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Lansiv, kit amoin révé ankor !

Publié le 2 mars 2009

Hommage à un groupe de maloya trop vite éclipsé... Les formations musicales, à La Réunion comme ailleurs, sont à géométrie variable. Elles sont aussi éphémères. Certaines laissent une trainée de lumière dans le ciel et s’éclipsent. On a parfois la chance de les apercevoir en levant les yeux. Etre où cela se passe, au bon endroit, au bon moment. C’est un peu l’histoire de Lansiv. Ils m’avaient sollicitée pour que j’écrive un texte en prévision de la sortie de leur premier CD. Le CD n’a jamais vu le jour et Lansiv a tourné la page mais le texte est là.

Lansiv

Après l’enfance des gratteurs de guitare-banjo chaloupée à la Madoré et à la Brassens, est venue l’adol’errance sur les sentiers maronèr du maloya-jazz-rock. Caméléon par-ci, Carrousel par-là. 15 ans au compteur. Herbie Hancock, Bernard Brancard, Ti Fock, George Duke, René Lacaille, Alain Mastane, Billy Cobham, Loy Ehrlich, Jeff Beck, Bigoun, Carlos Santana… et les mots d’Alain Peters comme une source. Puis, un « Bato fou », barré par un malbar long, grands cheveux, me débarque sur les rivages de l’âge adulte. Ziskakan.

Premier coup de foudre : Danyel Waro traçant sur le sentier d’Art-Mafate, kaïanm en bertel, et un Marco Polot hâbleur en éclaireur. La Nouvelle. A travers la brume humide du cirque crépusculaire, le maloya m’enveloppe comme une douleur, une re-naissance, une re-connaissance. Le sang se réchauffe.

Voilà, j’ai trouvé ma maison. Ma kazmaloya.

Dans la cantine paternelle, je pêche une pépite : le premier disque de maloya. 33 tours. Viry en précurseur, en défricheur de mémoire, et cette vérité qui ne me quitte plus : l’art est un engagement, une revendication culturelle et donc politique. Sur le même microsillon, Firmin a semé « Valé, valé » et l’Internationale. Il a planté les graines qui allaient bientôt exploser en jardin têtu, touffu. Broussaille et zerb, piédboi et liane.

Un kabar, une nuit chez les frères Adécalom, comme dans un rêve. Gramoun Lélé. Le Rwa kaf. « Lakoler pran mwa » de notre « Ti Frère » mauricien résonne toujours dans ma tête. Un autre Mauricien, Siven Chinien, que Danyel Waro chante parfois : « Soldat Lalit ». Et les héritiers : Ravane, Baster…

Dans cette pépinière bouillonnante, un cri a résonné il y a peu : Lansiv. Ce krié rend hommage aux ancêtres et se nourrit d’une vibration neuve où se mêlent fragilité et intensité. C’était un soir de désanm 2005, au Kabardock. Le Port. "Ou sa ou sava mon fra", s’interrogeait mon père depuis presque 40 ans. Rod pi : « Mi sava dann Ti Paris » a répondu Lansiv !

Deuxième coup de foudre : Lansiv traçant sur la scène familiale de ce café-musique, kaïanm en transe et un Marco Polot flânant au comptoir du dernier rendez-vous.

Ma kazmaloya. Mon jardin têtu, touffu.

Lansiv. Voilà de nouveaux jardiniers pour entretenir le souffle. Voilà de nouveaux gardiens qui s’élèveront contre les maîtres chanteurs d’une histoire édulcorée, les fossoyeurs avançant à visage découvert dans le ber végétal de la pharmacopée insulaire, les revendeurs de culture américanisée, les dealers de nourriture standardisée, les promoteurs d’un parlé labellisée, les braconniers de la mémoire, les prestidigitateurs qui refoulent la culture réunionnaise au fond de la boutique au rayon fénoir, les pilleurs d’argamasses qui millimètrent le bonheur, les trafiquants d’un colonialisme remasterisé, les instigateurs de l’amnésie collective qui distillent chaque jour l’opium occidental.

Il y a dans les textes de Lansiv la fécondité d’une langue réunionnaise généreuse et crue, poétique et engagée. Il y a dans la musique de Lansiv une sensibilité à fleur de peau maillée à la force d’une popularité bâtie sur le désir ardent de partager. Ils sont cinq sur scène. Jean-Marie, Didier, Kamy, Djamil et Fabrice. Laissez-vous (é)mouvoir par zistoir mémé « Blandine » dans un lent maloya. Laissez-vous porter par le rythme soutenu de « Ti Paris ».

Depuis Carrousel, je sais que « La vie est un mystère ». Avec Lansiv, j’ai appris une chose essentielle : « la mor mi kroi pa ».

Nout fonnkèr lé vivan. Lansiv : kit amoin révé ankor !

Nathalie Valentine legros

"Ou sa ou sava mon fra", paroles pays.

Recueil de poèmes (créole et français), de Jean-Claude Legros, publié en 2005, préfacé par Georges-Marie Lépinay.

ISBN : 2 907064 95 9

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