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Valérie Tipveau, Auditeur financier à Sydney en Australie

Publié le 29 mai 2017

A l’âge de 28 ans, elle a décidé de quitter la Réunion pour repartir à zéro en Australie, a appris l’anglais, repassé diplômes et stages… Six ans plus tard, mère de deux petites filles de nationalité australienne, Valérie s’est fait une place dans le milieu hyper concurrentiel de la finance. Elle travaille pour l’équivalent de la cour des comptes australienne.


Valérie Tipveau

Racontez-nous votre parcours.

J’ai 34 ans. J’ai grandi aux Deux Canons à Saint-Denis, dans une famille modeste devenue progressivement un peu plus aisée grâce à la détermination de mes parents et à leur travail. Nous vivions tous chez ma grand-mère au début et mes parents travaillaient beaucoup pour pouvoir nous construire une maison sur la Possession. J’ai obtenu une maitrise de Sciences Economiques et Gestion à l’Université du Moufia et un DESS en finance bancaire à l’IAE de la Réunion. Lors de mes stages et boulots d’été, j’ai développé un intérêt pour l’Audit financier et le contrôle. J’ai alors postulé pour le premier cabinet d’audit et commissariat aux comptes de l’ile, à l’époque, où j’ai passé quatre ans avant de venir en Australie.

Qu’est ce qui vous a amené en Australie ?

J’ai été très chanceuse dans mon parcours de mobilité je pense. Pendant mes études, je voulais faire un échange Erasmus à l’étranger mais à mon époque c’était assez nouveau et les quotas pour l’Université de la Réunion étaient très restreints. Cela n’a pas pu se faire. Je voulais améliorer mon anglais dans un pays proche, voyager le plus possible et découvrir différentes cultures. Alors quand j’ai entendu parler de l’ouverture d’une ligne directe entre la Réunion et l’Australie par Air Austral, j’ai pris mon billet d’avion pour un mois de vacances sur le continent. J’y ai rencontré mon mari...

Et ensuite ?

Cela parait simple comme ça, mais ça ne l’a pas été. Il est français, finissait son volontariat international en entreprise en Australie et on se connaissait à peine. On a fait un an de « relation Skype » entrecoupée de quelques rencontres avant de se décider à repartir ensemble là où tout avait commencé. Ce qui nous a décidé, c’est que mon partenaire a obtenu une offre d’emploi à Sydney et un visa de travail. Il faut dire qu’il est parfaitement bilingue et qu’il a eu un parcours international.

Comment vous êtes-vous préparé ?

C’était ma première expatriation. Fière comme une Réunionnaise, je ne voulais surtout pas dépendre de mon partenaire. Alors j’ai vendu ma voiture les larmes aux yeux comme toute bonne créole, vidé mes comptes en banque et je suis partie en Working Holiday Visa. J’ai pris six mois de cours d’anglais général puis d’anglais des affaires dans une école pour adultes. Mon anglais s’est amélioré incroyablement vite.


Une fois ma confiance retrouvée, je me suis lancée sur le marché de l’emploi, que beaucoup de monde décrit comme facile, puisque l’Australie connaît seulement 6% de chômage. Je m’étais dit que venant d’une ile où le chômage est proche des 23%, même avec mon anglais basique, je m’en sortirais. Et bien faux ! A Sydney tout dépend du secteur, et le marché de l’emploi des étrangers est très concurrentiel. Dans le secteur de l’Audit, les jeunes travaillent souvent dès leur 18 ans (en alternance) et ils sont tous Expert Comptables (Chartered Professional Accountant) trois ou quatre ans après leurs études. Il faut ajouter un grand nombre d’étrangers qualifiés et expérimentés, qui sont à la recherche du « rêve Australien ».

Qu’avez-vous fait ?

Et bien j’ai repris les études. J’ai passé un Master en comptabilité professionnelle pour être capable de parler de mon expérience professionnelle en anglais, me mettre à jour des normes comptables internationales et passer l’équivalent du diplôme d’expertise comptable Australien. Une fois diplômée, le problème a été que mon expérience n’était pas locale ! J’ai dû me trouver un stage non payé pendant trois mois pour avoir cette première expérience locale et référence qui a, en effet, tout débloqué pour moi. J’ai ensuite enchainé des contrats en Audit, progressivement refait mon CV aux couleurs locales. La chance dont je parlais au début, c’est d’avoir eu le soutien moral et, sur une période, financier, de mon mari. Je serai surement rentrée au bout d’un an sans ce soutien.

Quel bilan tire-vous de votre expérience de la mobilité ?

Je ne regrette pas du tout mon expatriation, même les galères. D’abord parce que grâce à elle, j’ai épousé le mari le plus patient et aimant qui soit, de qui j’ai eu deux merveilleuses petites Australiennes, et ensuite parce que j’apprends tous les jours : sur moi, sur l’Australie… et même sur la Réunion ! J’ai appris entre autres à lâcher prise et qu’on ne peut pas tout contrôler (le comble pour un Auditeur !). J’ai appris l’humilité. On peut avoir un titre, un travail, un réseau bien tissé, de l’argent et du jour au lendemain n’être personne et devoir tout recommencer (progressivement montrer ce que tu sais faire et qui tu es).


Et bien sûr j’ai appris l’anglais ; un nouveau monde s’est ouvert à moi ! Je peux voyager presque partout, communiquer avec des hispanophones, brésiliens, indiens, chinois, japonais… grâce à une seule langue commune et apprendre sur leur culture, économie et traditions ! Je peux regarder des films anglosaxons dans leur langue d’origine, et je ne loupe plus l’humour et les subtilités qu’on perd habituellement avec le doublage en français. J’ai élargis mes possibilités.

J’apprends aussi sur la Réunion, parce que les gens te posent des questions de toute sorte. Ils ne comprennent pas le concept de département français encore moins outre-mer, alors ils te forcent à réfléchir et t’intéresser davantage à la culture et l’histoire de la Réunion. J’espère qu’elle fait maintenant partie des programmes scolaires sur l’île !

Quels ont été les avantages / inconvénients du fait de venir de la Réunion dans votre parcours ?

Le fait de venir d’une île française était un inconvénient surtout parce que mon CV était 100% « made in Réunion ». Je pense que si je l’avais « internationalisé » avec des études ou un emploi à « Paris » (que beaucoup d’étrangers considèrent être « la France »), je n’aurais eu aucun inconvénient à venir de la Réunion. Mais malheureusement beaucoup de gens pensent encore qu’une île est forcément peu développée et n’offre pas la même qualité d’études que sur les grandes terres. On ne peut pas les blâmer, sachant que même parmi nous, les Réunionnais, beaucoup de gens pensent comme ça. La vérité, c’est que venir de la Réunion nous rend plus adaptable à la culture australienne qui est très proche de la nôtre sur tous les points même professionnels. En tout cas, plus proche que la culture parisienne...

Quels sont vos projets ?

J’ai déjà réalisé la plus grande partie de mes projets en fondant ma famille ici, mais il y a encore beaucoup à faire. Je continue à étudier et espère obtenir bientôt mon expertise comptable locale, ce qui me permettra de progresser dans ma carrière. Nous essayons également d’obtenir la nationalité australienne. Je souhaite faire grandir mes filles ici, encore quelques années en tout cas, pour qu’elles n’aient pas à devoir apprendre l’anglais à 28 ans comme j’ai dû le faire. Je leur souhaite par contre d’apprendre d’autres langues ou de s’expatrier car c’est une expérience très enrichissante. J’ai aussi envie qu’elles soient positivement influencées par le modèle scolaire australien que je trouve personnellement mieux adapté à l’épanouissement personnel, en tout cas chez les petits.

Après les attentats de novembre 2015 à Paris

Quel est votre regard sur la région où vous vivez et ses habitants ?

Sydney est une très belle ville, dynamique et sure. Le travail est très important pour les Australiens mais la famille passe avant tout et il est important pour eux de continuer à avoir des activités personnelles, comme le sport ou autre passion. Ils respectent la loi et les règles. Les Australiens ont beaucoup moins peur de l’avenir que nous et sont par conséquent plus pro actifs. Ils vivent dans une économie florissante, changent de job souvent, ne travaillent pas en attendant une retraite qui ne tombera peut-être jamais. Il n’est pas rare ici de rencontrer des employés de 70 ans dans les entreprises et heureux. Les jeunes font de plus en plus d’études longues en travaillant à côté. Le marché de l’immobilier est extrêmement cher mais une fois qu’on a accès à la propriété, on ne la paye qu’une fois : il n’y a pas d’impôt inattendu et éternel qui nous tombe dessus.

Y-a-t-il un côté sombre du modèle australien ?

J’ai aussi noté beaucoup de paradoxes comme par exemple un côté très traditionnel, un peu contradictoire avec cette dynamique que je décris ou les inégalités homme/femme dans le monde professionnel. Le prix des crèches que l’on paye pendant cinq ans accentue ces inégalités. Les femmes sont souvent obligées de décaler leur progression professionnelle pour s’occuper de leur famille jusqu’à ce qu’ils soient en âge d’aller à l’école gratuite (à cinq ans).

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de la Réunion ?

Ça fait plus de six ans que j’ai quitté la Réunion, mais ce que je peux dire c’est qu’il y a beaucoup de choses à faire. Les contraintes administratives et les taxes n’aident pas les petits entrepreneurs à se lancer sans craintes. Je trouve aussi que la Réunion a réussi à améliorer et diversifier sa “réputation internationale” au cours des dernières années. Les spots de surf et le body board réunionnais sont connus par beaucoup d’Australiens. De plus en plus connaissent aussi le volcan et le Grand Raid.

Qu’est-ce qui vous manque de votre île ?

Pas mal de choses, surtout la famille bien sûr. Les distances sont très longues. Pour se voir on doit prendre trois avions, avec des transits de trois ou quatre heures à chaque fois. C’est très dur surtout avec des enfants et très couteux. Ce qui me manque, c’est aussi le rougail saucisses, entendre le séga dans les grandes surfaces, radio Freedom, rouler à plus de 70 km/h sur des grandes voies (c’est horrible comme ils roulent lentement en Australie !), la mer à 28 degrés, ne pas avoir à brancher son GPS pour savoir oùon est, et aller chez maman le weekend pour manger le cari poulet de mamie (les Réunionnais comprendront). Ici j’ai ramené pas mal de chose de la Réunion, mais bien sur l’objet incontournable c’est le pilon. Jamais sans mon pilon !

Qu’est-ce qui pourrait vous convaincre de revenir habiter à la Réunion ?

Certains avantages de la vie australienne : une école internationale où les élèves pourraient avoir des cours moitié du temps en français moitié du temps en anglais ; plus de sécurité, que ce soit dans les écoles ou dans les lieux publics ; une route du littorale livrée ; la restitution de nos mers avec une vraie solution contre les requins ; un bon boulot qui me permettrait de payer cette école internationale et de voyager souvent avec ma famille pour continuer à découvrir le monde...

Voir le profil de Valérie Tipveau / www.reunionnaisdumonde.com/r/15/Australie-Oceanie (203 inscrits)

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