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Réunionnais d’Amérique à 24h des présidentielles : craintes, espoirs et pronostics

Publié le 10 novembre 2016

Au pays du rêve américain ce sont des immigrés… De New-York à San Francisco en passant par Chicago et Miami, ces sept Réunionnais racontent comment ils ont vécu une campagne 2016 qui divise profondément leur pays d’adoption.

Avec Emilie Pausé - Franck Marchis - Chloé Suming - Nicolas Cerveaux - Clémence Moreau - Tony Ichiza-Imaho - Laurence Darmalingom
Lire aussi : Trump président : réactions de Réunionnais des Etats-Unis / Six mois après l’élection de Donald Trump


Identité – Parcours


Emilie Pausé, 33 ans, New-York, directeur financier d’une société de production de films. Originaire de Saint-Paul, je suis diplômée d’une grandes école de commerce.

Franck Marchis, 43 ans, San Francisco, chercheur astronome. Je suis né à Caen mais ma mère est réunionnaise de Saint Denis. Je travaille à l’institut SETI (Senior Planetary Astronomer).

Chloé Suming, 31 ans, New-york, recruteur chasseur de têtes pour la société Luxe Avenue. Originaire de Saint Denis. Après avoir étudié le commerce international et le marketing, j’ai eu l’opportunité de déménager aux Etats-Unis en 2014.

Nicolas Cerveaux, 31 ans, Los Angeles, directeur d’ingénierie dans une start-up (Thrive Market), qui vend des produits biologiques sans OGM en ligne. Originaire du Port, je vis aux États Unis depuis 2008, année de première élection d’Obama !

Clémence Moreau, 24 ans, Chicago, chef de projet chez Alstom. Originaire de Saint-Benoit, j’ai quitté la Réunion après une classe prépa HEC à Bellepierre pour intégrer l’école de commerce Kedge Business School. J’ai aussi un Diplôme Supérieur de Comptabilité Générale.

Tony Ichiza-Imaho, 24 ans, Miami, VIE. Originaire de la Plaine Saint-Paul, j’ai un double diplôme : ingénieur biomédical et MBA en business international. Ma mission est de développer les affaires de mon entreprise française sur le marché américain.

Laurence Darmalingom-Hoover, 45 ans, San Diego, professeur de français. Originaire de la Plaine des Cafres. J’ai fait des études d’anglais à l’université de la Réunion, de Rennes et à Northern Arizona University.

Comment avez-vous vécu cette année de campagne électorale ?


Emilie Pausé

Emilie Pausé : Il s’agit de mes premières élections en tant qu’expatriée aux Etats Unis. J’ai trouvé la campagne violente et hors norme comparée aux campagnes qu’on a coutume de voir chez nous, en France : agressivité, débats présidentiels grotesques et irrespectueux, coups bas, attaques personnelles… En France, nous n’aurions jamais haussé à ce niveau des présidentielles un candidat comme l’excentrique Donald Trump, issu du milieu de la téléréalité et de l’immobilier. J’ai été choquée par la grossièreté du personnage, ses maladresses de discours, son manque d’intelligence sur les questions de fond et la bestialité de ses rapports avec son adversaire... accablée qu’on puisse en arriver à un tel niveau des présidentielles en 2016 aux Etats Unis.

Franck Marchis

Franck Marchis : Difficilement ! Je suis devenu américain il y a trois ans et c’est la première fois que je vote pour les présidentielles. Le climat de cette campagne a été détestable, exacerbé par les réseaux sociaux et par les journalistes. Les médias sociaux enferment les gens dans une logique extrême ou chacun perd peu à peu le sens des réalités, réagissant sans recul et sans réfléchir à ce qu’il se passe. Les journalistes ne font pas leur travail car ils relatent seulement les discussions extrêmes et ne parlent pas des programmes sur des points importants comme le changement climatique, la situation au Moyen-Orient, l’économie américaine, l’éducation…

Pourquoi ? Je pense que les médias américains essaient de survivre dans un monde où l’information est désormais gratuite et accessible à tous par internet. Un des changements majeurs à venir sera la création des nouveaux médias indépendants et viables économiquement, qui pourront faire leur travail sans dépendre de la publicité (c’est-à-dire du nombre de clics). Ils pourront relater les faits sans les exacerber pour attirer les lecteurs. En attendant j’espère que les Réunionnais ont conscience de cette évolution perverse qui s’est produite ici et qui va arriver en France lors de nos élections présidentielles.

Chloé Suming : J’ai suivi de près ces élections, que j’ai trouvées marquantes. J’ai surtout noté une grande différence avec les élections américaines précédentes, ainsi qu’avec les élections présidentielles françaises. Au cours des trois débats, Hillary Clinton et Donald Trump se sont affrontés non pas sur des questions politiques mais sur leurs capacités à représenter le peuple américain. Donald Trump, pourtant républicain, représente le changement. Il clame qu’il va chambouler la Maison Blanche s’il est élu, de part sa nature de non-politicien .THillary est un « symbole » politique, d’abord en tant que Première Dame, ensuite par sa position de sénateur de New-York, puis de secrétaire d’état.

Nicolas Cerveaux

Nicolas Cerveaux : De façon très spéciale ! Au début on prenait ça à la blague mais chaque semaine Donald Trump a réussi à pousser ses remarques encore plus loin. Aujourd’hui on ne peut que le prendre sérieusement et commencer à se faire à l’idée qu’il sera peut-être président...

Clémence Moreau : Chicago l’a vécu différemment car une actualité sportive est venue s’immiscer dans les médias : notre équipe de baseball vient de remporter le World Séries, l’équivalent de la Ligue des Champions. La ferveur des fans a largement occulté la campagne… Ceci dit, j’ai eu l’impression d’une campagne présidentielle sans foi ni loi, sans règle, temps de parole à respecter ou budget maximum. On ne parle que de Trump et d’Hillary sans même évoquer les autres candidats. C’est très surprenant de voir les clips anti-Trump et anti-Hilary les uns à la suite des autres diffusés pendant les publicités. Les journaux se focalisent sur les défauts des candidats, les scandales qu’ils déclenchent et très peu sur le contenu de leur programme. Si bien que je ne suis pas capable vous citer une mesure défendue par l’un ou par l’autre. Par contre les scandales et les phrases chocs il y en a beaucoup...

Tony Ichiza-Imaho : Avant même que je déménage aux Etats-Unis, les Américains avec qui j’échangeais me parlaient de ces élections qui restent le sujet majeur de conversation. C’est un peu comme regarder une télé réalité : entre les débats, les statistiques, les sites internet, les pubs, la campagne est menée 24h/24.

Laurence Darmalingom

Laurence Darmalingom : Elle a été longue et très agressive, remplie d’insultes envers beaucoup d’Américains. Elle a eu un impact négatif sur la population. Certains analystes prédisent même que cela va créer une certaine instabilité émotionnelle pour le peuple américain.

Vers quel candidat penchent les Américains que vous côtoyez chaque jour ?


Emilie Pausé : New-York est un état qui vote démocrate, avec une grande mixité de population et un grand nombre d’immigrés. C’est vers Hillary Clinton que le choix de mes proches et de mon partenaire, qui est lui-même est américain, se porte, même si beaucoup ne sont pas convaincus qu’elle incarne les valeurs qu’on pourrait attendre d’un président. Sa personnalité et son implication dans des affaires obscures comme celle des emails effacés a sérieusement affecté sa campagne et déçu l’électorat démocrate. Ce sera donc en partie un vote par défaut, mais j’ai aussi noté qu’il existe un vote féministe autour de moi : amies, collègues et autres femmes que je rencontre dans mon quotidien. Hillary Clinton représente la progression du pouvoir des femmes. Qu’elle gagne les élections mardi et ce sera la preuve tangible d’un changement du statut de la femme au sein de la société américaine.

Franck Marchis : Je vis à San Francisco, une ville à 80% démocrate, donc je ne connais pas de supporter de Trump. Tous mes amis et collègues de travail vont voter Clinton, même les quelques républicains. Il est hors de question pour eux de voter pour un candidat qui représente le pire de l’Amérique : xénophobie, racisme, vision simpliste, division... Le programme de Trump est inadapté aux réalités du monde actuel et se limite à une rhétorique assez stupide : « no China, no Clinton, less tax ». Il a le soutien au niveau national de groupuscules nazis et racistes (par exemple le KKK) et au niveau international de gouvernements pseudo-démocratiques ou même dictatoriaux comme la Russie ou la Corée du Nord. La guerre en Irak conduite par Bush est la preuve qu’un simple président américain peut changer l’histoire du monde. J’espère que suffisament d’entres nous sont conscients des dangers qu’il y a d’élire à la Maison Blanche un président instable et influençable.

Chloé Suming

Chloé Suming : New-York est un état démocrate, les Américains qui m’entourent sont pour Hillary Clinton. Même si elle n’est pas particulièrement appréciée, ils considèrent qu’elle a l’expérience et les capacités pour tenir les fonctions de président. Mais Donald Trump a surement ici des supporteurs silencieux qui se manifesteront le 8 novembre…

Nicolas Cerveaux : Mes collègues sont plutôt démocrates que républicains. En revanche, je les entends plus souvent dire qu’ils sont contre Trump que pour Clinton...

Clémence Moreau : A ma grande surprise, les avis ne sont pas si tranchés. Il y a de la part de la plupart de mes collègues une désillusion par rapport à cette élection. « Je vais voter pour le moins pire », disent-ils. Les sondages varient du tout au tout en fonction de ce qui se passe la veille. J’ai le sentiment qu’il y a plus de gens qui soutiennent Trump qu’on ne pourrait le croire. En se baladant dans la campagne du Michigan et de l’Ilinois, on voit de nombreuses pancartes pour Trump. On se rend bien compte qu’il a beaucoup de soutiens des populations rurales. Dans l’autre camp, on a beaucoup de mal à se résigner à voter Clinton. Une collègue m’a expliqué que selon elle, « ça fait trop longtemps qu’Hillary est dans le monde politique pour ne pas être corrompue jusqu’aux os. Alors que Trump est le plus gros « jerk » du monde, mais il a le mérite de savoir s’entourer. Car tu ne deviens pas un homme d’affaires aussi puissant si tu ne sais pas t’entourer de personnes compétentes ».

Tony Ichiza-Imaho

Tony Ichiza-Imaho : Je n’ai pas rencontré de personnes qui veulent voter Trump, ou alors ils ne s’en vantent pas devant moi… En revanche j’ai côtoyé des personnes qui étaient pro-Sanders plutôt qu’Hillary dans le camp démocrate.

Laurence Darmalingom : Ils sont du côté Clinton pour plusieurs raisons : ils pensent qu’elle est plus qualifiée pour être à la tête d’un pays comme les États-Unis et ils sont plus en accord avec sa politique intérieure et internationale. Ils pensent aussi que le moment est venu pour une femme d’être présidente.

Quel est votre pronostic ?


Emilie Pausé : Hillary, mais je ne serais pas surprise que les résultats soient très serrés.

Franck Marchis : Je pense qu’Hillary va gagner d’une faible marge et qu’elle sera la première présidentE des Etats Unis !

Chloé Suming : Grâce au soutien de personnalités comme Barack et Michelle Obama, et de célébrités comme Jay Z et Beyoncé, il est possible qu’Hillary ait reussi à progresser dans les états décisifs comme la Floride ces derniers jours. Pour que Trump gagne, il faudrait qu’il arrive à s’approprier ces états décisifs. Les derniers scandales liés à ses propos racistes ainsi qu’aux agressions sexuelles lui auraient fait perdre le vote des latinos, ainsi que celui des femmes. La découverte de son affiliation potentielle avec le FBI concernant l’enquête sur les emails d’Hillary pourrait assombrir d’avantage son image quelques jours avant les élections.

Nicolas Cerveaux : Je pensais que ce serait une élection très facile pour Hillary Clinton, mais aujourd’hui il est effrayant de voir que ce ne sera pas si facile que ça...

Clémence Moreau et deux Réunionnais des Etats-Unis

Clémence Moreau : J’espère vraiment qu’Hillary va remporter l’élection, non pas pour elle mais pour le parti qu’elle incarne. Si Trump l’emporte malgré ses propos choquants, c’est de mauvais augure pour les élections à venir en France notamment…

Tony Ichiza-Imaho : Aucune idée. C’est très stressant car les gens sont préoccupés et ont un peu peur du résultat. Je répondrai comme j’entends autour de moi : "on espère vraiment qu’Hillary gagnera cette élection".

Laurence Darmalingom : Mon pronostic est qu’Hillary Clinton va gagner mardi. Cependant, il y a toujours la crainte que tout peut basculer ; Donald Trump est populaire auprès de certains Américains xénophobes et grandement affectés par la crise économique.

Quelle conséquence sur vous pourraient avoir ces élections ?


Emilie Pausé : Ayant moi-même le statut d’immigrée aux Etats-Unis, la politique d’immigration, plus que le programme économique, est ce qui m’affectera le plus en cas de victoire républicaine. Ayant par ailleurs grandi sur une ile qui prône et respecte la diversité et la mixité des religions, des pratiques culturelles et des langues, la victoire de Donald Trump me donnerait le sentiment de ne plus vivre dans un pays dont je partage les valeurs. Le monde entier vit aux Etats-Unis, pas seulement parce que le pays attire, mais aussi parce qu’il donne à chacun sa chance en s’ouvrant à eux.

Franck Marchis : Je ne pense pas que Clinton va changer soudainement le pays mais j’espère qu’elle aura les pleins pouvoirs (une majorité démocrate aux parlements) pour mener à bien sa politique qui consiste à relancer les grandes constructions (en particulier dans les états centraux le plus pauvres), respecter les programmes environnementaux et offrir une éducation à bas prix pour tous…

Franck Marchis en famille

Une élection de Trump serait un retour 20 ans en arrière et une catastrophe sur un plan personnel car son vice-président est connu pour ses vues anti-avortement et anti-homosexuel. Trump a promis d’abolir les lois fédérales comme le mariage pour tous, certains droits des femmes mais aussi les programmes environnementaux qui sont censés protéger les citoyens. Ce matin mes enfants (qui ont 11 ans) m’ont demandé ce qu’on allait faire si Trump est élu président. Je leur ai rappelé que les Etats-Unis sont une république et qu’il sera élu pour quatre ans. Nous continuerons à nous battre pour nos droits et la Californie est suffisamment puissante pour influencer le gouvernement fédéral dans les décisions économiques et sociales. Je n’ai pas l’intention de partir du pays comme beaucoup le disent sur les médias sociaux ; cela lui donnerait bien trop d’importance.

Chloé Suming : Dans l’éventualité de l’élection de Trump, les régulations sur l’immigration deviendront plus strictes. Cela pourrait me créer des difficultés le jour où je devrai renouveler mon visa de travail. Si Hillary gagne, on peut s’attendre à des émeutes organisées par les supporteurs de Trump et des troubles sur la sécurité.

Nicolas Cerveaux : Si Clinton est élue, je ne pense pas voir de grands changements. Si c’est Trump pas de révolution non plus : sa politique sera ralentie et bloquée par les assemblées qui doivent approuver l’adoption de nouvelles lois. En revanche, je crains que l’image du pays à l’international devienne très négative.

Clémence Moreau : Il ne faut pas oublier que les Etats-Unis sont composés de plusieurs états et que chaque état a une certaine autonomie en matière de gestion de la vie quotidienne des citoyens. Dans mon cas, c’est le gouverneur de l’Illinois qui décide des règles en matière de port d’arme, d’assurance, de taxes, etc. Les principales conséquences des présidentielles seraient en termes d’immigration... si Trump arrive au pouvoir et qu’il applique ce qu’il a clamé.

Tony Ichiza-Imaho : Je pense que les résultats n’auront pas beaucoup de conséquences pour moi… Mais Trump fait peur. Il a dit et fait beaucoup de choses cette année qui amènent à penser qu’il rendra la vie des immigrants plus difficile.

Laurence Darmalingom : La victoire d’Hillary Clinton serait certainement plus profitable pour moi, faisant partie de la classe moyenne ici. Je lui fais plus confiance pour rétablir une stabilité économique, gérer les problèmes d’immigration légale, lutter contre le terrorisme, contrôler la législation sur les armes à feu, s’attaquer aux problèmes de la pollution et de la stabilité politique au Moyen Orient… Si Donald Trump est vainqueur, ce sera un jour de deuil pour beaucoup de mes amis et pour moi car il représente tout le côté négatif du peuple américain. Au lieu d’unifier l’Amérique il la diviserait davantage et cela pourrait avoir des conséquences très graves pour notre avenir.


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La Une du Quotidien le 8 novembre 2016
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