvent les embouteillages, les foules dans les supermarchés, etc. en travaillant sur des horaires différents. Il existe un site national, « mon emploitourisme.fr », de promotion des métiers du tourisme en France et une bourse de l’emploi (poster CV, poster des offres).

• Poursuivre les projets collaboratifs autour de ce sujet. Par exemple au Palm nous sommes membres de l’association Resto acteurs. Cette association regroupe en local un certain nombre de restaurants et d’hôtels-restaurants de l’ouest et sud de l’île. A première vue, elle est composée d’établissements « concurrents », mais ils travaillent ensemble en intelligence collective autour de ces sujets qui nous concernent tous. On essaye d’aller vers une marque employeur « resto’acteurs » dans le réseau pour valoriser les démarches auprès des collaborateurs, des clients, des autres entreprises touristiques, etc. Une approche dans le goût du label « Great place to work ».

- La Sous-préfecture de Saint-Paul est aussi très impliquée sur le sujet. L’idée, c’est de travailler de manière collaborative, que les acteurs impliqués dans la thématique puissent communiquer entre eux et organiser ces projets ensemble pour ne pas se disperser.

• L’adaptation à de nouveaux modes de recrutement : sortir du CV classique et des modes de recrutement strictement basés sur les compétences. On a par exemple mis en place en juin un job dating multi sectoriel à l’aveugle à la Nordev. Cet événement nous permettait de sortir du recrutement traditionnel en se concentrant uniquement sur les appétences des demandeurs d’emploi avec un format « speed dating professionnel ». Cette opération a bien fonctionné pour nous ; sur 5 postes à pourvoir j’ai pu recruter 3 personnes, dont une personne anciennement comptable en cuisine, par voie d’appétences. Pourquoi ne pourrait-on pas aussi envisager des applications en ligne de « speed dating » spécial recrutement ?
Il faut concevoir ces nouveaux modes de recrutement et également communiquer là-dessus pour que les entreprises se les approprient et changent leurs façons de faire, en se tournant vers de nouveaux publics (reconversion, séniors, etc.)

- Pour les projets de job dating, il faut éviter de créer des événements « de masse » et faire du sourcing à la base. La dimension par les appétences peut être intéressante par exemple. On source les appétences du candidat et on les matche avec celles du recruteur.

- Pour conclure, un axe de communication qui serait intéressant à travailler et que j’aime souvent partager avec mes équipes : l’île de La Réunion est régulièrement classée dans le top 10 des plus belles îles du monde. C’est une sacrée responsabilité ! Travailler dans le tourisme à La Réunion, c’est accepter le rôle d’ambassadeur d’une des plus belles destinations du monde et pour nous au Palm, dans un des plus beaux établissements de l’île.



Le site du Palm : https://palm.re / Le site de la FRT : https://frt.re
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