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Johan Sirara, ingénieur sans frontières

Publié le 12 octobre 2016

Un jour, il a tout vendu et démissionné d’un poste chez Rolls-Royce Aéronautique en Angleterre pour aller au Guatemala en Amérique Centrale, où il construit une école en matériaux recyclables et supervise la production d’électricité solaire. A 27 ans, ce Saint-Paulois a trouvé sa vocation et donné du sens à un CV déjà riche : « J’ai découvert ma passion qui est d’aider les personnes en grande nécessité. Vivre sur une terre inconnue me permet aussi de m’enrichir et de rencontrer en permanence de nouvelles personnes »...

Plus de Réunionnais qui travaillent dans le secteur de la Solidarité internationale

Johan accompagné de guides indigènes dans la jungle Moskitia, Honduras

Pouvez-vous vous présenter ?

Avant de me présenter, je remercie l’équipe de reunionnaisdumonde.com de partager mon parcours et j’espère donner de la motivation à quelqu’un pour quitter sa zone de confort ! Johan Sirara, ingénieur mécanique des moteurs avion. Originaire des hauteurs de Saint-Paul (Le Ruisseau), j’ai grandi avec mes cousins. Dans ma jeunesse, j’ai commencé à apprécier les randonnées : Grand Bénard, Ilet Alcide, Mafate... Je ne connaissais pas tout les recoins de la Réunion mais je voulais très tôt découvrir de nouveaux endroits.

Dans quelles conditions avez-vous été amené à quitter l’île ?

À l’âge de 17 ans, j’embarque pour Paris pour des études en aéronautique. Après six ans de formation, je fais partie de la commission sur titres des ingénieurs (CTI) en France. Je travaille pendant un an chez le géant européen Airbus à Toulouse, dans le département des essais en vol. Un an plus tard, je décolle pour un poste en Angleterre en tant que consultant avec le même fabricant d’avion et quatre constructeurs de moteurs. Ma carrière vole bien. Je participe aux essais du nouveau moteur à propulsion, fleuron de l’armée de l’air : l’A400M, avion de transport de matériels et de troupes militaires.

Et les voyages ?

Durant mes années d’études et d’emploi, je saisis chaque opportunité pour voyager et découvrir de nouvelles coutumes. En 2014 à Cuba, c’est le moment où tout a changé pour moi. Le contraste entre la pauvreté et la richesse du cœur des Cubains m’a frappé. Les Cubains ont un très grand cœur. La situation politique et économique limite leurs projets. La nourriture est rationnée, les bâtiments sont délabrés et le pays demande à être industrialisé et développé.

Parmi les élèves, professeurs, ouvriers et membres de l’ONG pour la construction de l’école Técnico Chixot, Guatemala

Qu’avez-vous fait ?

En août 2015, je démissionne de mon poste, vend tous mes biens matériels pour avoir de l’argent supplémentaire et m’envole pour l’Amérique centrale. Quitter un environnement où tout est disponible et partir dans une région inconnue n’est pas une décision facile à prendre, mais le désir d’apporter mon aide aux communautés et aux associations est plus grand. Je commence ce nouveau mode de vie au Guatemala où je travaille avec une organisation non gouvernementale américaine, pour offrir de l’éducation aux jeunes. L’école de l’ONG donne accès à l’éducation à 92 jeunes du village. Je fais partie de l’équipe qui construit la bibliothèque. Les bâtiments sont construits avec des matériaux recyclables (bouteilles en plastiques rembourrées de petits déchets plastiques, pneu de camion usagés) et éco-matériaux (bambou, terre). Je suis en charge du suivi de la production d’électricité à partir de l’énergie solaire. Après cinq mois, dû au succès et à la demande, l’école s’agrandit pour offrir un cycle scolaire supplémentaire...

Et ensuite ?

Je continue ma route en Amérique centrale, aux Honduras, où j’aide une association à ouvrir un sentier pour un groupe de scientifiques qui conduit une expédition biologique dans l’une des jungles les plus primaires de toute l’Amérique centrale : la Moskitia. On rencontre des espèces d’oiseaux endémiques. Le plus émouvant est mon premier contact avec les indigènes de la forêt. Ils vivent dans des huttes en bois sur pilotis à quelques pas de la rivière. Les indigènes n’ont ni eau courante ni électricité. Ils sont confrontés à la déforestation de leur région natale par les trafiquants de drogue. Ensuite, je pars au Nicaragua pour aider une famille dans la construction de leur éco-lodge. J’assiste un ingénieur allemand dans l’installation d’une petite usine hydraulique pour que l’éco-lodge soit autonome en énergie. La famille nicaraguayenne accueillera les touristes et leur offrira une expérience locale unique…

Parlez-nous du Guatemala où vous êtes basé.

La pauvreté dans les régions où je travaille me fait penser aux histoires de la « Réunion lontan » que me racontent mes parents et mes grands-parents. La nourriture est simple, à base de riz et grain rouge, appelé ici gallo-pinto, accompagnés de manioc bouilli. La viande est un luxe. Dans les zones rurales, les familles ont leur propre plantation d’haricot rouge, maïs, café, banane... Elles mangent ce qu’elles produisent. Mais dans les plus grandes villes l’influence moderne apparaît. Les femmes laissent tomber le « traje », habit traditionnelle, pour des vêtements de la société actuelle. L’inventivité est sans limite ; comme dans beaucoup de pays en développement, les gens ont un talent pour la rénovation. Un exemple est le bus de transport scolaire américain. Ces bus usagés sont envoyés au Guatemala pour une deuxième vie. Une équipe de mécaniciens, carrossiers, peintres transforment les bus et les remettent en circulation. Le Guatemala compte plus de 22 000 ex-bus scolaires dédiés au transport public desservant les endroits ruraux !

Femme et filles guatémaltèques vetues de leur ’traje’

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez sur place ?

À l’échelle du pays, la corruption du gouvernement affaiblit les investissements dans l’éducation et les infrastructures. Dans les milieux ruraux, les garçons de moins de 15 ans travaillent avec leur père ; les filles aident leur mère dans les tâches ménagères, elles ont des droits limités. J’ai fait la connaissance d’un garçon qui partait au travail de gardien de nuit avec son père et le lendemain, qui allait à l’école...

Aujourd’hui quels sont vos projets ?

Je suis actuellement à la Réunion pour des vacances. Je retourne au Guatemala en décembre 2016 pour continuer l’expérience avec la même ONG : construire une école en utilisant des matériaux recyclables. Avec le manager de l’ONG, nous avons pour projet d’étendre le programme en Afrique du Sud, où les techniques de construction ont été approuvées par les ingénieurs. Une première école sera inaugurée fin novembre. Trois écoles supplémentaires apparaîtront sur le territoire sud africain. Je serai le coordinateur de la construction des écoles au Guatemala et en Afrique du Sud.

Que vous apporte l’expérience de la mobilité ?

J’ai découvert ma passion qui est d’aider les personnes en grande nécessité, d’apporter une étincelle dans la vie des plus défavorisés. Vivre sur une terre inconnue me permet de rencontrer en permanence de nouvelles personnes, de différents horizons avec des idées et des visions différentes. J’ai l’oreille ouverte sur leur récits de vie. Quand je suis arrivé en Amérique centrale, je ne parlais que quelques mots d’espagnol. En deux mois, sans payer une école de langue, en parlant avec les locaux, j’ai pu suivre une conversation et intervenir ! Aujourd’hui, je ne me sens ni français, ni africain, ni malgache, ni indien, ni asiatique... Je suis, nous sommes tout cela en UN. Ma force vient de là.

Avec une membre de l’ONG lors la construction de la bibliothèque

Qu’est-ce qui vous manque de la Réunion ?

La nature et l’authenticité, les randonnées au cœur de l’île, la forêt primaire de Bélouve, les îlets de Mafate... La nourriture et les épices ! J’ai reçu une petite sculpture d’un ’endormi’ en bois de la part de ma marraine. Mon emblème de la Réunion est le caméléon. J’adore son concept d’adaptation et je l’utilise : peu importe où je vis, je m’intègre au milieu. C’est une des plus grande leçon que j’ai appris à la Réunion : le respect des autres communautés, accepter nos différences et promouvoir le métissage.

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de l’île ?

Le taux de chômage des jeunes réunionnais est l’un des plus élevé des départements français. Beaucoup profitent du système d’assistanat. Cela me semble dangereux car une personne sans travail perd la volonté d’évoluer et l’île a besoin de contributeurs pour se développer. Nous devons être acteurs de notre propre économie et sortir ces jeunes de leur cocon. Je crois en l’augmentation du taux d’activité à la Réunion, qui permettra de dynamiser l’île. Avec un membre de la famille, un ami et d’autres personnes volontaires, nous souhaitons créer un projet de mobilité locale. Nous formerons des Réunionnais et créerons de l’emploi pour connecter le nord au sud-ouest. Si ce projet porte ses fruits, nous le développerons pour transporter les Réunionnais autour de l’île.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes Réunionnais ?

Je conseille aux jeunes et aux moins jeunes de vivre cette expérience enrichissante. Ma méthode pour voyage c’est ’workaway.org’. Ce site rassemble une grande quantité d’offres d’emploi où le ’workawayer’ sera logé et nourri en échange d’une matinée de travail. Pendant le temps libre la personne aura l’occasion de découvrir les environs.

’’Soyez le changement que vous voulez dans le monde’’ - Ghandi


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