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Gilmé Albuffy, 28 ans, Docteur en chirurgie dentaire à Marseille

Publié le 23 décembre 2007

Originaire d’une famille nombreuse d’agriculteurs de Sainte-Anne, Gilmé quitte l’île dès le bac en poche pour l’internat de médecine de Marseille. "La première année a été terrible. J’ai eu du mal à m’adapter à la vie métropolitaine, au climat, à la nourriture. Tous les week-end, on voit « les autres » rentrer chez eux et revenir avec des sacs remplis de plats cuisinés, des vêtements lavés et repassés…" Gilmé participera au 1er village de la diaspora réunionnaise du 14 au 16 octobre 2009 à Saint-Denis.

Gilmé Albuffy

D’où êtes vous à la Réunion ?

"Je suis originaire de Sainte-Anne, issu d’une famille modeste de cinq enfants avec un père agriculteur (dans la canne à sucre) et une mère au foyer. Après avoir obtenu mon bac S au Lycée Amiral Bouvet à Saint-Benoît, je prends l’avion pour aller suivre des études médicales à Marseille. Même si la première année de médecine existe à la Réunion, j’ai préféré mettre toutes les chances de mon côté et partir dès le début".

Racontez-nous vos débuts.

"La première année est terrible. J’ai du mal à m’adapter à la ville métropolitaine, au climat, à la nourriture du restaurant universitaire. Plusieurs fois, j’ai envie de tout laisser tomber et de rentrer à la Réunion. A la citée Universitaire, tous les week-end, on voit « les autres » rentrer chez eux et revenir avec des sacs remplis de plats cuisinés, des vêtements lavés et repassés. C’est là qu’on se rend compte que la vie est plus facile quand maman est là, et je ne la remercierais jamais assez".

Quels sont les points positifs ?

"Je me fais des amis, ensemble on se remonte le moral, on apprend la vie. On travaille la semaine, on fait la fête le week-end : rougail saucisses, cari volail, punch, maloya, la Réunion lé la ! Quand le moral est vraiment bas, je vais au bord de la mer, mon cordon ombilical avec la Réunion, et là je médite sur les raisons de ma venue en métropole : réussir mes études, faire quelque chose de ma vie et faire la fierté de mes parents. Je me remémore les images de mon père allant travailler dans les champs de canne en sifflotant qu’il pleuve ou qu’il vente, celles de ma mère nous confectionnant des vêtements pour aller à l’école. Après cela, boosté à fond, je rentre dans ma chambre en Citée Universitaire de 9m², et je me mets à travailler. Malgré cela, je réussis à avoir la moyenne au concours mais pas suffisamment pour être dans le numerus clausus".

Que faîtes-vous ?

"Encouragé par ma famille pendant mes vacances à la Réunion (financées par le Conseil Général), je reviens à Marseille regonflé au maximum pour prendre le taureau par les cornes avec dans mes bagages un autocuiseur de riz, quelque kilos de saucisses et de boucané ! Mon objectif est fixé : réussir le concours de la première année de médecine. Après beaucoup de travail, de volonté et un peu de chance, je finis par être classé dans le nombre de candidats admis en deuxième année. Je choisis alors de faire chirurgie dentaire car c’est un métier autant intellectuel que manuel, très précis. On peut avoir une vie familiale, les études sont plus courtes que médecine. Je réalise que je vais redonner le sourire aux gens, je vais leur permettre de manger correctement !"

Vous avez aussi d’autres activités pendant vos études…

"Parallèlement à mes études d’odontologie, je suis secouriste bénévole à la Protection Civile Urbaine de Marseille. En fait, on tient des postes de secours avancés lors de certaines manifestations marseillaises (matchs au stade Vélodrome, course pédestre de Marseille-Cassis, la Provence de pétanque, la Fête du vent, etc.) aux côtés des marins pompiers et de la Croix Rouge. Je peux ainsi assister aux matchs de l’OM et à d’autres manifestations payantes gratuitement".

Quoi d’autre ?

"Mon cercle d’amis s’élargit, je commence à connaître les soirée étudiantes, le Crit Dentaire (rencontre de tous les étudiants en dentaire de France pendant une semaine à la neige avec soirées à thème tous les jours), la belle vie étudiante avec ses hauts et ses bas. Les petits colis venant de la Réunion arrivent toujours au bon moment pour réchauffer le cœur ! "

Où en êtes-vous au niveau professionnel ?

"Je soutiens ma thèse en 2005 et deviens Docteur en Chirurgie Dentaire. Mes enseignants me proposent un poste d’Attaché d’Enseignement à la Faculté d’Odontologie de Marseille (encadrer les étudiants quand ils commencent à faire leurs premiers soins sur des gens), poste que j’accepte. Parallèlement j’exerce en cabinet libéral, d’abord à Marseille, puis à Aix en Provence depuis un an et demi".

Vous avez décidé de ne pas vous arrêter là…

"Etant donné que je souhaite soigner mes patients de façon globale avec un maximum de compétences, je continue à me perfectionner. J’ai obtenu l’année dernière un Certificat d’Etude Universitaire en Prothèse Fixée. Je prépare cette année un Diplôme Universitaire en Implantologie Orale et une Attestation de Sédation Consciente au MEOPA (Mélange Equimolaire d’Oxygène et de Protoxyde d’Azote) pour les soins dentaires".

Vous avez aussi de nombreuses activités associatives.

"Je fais parti d’une association qui œuvre pour permettre l’accès aux soins dentaires des personnes handicapées (Association Handident). Dans ce cadre, je dispense des soins à l’hôpital aux personnes handicapées ne pouvant pas être prises en charge en cabinet de ville à raison d’une matinée par mois. Je fais aussi parti de l’ADDA Provence (Académie De Dentisterie Adhésive section Provence), association qui organise une formation continue pour les chirurgiens dentistes au travers de soirées conférences et de journées de travaux pratiques".

Quels sont vos projets ?

"En quittant la Réunion mon bac en poche, mon objectif était de venir en métropole pour acquérir des connaissances, des compétences et de revenir dans mon île pour le faire profiter à tous. Aujourd’hui, je pense que je suis proche de cet objectif ! Au moment opportun, je reviendrais à la Réunion exercer l’art dentaire".

Que vous apporte cette expérience de mobilité ?

"Elle m’a permis de voir d’autres cultures, d’autres modes de vies, de faire des rencontres. J’ai pu me former dans l’une des meilleures facultés de France dans la dentisterie. Grâce à cela j’ai pu voir tout ce qui me manquait de la Réunion".

Qu’est ce qui vous manque ?

"Le climat ! A la Réunion, je devais avoir un pull au maximum, je l’utilisais peut être deux fois par an, j’ai compris ici ce que veut dire l’hiver et encore j’ai de la chance d’être dans le sud ! La nourriture me manque aussi énormément : samoussa, bonbon piment, bouchons, saucisses, boucané, cari ti-jacque, brèdes, tangues, bichiques, letchis… Quand je recevais un colis de la Réunion à la Citée U, je faisais un repas avec des amis réunionnais, on mangeait avec la main tous ensemble sur un fond de maloya ! Ce qui me manque, c’est aussi la mentalité réunionnaise, le paysage, les pétards à Noël. Ici, on entend les pétards le 14 juillet, et ce qui m’énerve, c’est que les gens se les jettent les uns sur les autres sans penser au danger que cela peut représenter (en tout cas de ce que j’ai vu à Marseille) ! A la Réunion, on peut faire des sorties sans pour autant dépenser excessivement ; en métropole, tout est payant et il faut prévoir un budget suffisant à la moindre sortie. A la Réunion, on peut aller en boite assez facilement, ici on se fait refouler de plusieurs endroits avant de pouvoir finir en boite si on a de la chance".

Vous avez subi ce type de discrimination ?

"Le motif ressemble à peu près à « vous ne correspondez pas à la clientèle exigée », ou encore « vous ne faites pas parti des habitués ». En 2° année de dentaire, j’ai commencé à connaître les soirées étudiantes. Au début, j’avais peur de me faire refouler à l’entrée suite aux expériences passées. J’ai même fait la queue avec des amis une fois, j’ai rebroussé chemin près de l’entrée en trouvant un prétexte bidon car j’avais peur d’être refoulé devant eux, mais en fait j’ai eu tord car tout le monde peut entrer sans distinction dans les soirées étudiantes ! Et ça, je l’ai compris assez tard !"

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de la Réunion ?

"Je pense que les choses changent avec la nouvelle génération. Les jeunes veulent aller de l’avant et s’en sortir dans la vie. Ils essaient d’aller le plus loin dans les études pour avoir un maximum de compétences, on les retrouve dans tous les domaines. Il est vrai qu’il y a beaucoup de chômage, mais les choses vont aller mieux avec le développement des nouvelles énergies, des nouvelles technologies et le retour petit à petit des jeunes qui sont allés se former sous d’autres horizons".

Quelle est l’image de la Réunion là où vous vivez ?

"Quand je parle de la Réunion autour de moi, elle apparaît comme une île où il fait bon vivre, l’accueil y est chaleureux, on y mange bien. On peut passer de la plage à la montagne en peu de temps avec des paysages très diversifiés. On parle de Mafate comme un endroit où l’air est pur et où on peut se ressourcer. Le gros problème reste les embouteillages ! "

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes Réunionnais ?

"De nombreux réunionnais se sont distingués dans leurs domaines. Je parle au nom de ceux qui se reconnaissent en moi, j’encourage les jeunes à se fixer des objectifs et à tout mettre en œuvre pour les atteindre : pa capab lé mor sans essayer. Il suffit d’une poignée de courage, d’une pincée de volonté, d’un zeste de chance pour avoir de la réussite ; à chacun de tenter sa chance ! Il faut se dire : si marmaille là la gain fé, moin aussi mi peut gagner alors mi essaie ! "

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