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Vincent Paulin : dans les arcanes des hautes études

Publié le 28 septembre 2020

Professeur de BTS sur l’île, il repart étudier à Paris avec pour objectif d’intégrer l’ENA. Ce Saint-Pierrois investi dans l’association « De La Réunion Aux Grandes Écoles » raconte son parcours et les projets qu’il mûrit pour l’amélioration des conditions d’études des Réunionnais.


Pouvez-vous vous présenter ?

Vincent Paulin, 30 ans, originaire de Saint Pierre où j’ai passé la quasi-totalité de mon enfance. Je suis issu d’une famille chrétienne et j’ai grandi dans un milieu modeste, d’un père artisan et d’une mère infirmière. Etudiant à l’Université de la Réunion, j’ai décroché mon Master en économie en qualité de Major de promotion. Puis, direction Paris pour un second Master en économie à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, où j’ai pu préparer les concours de l’enseignement, notamment celui de l’Agrégation en Economie-Gestion.

Et ensuite ?

Plus jeune lauréat de l’Académie à l’Agrégation externe en 2014 , j’ai fait mes armes en région île de France avant d’avoir le plaisir d’exercer (enfin à la Réunion) en BTS depuis bientôt cinq ans. Etant arrivé aux limites de mes responsabilités d’enseignant, j’ai décidé de me lancer dans les concours de la haute fonction publique avec l’objectif de représenter au mieux les intérêts des Réunionnais et ultramarins. En juillet 2020, j’ai eu l’honneur d’être admis à la classe préparatoire de l’ENA et je prendrai un nouveau départ à l’IGPDE de Paris-Vincennes. L’Institut de la Gestion Publique et du Développement Economique est réputé pour la qualité de ses intervenants et la rigueur de sa formation. J’ai hâte de pouvoir débuter cette formation d’ici un mois.

Racontez-nous votre admission, à 22 ans, à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Les conditions de départ et d’intégration furent assez difficiles. La première étape fut de passer l’entretien d’admission en Master de l’Université à Paris. Pour ce faire, il était obligatoire de se rendre sur place pour le dit entretien. Venant des Outre-Mer, j’ai dû débourser de ma poche les frais pour le billet d’avion ainsi que les frais d’hébergement. A ma grande surprise, aucune prise en charge par les organismes tels que LADOM, ou la Région n’était prévue pour les entretiens d’admission. A l’époque, je donnais des cours du soir pendant mes études, cela m’a permis d’y faire face.

La Sorbonne

Et pour le logement ?

L’expérience la plus révélatrice des inégalités Réunion/Métropole fut la recherche d’appartement à Paris. Pour financer mon Master à Paris, j’ai eu recours à un emprunt étudiant afin de payer mon loyer et mes charges courantes. Arrivé sur Paris, malgré un compte bien fourni, les bailleurs refusaient systématiquement mon dossier car venant des Outre-Mer. Mes garants n’étaient pas "éligibles". Il fallait obligatoirement un garant résidant sur le territoire métropolitain pour consolider la candidature. Au final, après avoir été hébergé pendant trois mois chez un ami réunionnais, j’ai pu me loger par une solution alternative proposant des locations meublées de courte durée moyennant un loyer plus élevé.

Avez-vous une anecdote à partager ?

J’étais si désespéré pour trouver un appartement que je leur proposai de payer les douze mois de loyer en une fois dès l’entrée des lieux. Malgré ma bonne volonté, rien n’y faisait ! C’est sûrement quelque chose à mettre en place pour nos étudiants qui partent : développer une caution solidaire avec des acteurs publics locaux garants. Il en existe sur l’île pour des emprunts de start-up (Réunion Active/Solidaire), pourquoi ne pas élargir le dispositif pour des étudiants ultramarins accédant aux grandes écoles ou boursiers ?

Que vous a apporté l’expérience de la mobilité ?

La mobilité est à mon sens une étape fondamentale dans la construction du parcours professionnel et personnel d’un Réunionnais. S’il en a l’occasion, c’est une opportunité qu’il faut saisir quitte à sacrifier provisoirement son confort de vie. Dans mon cas, au final plusieurs aller-retour en quelques années m’ont permis de me forger une identité entre traditions locales et modernité de la capitale. 


Quels ont été les avantages / inconvénients du fait de venir de la Réunion dans votre parcours ?

Le fait de venir de la Réunion reste aujourd’hui une barrière à l’entrée dans bien des milieux. Que ce soit professionnel - en devant pallier son « diplôme cocotier » - ou dans les discussions du quotidien, il faut parfois balayer quelques idées reçues : « Pourquoi un GPS ? Vous n’avez qu’une seule route de toute façon ? » « Ah bon vous avez Internet ? »… vraies questions en 2020 de collègues pourtant bienveillant et s’intéressant (bien que maladroitement) à la Réunion. L’île n’est pas parfaite mais comme dit la chanson « Chacun’ na son défaut, met’ pas créole pli ba que la ter’ ».

Notre atout en étant natif de l’île ? Réunionnais que nous sommes, nous avons grandi avec des valeurs plus ancrées que d’autres telles que le multi-culturalisme, le vivre ensemble et l’acceptation de la différence. Cette vision alternative de notre société est une vraie richesse en métropole. C’est pourquoi, j’encourage ponctuellement mes étudiants à lire, écouter ou même regarder les discours des grands hommes qui ont contribué à cette vision : Nelson Mandela, Martin Luther King, Aimé Césaire…

Quels sont vos projets ?

Préparer avec une pleine motivation le concours de l’ENA pendant un an et d’autres concours de la haute fonction publique. A terme, je souhaiterais pouvoir exercer à la Réunion un poste stratégique permettant de servir au mieux les intérêts du territoire.
En parallèle, j’ai à coeur de développer l’aide aux étudiants réunionnais et d’assurer la liaison en tendant la main à cette nouvelle génération de pépites. Je pense notamment à Adèle Hoarau qui a eu le mérite de fonder l’association De La Réunion Aux Grandes Écoles. Association à laquelle j’ai adhéré directement et qui je l’espère permettra aux jeunes réunionnais méritants de ne plus faire face aux mêmes difficultés que j’ai rencontrées. Être à Paris pourra faciliter, j’en suis sûr, l’accueil des étudiants mais aussi certains partenariats avec les élus et acteurs locaux. Par ailleurs, plusieurs parlementaires nous ont apporté leur appui et les modalités d’aide sont en cours de discussion.

L’ENA dans le 6e arrondissement

Qu’est-ce qui vous a convaincu de repartir vivre à Paris alors que vous étiez déjà en poste définitif ici ?

Les perspectives que m’ouvrent le concours d’admission à l’ENA sont diversifiées et attractives. Il est possible d’évoluer vers une large palette des postes de hauts fonctionnaires allant de la Cour des Comptes à la Préfectorale. En cas d’admission, cette certitude de pouvoir accéder à la haute fonction publique et potentiellement faire bouger les lignes à la Réunion dans quelques années est une motivation supplémentaire. Et puis montrer que « NOU LE CAPAB » !

Avez-vous pour objectif de rentrer ensuite habiter à la Réunion ?

Oui. D’un point de vue professionnel, pour exercer à un poste de haut fonctionnaire me permettant d’être force de proposition sur certaines problématiques bien ancrées : vie chère, tourisme, chômage, éducation. C’est, à mon sens, un défi collectif qui doit être porté par les Réunionnais et pour les Réunionnais. D’un point de vue personnel, une motivation supplémentaire pour rentrer vivre sur l’île est de pouvoir y fonder une famille. La beauté des paysages, la douceur de vie, la proximité familiale sont tant d’éléments que je souhaite partager avec mon enfant dès sa plus tendre enfance.

Avez-vous des contacts avec des Réunionnais ?

En métropole, j’ai quelques amis avec qui j’ai partagé ma scolarité. Je les vois dès que nos emplois du temps le permettent. Le partage entre Réunionnais reste la pierre angulaire de la solidarité en métropole. On s’organise, on attend que l’un rentre pour ramener des épices, des bouchons, et autres « créolités ». Je serai en métropole à partir de novembre et malgré une préparation intensive qui m’attend, j’espère pouvoir tendre à la main à de nouveaux arrivants dans la capitale avec un beau repas partage en perspective !


Quelle est l’image de la Réunion en métropole ?

Il y a une méconnaissance globale des Outre-Mer. Peu arrivent à positionner sur une carte la Guyane, la Guadeloupe et la Réunion. Maintenant, pour leur défense, peut-on vraiment leur en vouloir ? Qui sur l’île est fin connaisseur de toutes les régions de France et arriverait à citer les spécificités de chacune de ces régions ? Je pense que cela relève davantage de notre responsabilité d’ultramarin d’apporter un éclairage quant à notre île et d’entretenir une part de rêve dans l’imaginaire des potentiels visiteurs.

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de la Réunion ?

Il faut garder en mémoire que nous héritons d’un lourd passé issu de la colonisation. Depuis l’abolition de l’esclavage, la Réunion grâce aux aides françaises et européennes a pu opérer un remarquable rattrapage économique et social. Les réformes structurelles et les investissements dans les infrastructures publiques (routes, écoles et hôpitaux) ont permis d’engendrer une croissance économique dynamique et d’améliorer rapidement le niveau d’éducation (taux d’alphabétisation et de diplômes) des Réunionnais.

Aujourd’hui, conscients de cela, peut-être sommes-nous encore trop attachés à l’interventionnisme de l’état en vue d’entretenir le dynamisme de notre territoire insulaire ou le confort de nos vies. Plusieurs générations se sont succédées et maintenant les jeunes qui se forment arrivent « à armes égales » avec leurs pairs de provinces métropolitaines. Il n’y a plus à rougir : « Nous lé pas plus, nous lé pas mwin ».


Pour les années à venir, reste à définir un véritable projet de développement économique, social et durable pour la Réunion. Il est indispensable d’avoir plus de ressources humaines compétentes et qualifiées aux postes d’encadrement et de direction. De même que la mise en place de garanties de retour pour les jeunes réunionnais ayant forgés leurs armes en métropole et à l’international. Car, c’est bien d’eux dont nous avons besoin pour l’avenir de la Réunion : de leur expérience, de leur expertise, et de ce regard neuf sur le monde qui nous entoure.

Qu’est-ce qui vous manque de votre île ?

Assurément, le vivre ensemble ! A Paris, en déambulant dans les rues, on s’aperçoit rapidement que les arrondissements s’apparentent en grande majorité à des microcosmes. Malgré leur proximité immédiate, les populations qui y résident ne sont pas les mêmes qu’on se balade du côté du Marais, de Château d’Eau, ou encore de Barbès. Ce découpage géographique des communautés est quelque chose qui saute aux yeux lorsqu’on est originaire d’une île qui porte pour nom La Réunion. Sinon, un bon américain de chez Le Bon Croc au Tampon !

+ d’infos sur www.delareunionauxgrandesecoles.fr / www.facebook.com/DRGE974 / Contact : [email protected]


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