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Séverine Vidot, ambassadrice de la Réunion au Japon pour le Rotary

Publié le 14 juin 2009

Après un Master de littérature & cultures à l’Université de la Réunion, Séverine a pris la direction de Tokyo où elle occupe la fonction d’Ambassadrice de Bonne Volonté de la Fondation Rotary. Parrainée par le club Saint Denis Bourbon, elle a décroché une bourse de représentante culturelle de l’île au Rotary club Kojimachi de Tokyo. Passionnée par l’Asie depuis l’enfance, elle étudie, à 24 ans, le japonais dans un campus de Tokyo.

Séverine Vidot

Racontez-nous votre parcours.

J’ai toujours habité Sainte Clotilde et j’ai suivi toute ma scolarité à Saint-Denis. Je viens d’un milieu modeste. Dès mon entrée à l’Université, attirée par la culture asiatique, j’ai débuté des cours de langue avec l’ILA (Institut de Langue et d’Anthropologie). Dispensés le soir, ces cours étaient pour moi un hobby. J’ai commencé par le chinois et j’ai terminé les deux années d’initiation avec un Diplôme Universitaire de mandarin. J’ai participé à un voyage en Chine grâce à l’ILA et c’est à ce moment que j’ai pris goût aux voyages ! Par la suite je me suis tournée vers le japonais, dans le même institut. Je trouvais la langue et l’écrit plus accessibles, j’ai donc continué pendant quatre ans. Je souhaitais aller au Japon mais je n’avais pas les moyens financiers pour un tel projet. La dernière année de mon master, j’ai commencé à penser « mobilité ».

Qu’avez-vous fait ?

J’ai postulé pour une année d’assistanat au Canada et parallèlement j’ai découvert les programmes du Rotary, dont je ne connaissais que le nom. Je me suis beaucoup renseignée sur la vocation de la fondation, ses objectifs et ses bourses. Finalement je suis entrée en contact avec le Rotary club St Denis Bourbon qui a parrainé ma candidature pour une bourse d’Ambassadeur de Bonne Volonté. Le processus a été laborieux mais j’ai eu la chance d’être retenue et affectée au Pays du Soleil Levant pour une durée d’un an ! J’ai aussi du passer les épreuves de sélection universitaire. Le contrat était le suivant : en échange de ma bourse, j’étais représentante de ma culture auprès des Japonais. J’ai quitté l’île en septembre 2008 avec le trac mais aussi de l’excitation. C’était la première fois que je partais seule à l’aventure !

Racontez-nous votre arrivée à Tokyo.

L’aéroport de Narita m’a paru gigantesque ! J’avais demandé à mon correspondant japonais de venir m’accueillir et j’ai eu bien raison. Il m’aurait été impossible de rejoindre mon petit studio toute seule… Je me suis vite rendue compte de mon pauvre niveau de japonais. Je ne comprenais presque rien, les commutations en train, les distributeurs automatiques de billets, les panneaux directionnels, les informations vocales qui passaient et dont je ne saisissais pas un traître mot… Les rues n’ont pas de nom, on se repère aux bâtiments et à la carte. J’étais complètement dépassée !

Réunionnaise au Japon
J’ai eu la chance de porter un kimono de soie hors de prix à l’occasion de la nouvelle année.

Quoi d’autre ?

Non seulement je ne comprenais pas le japonais de base mais au Japon – de surcroît aux étrangers, aux clients dans les magasins, aux usagers des trains - on parle le « keego », une langue dont le niveau de politesse est le plus élevé. D’autant plus incompréhensible pour moi qu’il est déjà compliqué pour le japonais moyen. Au début, j’allais faire mes courses et j’écarquillais des yeux ronds comme des ballons quand les caissières me parlaient. J’avais peur de parler, de faire des fautes, de ne pas réussir à me faire comprendre. Au Japon, on évite à tout prix de mettre dans l’embarras son prochain pour cause de peur phobique de « perdre la face ». La première fois où je me suis exprimée, c’était sous l’effet de la panique. J’étais allée au conbini (une version élaborée des boutiques créoles) et arrivée à la caisse, au moment de payer je réalise que j’ai oublié mon porte feuille. Je me suis entendue prononcer, dans l’affolement « Excusez-moi, j’ai oublié mon argent ! ».

Comment vous en êtes-vous sortie ?

Mon ami m’a beaucoup aidé, il m’a appris à m’y retrouver dans les stations, à connaître les lignes, à différencier les trains (locaux, semi-express, express, rapides), à comprendre les phrases basiques des commerçants. Paradoxalement aussi tout était sujet à émerveillement ! Je ne comprenais rien mais pendant les deux semaines qui ont précédées ma rentrée universitaire, j’étais une vraie touriste.

Vous pouviez aussi compter sur le Rotary…

Au club rotarien auquel je devais me rendre tous les lundis, je ne comprenais grand-chose non plus. Les Japonais peuvent paraître très froids quand on ne les connaît pas. On me parlait en registre élevé, et à vitesse supersonique (les Tokyoïtes parlent très vite !). Je répondais souvent à côté de la plaque mais petit à petit, avec de l’entraînement, ça s’est amélioré. Il m’a fallu trois ou quatre mois pour commencer à souffler un peu et à m’accoutumer à la façon de faire japonaise. Les Nippons que je trouvais très distants sont devenus finalement sympathiques. En résumé, j’ai pleinement expérimenté le « kyaruturaru shokku » (choc culturel).

Quels ont été selon vous les avantages / inconvénients du fait de venir de la Réunion ?

Je n’y vois aucun inconvénient, si ce n’est le fait de n’avoir jamais pris un train de ma vie. Parmi les avantages, je citerais surtout l’ouverture d’esprit que notre société pluriculturelle nous a inculqué et les savoirs qui vont avec.

Quels objets de la Réunion avez-vous apporté dans vos valises ?

Puisque j’étais amenée à faire des speechs sur la Réunion, la culture, le folklore, etc., et que je devais prévoir des cadeaux typiques à offrir lors des rencontres, je suis partie avec des fanions réunionnais du Rotary Bourbon, une tenue créole, des bertels faits mains, des aquarelles de cases créoles, des sacs de sucre de canne et une bouteille de vieux rhum ! J’ai toujours quelques fanions, quelques bertels et j’ai porté ma tenue traditionnelle pas plus tard qu’il y a deux jours ! Par la poste, j’ai reçu de la famille et des amis des lentilles, du safran, quelques épices et même des saucisses !

Au Japon, on ne connaît pas la Réunionle mais le café vendu le plus cher est... le Bourbon pointu !

Aujourd’hui quels sont vos projets ?

De retour à la Réunion, je serai encore représentante, cette fois-ci, des Japonais. Je raconterai mon expérience au Rotary. Je pense aussi passer les diplômes d’enseignement en Français
Langue Etrangère et me forger de l’expérience professionnelle. J’ai beaucoup de diplômes mais peu de pratique. Et plus tard pourquoi pas revenir au Pays du Soleil Levant chercher un poste ?

Que vous apporte cette expérience de mobilité ?

Je ne vous cache pas que « ça décape ». Je n’ai pas choisi la facilité en allant au Japon mais être confronté à autant d’obstacles, projeté dans un monde radicalement différent et devoir gérer des situations nouvelles, cela forge le caractère ! On devient plus débrouillard et on acquiert un regard différent sur le monde. On se rend compte qu’à l’échelle internationale, la Réunion n’est décidément qu’un grain de sable dans l’océan mais aussi, on ne l’apprécie jamais autant que lorsqu’elle est loin !

Qu’est-ce qui vous manque de la Réunion ?

La mixité culturelle, l’ouverture d’esprit, le « pa l’air ek ça », cette franchise qu’il n’y pas ici. Au Japon, le regard d’autrui tient une place primordiale, si bien qu’on évite de se distinguer et de se faire remarquer. Il faut jauger ses propos constamment. Il faut tout envelopper de coton, ne jamais élever la voix ou laisser filtrer ses sentiments à travers ses expressions faciales. La diversité me manque aussi : à la Réunion tu vois un caf’, un malbar ou un chinois, c’est banal.

Avez-vous d’autres points de comparaison ?

On n’est jamais aussi étranger qu’en Asie : on est repéré au premier coup d’oeil ! Et puis la curiosité typiquement créole me manque aussi. On voit un étranger, n’importe qui dans la rue, on lui demande d’où il vient, si le voyage se passe bien, on n’a pas peur de parler. En comparaison, les Japonais ont peur de communiquer avec les étrangers. Ils se disent que ces derniers ne parlent pas japonais et comme eux ne parlent pas anglais… Après, de la Réunion, ce qui me manque c’est les caris, le rougail saucisse, la morue frite, les lentilles ! Le soleil, la vue de la mer, les cocotiers aussi. Enfin, le goût créole quoi.

Avec les koinobori - carpes flottantes que l’on accroche le jour de la fête des enfants en avril.

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de l’île ?

L’atout fondamental de l’île est sa diversité culturelle. Je parle énormément avec mes amis (japonais, américains, marocains, espagnols…) des différences de cultures et je me rends compte de la chance de vivre dans une société multiculturelle, multi religieuse, et somme toute compréhensive à bien des égards. Ensuite, il faudrait réellement faire un effort côté relance touristique. A l’étranger on connaît Maurice, Madagascar et les Seychelles mais la Réunion, non ! Pourtant l’île a des richesses à faire découvrir et des jeunes dynamiques et talentueux prêts à servir cette cause !

Quelle est l’image de la Réunion là où vous vivez ?

Je commencerais par un exemple : au Japon, le café vendu le plus cher est... le Bourbon pointu ! (70 euros les 100 gr) Un produit « de luxe » qui vient de chez nous, mais dont les acheteurs n’ont aucune idée de l’île d’origine. Les gens ne connaissent pas la Réunion, ils n’en ont jamais entendu parler. Pourtant ils connaissent Madagascar (aussi bien l’île que le film d’animation qui a rendu bien des services apparemment), mais aussi Maurice et les Seychelles. Et nous, au milieu, on passe inaperçu !

Comment vous y prenez-vous pour leur présenter l’île ?

En leur situant l’île, ils font tout de suite la connexion avec le soleil, les tropiques. De plus, je prends toujours pour exemple Okinawa, leur île tropicale qui a à peu près le même statut que la Réunion, le climat, presque les mêmes paysages, une langue locale, etc. Je n’ai donc pas besoin de m’attarder sur le côté « DOM ». Ils aiment poser des questions, comparer avec Okinawa, et aussi montrent un intérêt prononcé pour le métissage de la population. Au Rotary club de Kojimachi après mes divers speechs, certains se sont déjà renseignés sur les vols et les tarifs jusqu’à la Réunion. Affaire à suivre…

Vous même, quel est votre regard sur la région où vous vivez et ses habitants ?

C’est un magnifique pays, très fleuri, très dynamique. On ne s’ennuie jamais, la vie est agréable. On se sent en sécurité, les espaces sont d’une propreté irréprochable, tout est fait pour servir le confort de la population, les gens sont d’une politesse de tous les moments, mais on se rend vite compte de la pression dont tout cela dépend. Les rapports restent polis en surface, c’est le culte des apparences. De fait les japonais sont comme les éléphants : ils trompent énormément. Un compliment n’est pas toujours pensé, il est exprimé par politesse. On me l’a dit (enfin) clairement dernièrement : « Séverine, quand on te dit que tu parles bien japonais, ça ne veut pas dire que c’est vrai. C’est juste pour être gentil alors il ne faut pas contredire les gens. » C’est une culture très portée sur les détours aussi : on ne dit jamais ce que l’on pense directement, le message doit passer à demi-mots, les refus ne sont jamais explicites pour ne pas paraître agressif. Pour quelqu’un issu d’une culture où oui c’est oui et non, c’est non, on est vite perdu ! C’est un pays qui regorge de « codes » complexes mais une fois qu’on a saisi les automatismes de communication de base, tout se passe très bien. C’est aussi le pays de tous les extrêmes. Les gens y sont à la fois posés et complètement fous. C’est un pays qui vaut le détour en tout cas, encore faut-il persévérer et ne pas se laisser décourager par l’apparente froideur qui est en fait une preuve de respect envers son interlocuteur. Ne vous attendez pas à ce qu’on vous fasse l’accolade pour vous souhaiter la bienvenue. Par contre le sens de l’hospitalité, la vraie, est unique ici.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes Réunionnais ?

« Bougez ! », ne tombez pas dans le fatalisme. On perd du temps et des opportunités à se dire que tel pays est trop loin, qu’il paraît inaccessible ou que l’on n’a pas les capacités parce qu’on vient d’une petite île. Il existe des tas de possibilités, des tas d’aides à la mobilité. Pas seulement des biais régionaux, il y a aussi des programmes internationaux accessibles si on se donne la peine de les trouver. Les rêves ne vous tomberont pas dans le bec tout cuits, ils attendent à être saisis. Le monde est grand et beau à voir. Alors faites vous un peu violence et allez voir par vous-même !

Voir le profil de Séverine Vidot

Ambassadrice de bonne volonté Rotary
Au Rotary club Kojimachi avec mon conseiller rotarien japonais.
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