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Maximin Chane Ki Chune, fondateur du Quotidien de la Réunion (Interview)

Publié le 14 septembre 2016

Orphelin dans le Saint-Louis d’après guerre, Maximin Chane Ki Chune, fondateur du Quotidien, rêvait de réussir. Honnêtement. Son esprit d’entreprendre et sa grande capacité de travail lui ont permis de se tailler une place de choix dans le monde économique réunionnais. Avec toujours dans la ligne de mire, ce respect de la vérité dont il a fait l’un des fers de lance de son journal et de sa vie. M. Chane Ki Chune pose aujourd’hui un regard modeste sur l’une des plus belles aventures de la presse française, née du courage et, comme il le dit dans l’entretien, d’un zeste d’inconscience.

Interview publiée dans l’édition spéciale 40e anniversaire du Quotidien (cliquer pour lire l’intégralité)


Racontez-nous votre long itinéraire depuis votre enfance jusqu’à la création du Quotidien. On commence par votre jeunesse ?

J’ai très tôt été orphelin de père et de mère. J’ai été élevé par ma grand-mère qui ne parlait pas un mot de créole. J’ai vécu dans la pauvreté mais je n’ai jamais senti la misère. Je me souviens de la grande solidarité dont nous, Chinois, bénéficions de la part de notre quartier. Une aide extraordinaire. J’allais souvent chez les voisins dans leur petite case en paille. Je me souviens du sol en terre battue.

Vous aviez des rêves, des ambitions ?

J’aimerais m’en souvenir… Je me rappelle surtout avoir quitté l’école à 13 ans quand ma grand-mère est décédée. Si je voulais poursuivre plus loin ma scolarité, il fallait que j’aille à l’école chinoise à Maurice. C’était une charge importante pour mon oncle qui m’avait recueilli. Finalement j’ai travaillé avec lui, dans sa boulangerie à Saint-Louis. A 15 ans, je dirigeais déjà le personnel de cette boulangerie. On travaillait dur. Il m’est arrivé de laisser les copains et de travailler jusqu’à 36 heures d’affilée. Mais il faut supporter ça, dès lors qu’on sait ce qu’on veut : aller jusqu’au bout. C’est ce que j’ai fait pendant dix ans. Et quand on fait ça, au bout il y a toujours quelque chose.

Dans ces années 50, vous n’aviez évidemment pas l’idée de créer un journal, un jour…

Non, bien sûr. Malgré tout je lisais tout ce qui me tombait sous la main. Il y avait ces magazines qui venaient de métropole, Paris-Match et autre. A force de lire les journaux, je ne rêvais pas d’en faire mais de réussir dans la vie. Honnêtement. C’est tout.

Mais comment passe-t-on du pain au journal ?

Il y a encore une longue histoire entre les deux épisodes. Mon itinéraire est d’abord passé par la photographie. La photo m’intéressait et je voulais me lancer dans ma propre activité. A 21 ans, mon projet était de créer mon affaire. J’ai ouvert un petit labo en planches à Saint-Louis. C’était en 1958. J’avais passé six mois à Maurice pour me former. Les techniques étaient assez empiriques. Il fallait tenir beaucoup compte de la chaleur. J’ai acquis l’art d’éclaircir les négatifs ! Mon premier reportage photo c’était à l’occasion de la visite officielle de De Gaulle à La Réunion en 1959.

Vous avez alors pratiqué la photo pendant plus de 25 ans ?

La photo a été mon activité principale. J’avais aussi d’autres centres d’intérêt, des projets. J’ai ainsi passé une capacité en droit. C’était bien, pratique. J’avais besoin de développer mes connaissances dans ce domaine si je voulais monter d’autres affaires. Je me souviens que la secrétaire m’a fait remarquer que j’arrivais trois mois après le début des cours. J’ai rattrapé le programme et eu mon diplôme avec 12,5 de moyenne.

Quels étaient alors vos projets professionnels ?

Je me suis intéressé à l’élevage de vaches laitières…

C’est bien éloigné de la photo !

Oui mais je constatais qu’il y a avait beaucoup d’efforts à faire pour développer l’agriculture sur l’île. Je n’étais pas agriculteur mais je me suis renseigné. Je suis allé en métropole, à l’école vachère, au nord de Paris. A cette époque je lorgnais sur des terres à mi-pente, 40 hectares pour 120 vaches. La Safer a entendu parler de ce projet. On m’a proposé de me conseiller et de négocier la transaction pour moi, comme je n’y connaissais rien. Je n’ai eu aucune nouvelle pendant longtemps avant d’apprendre que l’affaire s’était faite avec un autre qui, lui, était agriculteur.

Vous regrettez de ne pas être devenu éleveur laitier ?

Non, d’autant que j’avais une autre idée, l’élevage d’escargots dans les hauts de Bellemène. Humidité et fraîcheur permettaient d’avoir des petits gris de qualité. Mon idée était d’élever les escargots mais surtout de créer un atelier de conditionnement. Tout cela a capoté faute de financements. J’ai laissé tomber sans regret particulier, j’avais tellement d’autres choses à faire !

Si ces projets avaient abouti, vous n’auriez pas créé Le Quotidien !

Je ne sais pas. Ce qui m’a toujours motivé, en tout cas, c’est de me rendre utile, quelle que soit l’activité.


Comment tout ce qui précède la création du Quotidien explique qu’en 1976 vous vous soyez lancé dans cette aventure un peu folle ?

Comme je vous le disais, je voulais être utile. Bien sûr, j’ai développé mon activité photographique jusqu’à Saint-Denis. Mais je constatais qu’à La Réunion, les relations politiques étaient pleines de conflits. Pour rencontrer certaines personnes, il fallait se cacher. Je me disais qu’il était nécessaire de créer de bonnes conditions pour que les gens s’entendent.

Vous avez toujours été porté à servir le bien commun ?

Oui, on peut le dire comme cela. En 1974-1975, j’ai créé avec Daniel Vaxelaire un bimensuel gratuit, Le Consommateur. Mais je me suis pris les pieds dans le tapis. Je voulais donner des informations utiles aux consommateurs tout en recueillant les publicités des annonceurs. Un tel antagonisme, ça ne pouvait pas marcher. J’ai été boycotté.

Puis est venue l’ère du Quotidien…

Oui, je m’étais un peu rôdé avec Le Consommateur. Je voulais passer au stade supérieur. Proposer aux Réunionnais un journal qui soit au-dessus des partis et des parti-pris, très nombreux à l’époque. Un quotidien neutre politiquement qui livre une bonne information et ainsi contribue à la paix à La Réunion.

Vous avez dû avoir des bâtons dans les roues ?

Oui, notamment de la part d’officiels. Dans la population, beaucoup attendaient un bon quotidien d’information. Certains ont répandu la rumeur que j’étais financé par Mao. Les renseignements généraux enquêtaient sur moi. L’ex-premier ministre, Michel Debré, se renseignait sur mon compte.

De quels moyens disposiez-vous à cette époque, début 1976 ?

J’avais mes labos et magasins photo. On a aussi utilisé les moyens de la NID (Nouvelle imprimerie dionysienne), installée déjà au Chaudron. Nous avions droit à des subventions et les financements bancaires ont fait le reste.

Comment avez-vous préparé cette naissance ?

Chez moi, à La Montagne, j’organisais des réunions avec des personnes qui m’apportaient leurs conseils. Les dossiers de création du Quotidien ont été constitués peu à peu de cette manière. J’avais rencontré Didier Vangel qui était chez FR3 Réunion. C’était un jeune journaliste de 27 ans. Je lui ai proposé d’être le rédacteur en chef de ce nouveau journal. Je crois qu’il étouffait à son poste. Il a accepté tout de suite. Il n’y avait bien sûr pas d’équipe. Au-delà de recrutements locaux, il est allé, avec mon accord, rencontrer les gens de l’école de journalisme de Lille, qu’il connaissait. Une quinzaine de jeunes diplômés en journalisme ont été embauchés et ont débarqué un beau matin à La Réunion. Pendant ce temps, le bâtiment du Quotidien était construit, j’avais acheté la machine. L’aventure pouvait commencer.

Maximin Chane Ki Chune, fondateur, entouré de Carole Chane Ki Chune, présidente et son frère Boris, DAF.

Vous n’aviez pas peur de vous lancer ainsi dans une activité que vous ne connaissiez pas avec autant d’enjeux financiers ?

Pourquoi je n’ai pas eu peur ? Parce que j’avais 50% de courage et 50% d’inconscience. Sans un peu d’inconscience, on ne fait rien. Je ne savais pas que c’était impossible, c’est pour cela que je l’ai fait dit le proverbe…

Les difficultés, qui sont survenues rapidement, vous ont ramené aux dures réalités…

Il y a eu la liquidation dès 1977. On avait peut-être vu trop grand trop vite mais on a surtout été victimes de la complicité entre certains puissants de l’époque qui étaient malveillants à notre égard. Les informations sur lesquelles le tribunal mixte de commerce avait établi son jugement étaient erronées. C’était sans compter avec notre dynamisme et le soutien de la population. Souscription, concert de soutien nous ont permis de passer le cap. Au bout de trois semaines, on était en appel et on a gagné car nos comptes étaient corrects ! On avait une somme de 600 000 francs à payer. Les magistrats étaient rouges de colère quand ils ont su qu’on avait l’argent.

Créer le journal, construire l’immeuble, acheter la machine, tout cela en même temps, ce n’était pas un peu démesuré ?

En fait, c’est la solution qu’on a adoptée car… il n’y en avait pas d’autre. On ne pouvait pas faire autrement. Mais c’est vrai qu’on a failli tout perdre.

Fort d’une ligne éditoriale qui permettait d’apporter un regard neuf sur l’actualité, Le Quotidien s’est ensuite rapidement développé ?

Oui, Le Quotidien a rapidement rencontré son public. Commercialement, l’époque était celle de la croissance économique forte. La crise a commencé à frapper à partir de 2005.

Vous aviez conscience d’être le patron d’une aventure de presse hors du commun et même unique ?

Au départ, on ne pensait pas à cela. Mon rêve était juste d’aider les gens. Ou plutôt les pousser à prendre des initiatives. J’aurais voulu traduire dans la réalité le proverbe célèbre selon lequel il vaut mieux apprendre aux autres à pêcher que pêcher pour eux. Le préfet Lamy m’avait fait venir pour m’interroger sur le projet. Je lui ai répondu que je voulais dédramatiser la vie politique et la vie tout court à La Réunion. Eh bien mon souhait aurait été de permettre à 100 personnes de créer chacune leur affaire.

Un parcours comme le vôtre est-il encore possible aujourd’hui à La Réunion ?

Je dis toujours que j’ai commencé à travailler à l’âge de 13 ans, mais en réalité c’était bien avant. A 8 ans, je plantais des brèdes chinois que je vendais après l’école. Dans la presse, il me semble difficile de reproduire ce qu’on a fait en 1976. Mais en dehors, il y a certainement encore des créneaux pour ceux qui ont des idées, un peu de courage... et une petite dose d’inconscience, parce qu’il en faut.

Vous nous avez dit dans quelles conditions Le Quotidien a été créé et a failli disparaître. Vous n’aviez pas de fortune personnelle. Ensuite vous vous êtes enrichi. Quel est votre rapport à l’argent ?

Franchement, je n’ai jamais couru après l’argent sauf pour alimenter le compte d’exploitation. C’est même nécessaire. Mais, à titre personnel, cela n’a jamais été une obsession. J’ai toujours tout fait d’abord par conviction. Pour moi, ce n’était pas tellement gagner de l’argent pour devenir riche, mais gagner de l’argent afin d’avoir des moyens pour faire autre chose. C’est un peu mon côté social, idéaliste.

Et comment voyez-vous l’avenir ?

A l’âge de 68 ans, en 2005, j’ai souhaité passer la main progressivement. Aujourd’hui, le groupe est entre de bonnes mains. C’est une continuité dans la modernité. Le numérique, on le développe sur plusieurs activités. Pour l’information, on va aussi pousser dans ce sens mails le numérique ne doit pas cannibaliser le journal papier auquel je suis attaché et de très nombreux Réunionnais aussi.

Interview publiée dans l’édition spéciale 40e anniversaire du Quotidien (cliquer pour lire l’intégralité) / www.lequotidien.re / www.facebook.com/lequotidien


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