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Steeve Bourane, chercheur en Neurobiologie en Californie

Publié le 2 mars 2015

Originaire de Saint-André où il a effectué toute sa scolarité, Steeve habite depuis cinq ans à San Diego avec sa femme, Réunionnaise elle-aussi et leur petite fille. A 37 ans, il poursuit des recherches post-doctorat dans le domaine de la douleur, mais n’oublie pas d’où il vient et ses premières années de galère : «  J’ai raté le bac et ma première année de fac. Ce n’est qu’en deuxième année à l’Université de Montpellier que je me suis mis à travailler et à adopter une discipline. » Aujourd’hui chercheur au Salk Institute à San Diego, Steeve ne s’interdit pas de rentrer un jour sur l’île mais reste critique sur l’état d’esprit au pays. « Les Américains se plaignent moins de leur situation que les Français et les Réunionnais. En général, je dirais qu’ils sont beaucoup plus optimistes que nous. »


Steeve Bourane

D’où êtes-vous à la Réunion ?

Je suis originaire du quartier du Colosse à Saint-André. Durant mon enfance, mon père tenait un commerce « la boutik Gaby » qu’il avait hérité de son père « Baba Varsegon », l’une des premières boutik du quartier Champ-Borne à l’époque. Il était également agriculteur (principalement de la canne à sucre). Ma mère était femme au foyer et aidait mon père dans la boutik. Nous sommes quatre enfants. Nous avons perdu notre mère quand j’avais 12 ans et nous avons été élevés par notre père (avec l’aide de ma grande sœur) ainsi que celle de notre famille. J’ai été scolarisé en primaire à l’école Mixte Saint-Claire Agénor au Champ-Borne puis je suis allé au collège Cambuston. J’ai ensuite été au Lycée Sarda Garriga de Saint-André.

Dans quelles conditions avez-vous été amené à quitter l’île ?

Après avoir raté mon BAC de Science option Biologie la première année, j’ai finalement eu ce précieux diplôme (du moins on me l’a donné comme je le dis bien souvent : 10 de moyenne au second tour !). Je me rappelle que le jour des résultats, je ne voulais pas y aller car j’étais persuadé de ne pas l’avoir pour une seconde fois… Mon grand frère m’a motivé pour travailler pour le second tour avec la fin heureuse que vous savez. Suite a l’obtention du BAC, il a ensuite convaincu mon père de m’envoyer en métropole, à Montpellier où il terminait ses études d’ingénieur.

Qu’avez-vous fait ?

Une fois sur place, je me suis inscrit à l’Université Montpellier II en Biologie, matière où j’avais mes meilleures notes et qui me passionnait. Malheureusement, avec les nombreuses lacunes accumulées durant mon parcours scolaire, j’ai redoublé ma première année de DEUG. Etant boursier, je risquais de perdre ma bourse scolaire en cas de nouvel échec. A ce moment-là, j’aurais pu rentrer à la Réunion et retrouver le cocon familial. Mais je me suis accroché et je me suis battu pour garder cette aide financière qui me permettait de vivre de façon autonome en métropole. Ce fut peut-être le déclic...

Que s’est-il passé ?

Je me suis mis à travailler et à adopter une discipline plus rigoureuse, avec l’aide de ma petite sœur qui m’avait rejoint à Montpellier pour ses études de biologie également. Ainsi, au fil des années j’ai gravi les échelons (ti pa, ti pa) jusqu’à l’obtention de mon doctorat de Neurobiologie en 2007. Durant ces années, j’étais un membre actif de l’Association des Etudiants Réunionnais de Montpellier (AERM). Cette structure m’a permis de rencontrer beaucoup de Réunionnais venus d’un peu partout sur l’île et a fait naître en moi une vraie passion pour le Maloya au sein de groupe « Tout Koulèr ». Chanter et jouer le Maloya étaient un vrai déstressant, une façon de partager un moment avec des amis, une opportunité de crier sa colère, sa rage ainsi que son amour pour son île natale. C’était aussi un bon moyen de faire connaître notre île et sa culture. Heureusement que ce genre de structure était là pour nous aider à nous regrouper à des moments où c’était difficile d’être loin de nos familles et de la chaleur de notre île : Fèt kaf, Noël, Jour de l’an, Fête de la musique... C’est lors d’un de ces rassemblements que j’ai rencontré ma femme, originaire également de la Réunion. Depuis 2010, nous avons quitté Montpellier pour nous installer à San Diego en Californie dans le cadre du postdoc de Neurobiologie que j’effectue au Salk Institute. Nous sommes maintenant trois avec l’arrivée de notre petite fille en 2011.

La côte californienne

Que vous apporte l’expérience de la mobilité ?

Quitter la Réunion a été un mal pour un bien je dirais. C’était comme sortir d’une bulle, une occasion unique de regarder son île de l’extérieur. Outre l’ouverture d’esprit, cette expérience de mobilité m’a permis de rencontrer beaucoup de monde, de découvrir la planète de mes propres yeux et non pas à travers la télévision, internet ou d’autres médias. Elle a aussi éveillé ma curiosité pour les autres cultures. Enfin, elle m’a permis de réaliser la chance que l’on a de vivre à la Réunion et des avantages que nous bénéficions.

Quels ont été les avantages et inconvénients de venir de la Réunion ?

Les avantages de venir de la Réunion, c’est qu’on se sent un peu à part comparé aux autres. Les gens sont surpris de savoir qu’on vient de ce « pti morso galé » né d’un volcan situé dans l’océan indien. C’est toujours un plaisir de parler et de faire la promotion de son île, surtout aux Etats-Unis où ils n’ont aucune idée d’où elle se trouve. A chaque fois qu’on me demande d’où je viens, je fais d’abord référence à Madagascar pour se repérer dans l’océan indien. Ici, ils connaissent Madagascar surtout au travers du dessin animé… Il y a même un enfant qui m’a demandé une fois si Madagascar existait vraiment...

L’un des inconvénients en arrivant aux Etats-Unis a été la maîtrise de l’anglais. Malgré les nombreuses années d’apprentissage du collège à l’université, si l’on ne pratique pas régulièrement on perd rapidement nos acquis. Un jumelage avec l’ile Maurice pourrait être une alternative à ce problème, surtout avec l’avancé de la mondialisation. Les inconvénients, je les ai surtout ressentis en métropole. Un des exemples, c’est lorsqu’on veut louer un appartement. Les propriétaires et agences ne veulent pas de cautionnaire résidant dans les DOM/TOM. Une vraie aberration sachant que la Réunion est un département français et qu’en général toute notre famille y vit. Heureusement que certains de nos amis métropolitain peuvent nous aider dans certain cas. L’autre inconvénient a été de se faire refouler des boites de nuit et d’être sous surveillance dans les magasins du fait de notre couleur de peau.

Steeve à droite à la tête de son équipe de recherche à San Diego

Quels sont vos projets ?

Je travaille actuellement sur la rédaction de plusieurs articles scientifiques qui concernent mes travaux de recherche dans le domaine de la douleur, du toucher et des démangeaisons. J’ai aussi d’autres projets de recherche en cours. J’espère pouvoir publier quelques articles scientifiques de bonne qualité afin de pouvoir concourir pour un poste de chercheur en France ou aux Etats-Unis dans les années à venir. Je regarde également les possibilités de revenir à la Réunion, même si mon domaine de recherche n’y est pas très développé. Quand je suis parti, je me suis dit que je quittais mon ile pour me former et pour mieux revenir dans le futur. Maintenant avec le recul, je pense que c’est beaucoup plus simple de partir que de revenir. Il existe plus de structures pour vous aider à partir vous former que pour vous aider à revenir vous réintégrer.

Quels objets de la Réunion transportez-vous dans vos valises ?

Les objets ramenés de la Réunion sont mon kayanm (offert par mon ami David), un pilon (offert par ma grande sœur) et plusieurs CD de Maloya. J’utilise un peu moins souvent mon kayanm qu’auparavant mais de temps en temps, j’en joue pour faire découvrir notre musique aux Américains... et pour le plaisir ! Le pilon, on l’utilise tous les jours pour concocter les bons petits plats de notre ile natale : rougailles saucisse, cari volaille, etc. Pour le Maloya, j’en écoute régulièrement en allant travailler, ça me donne du courage et la force pour avancer tous les matins.

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de l’île ?

La situation est préoccupante vue de l’extérieur. Dans notre domaine, la recherche scientifique, de plus en plus de Français préfèrent travailler aux Etats-Unis, où il y a plus d’opportunités, de meilleurs salaires, une meilleure reconnaissance des compétences mais également une autre philosophie concernant le travail (yes we can !). Ici, le gouvernement américain investit de l’argent pour la recherche, contrairement à ce qui se fait en France. « Il faut semer pour récolter » et tant que ce sera comme ça, la « fuite des cerveaux » s’accentuera (voir : lemonde.fr/societe/expatriation-des-chercheurs-francais-temoignent). C’est dommage de dépenser autant d’argent pour former des personnes qui au final iront travailler dans d’autres pays « pou gagn zot gazon de riz ». La perte de confiance de la population envers ceux qui nous dirigent (en France et à la Réunion) me laisse également perplexe. Mais il faut garder espoir, l’avenir lé dan nout main ! N’hésitez à quitter votre ile, votre petit cocon et allez voir ce qui se fait dans le monde ! Prenez des risques, gardez espoir et battez-vous toujours, même après un échec. L’éducation et la formation des générations futures nous permettront de voir l’avenir de l’île sous de meilleurs horizons.


Qu’est-ce qui vous manque de votre île ?

La famille et les amis me manquent beaucoup. Je suis également nostalgique des paysages, des traditions religieuses, de l’ambiance, de la fête, du maloya... Nous avons moins de contact avec des Réunionnais que lorsque nous étions à Montpellier. On a un ami originaire de la Réunion qui vit à San Diego et avec qui nou koz in pé kréol et avec qui on se remémore les bons souvenirs et anecdotes . Sinon, grâce à internet, on est souvent en contact avec nos familles et amis vivant à la Réunion.

Quelle est l’image de la Réunion là où vous vivez ?

Les Américains ne connaissent pas la Réunion. Certains connaissent Maurice pour ses plages paradisiaques. Quand on leur dit qu’on est Français, ils nous parlent tous de Paris qu’ils adorent. Ici on est comme des ambassadeurs de notre île. Dés qu’on peut, on fait la promotion de la Réunion même auprès des autres Français que l’on côtoie à San Diego. Grâce à internet ils peuvent rapidement visualiser d’où l’on vient et le long chemin que l’on a parcouru pour se retrouver ici. Après avoir vu les images, ils sont émerveillés par les paysages et la diversité de la population. Ils sont également friands des bons petits plats réunionnais qu’on leur fait déguster.

Vous même, quel est votre regard sur la région où vous vivez et ses habitants ?

J’étais curieux de découvrir les Etats-Unis de mes propres yeux. Après cinq ans passés à San Diego, je me rends compte que la Californie est un état un peu à part. Beaucoup de mouvements et de modes y sont nés. Les gens sont très sympathiques et n’hésitent pas à vous aider, se mobiliser et se battre pour des causes. Ils adorent faire des barbecues lors des week-ends ensoleillés à la plage, un peu comme à la Réunion. Ils font beaucoup de sport, font attention à leur santé, leur alimentation et sont généralement soucieux de l’environnement.

En tant que Réunionnais qu’est ce qui vous paraît le plus proche / le plus éloigné par rapport à notre île ?

La végétation et le climat me font parfois penser à la Réunion. On trouve ici des bougainvilliers, des zoizos paradis et même des goyaviers à côté de chez nous ! On retrouve aussi un peu la cuisine épicée de la Réunion dans les plats mexicains. Ils ont un plat qu’ils appellent salsa, qui ressemble beaucoup à notre rougail tomate mais en beaucoup moins pimenté. Avec la mondialisation, je dirais que je retrouve un mode d’ultra consommation similaire entre les Etats-Unis et la Réunion : fast-foods, supermarchés, obésité, diabète, problèmes cardiovasculaires... Pour ce qui me parait le plus éloigné, je dirais que les Américains se plaignent moins de leur situation que les Français et les Réunionnais. Malgré les problèmes économiques, ils n’hésitent pas à cumuler plusieurs emplois. En général, je dirais qu’ils sont beaucoup plus optimistes que nous.

Que pensez-vous du site www.reunionnaisdumonde.com ?

Je trouve que c’est une très bonne initiative de faire connaître les Réunionnais partis poser leurs valises aux quatre coins du monde ! Le site montre aux jeunes et aux futures générations qu’il ne faut pas avoir peur de quitter son île et de tenter l’aventure à l’étranger. C’est également un bon outil pour fédérer les Réunionnais présents à l’étranger et à la Réunion que se soit pour le travail ou pour le plaisir...


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