Publicité

Elégie noire – poème pour Haïti de Nadine Fidji

Publié le 2 février 2010
photo : americas-fr.com

Pour parvenir à mesurer la grandeur d’un peuple, il faut considérer ce
qu’il a construit ! Et que n’a construit Haïti ? Sa soif de liberté fut
des plus périlleuses quand des flottes de vingt mille hommes accostaient
ses flancs pour rétablir un esclavage qu’elle avait dignement combattu.

Le sable, le sang, la terre, la chair des hommes, formèrent un corps
immonde sous les jours terribles des cruautés humaines, des monstres
politiques, des avatars géologiques.

Haïti a su s’édifier, sous son ciel éclaté, en phare du monde noir. Haïti,
la distante, la nocturne, avait su vaincre le temps du vainqueur, elle
avait aiguisé l’art de souffrir en assurant seule la nuit la conjuration
de ses cauchemars.

Haïti, la belle, la noire, Haïti l’africaine qui sut apprivoiser tant de
mers démontées, quel poète ne t’aurait adorée, toi l’île veilleuse où il
fait pourtant noir ?

Sans y être né, et sans l’avoir connue, chacun de nous possède en lui la
gemme haïtienne qui, par poussée saisonnière, cherche à s’exprimer.

On ne pourrait comparer Haïti à aucune autre terre, elle qu’on ne parvint
à vider de ses entrailles incendiaires, elle qui, au ras du sang, resta au
ras du cœur, elle qui, enfoncée de mille pieux géants, resta vierge et
rebelle comme une forêt de lys.

L’heure n’est pas au bilan des siècles, l’heure n’est même pas au poème.
Quand le monde se défait – car Haïti est le monde – il faut juste tout
recommencer, refaire les vermineux sentiers, amasser le bois mort pour le
feu impossible, s’accroupir au-dessus du cratère de l’avenir pour y puiser
la force de son eau vive.

Pains d’argile, odeur tranchante de misères nues, flots d’ouragans
pétrissant ces misères, et voilà que vint le grondement de la terre et son
champ de saccage. Et dire que cette île rêvait de renaître plus douce et
plus nubile. A chaque arpent du temps elle dansait la saccade de
l’horloge, conjurait ainsi les festins de la mort.

Comment alors ne pas bénir ce peuple sans haine pour les hommes, sans
haine pour les dieux, ce peuple qui, tout entier, s’entasse plus serré
dans sa foi en les hommes et en les dieux.

Il n’est pas de sortilège, mais juste des manquements à l’amour.

Toi la grande ère des étoiles, toi qui fus la raison et le droit des
hommes flagellés,
Toi qui nous prêtas jadis le glaive épais de la fierté humaine, Nous te
rendons l’espoir et toutes les petites lampes qui bali-sèrent nos nuits
Pour que naissent dans tes yeux les astres de plénitude,
Et sur la vaste étendue de tes plaies inouïes, la vague haute du
recommencement du tout !

Nadine Fidji

Née à Saint-Denis, Nadine Fidji est poète, essayiste, dramaturge et romancière (La Case en tôle, Paris, L’Harmattan, Collection Lettres de l’Océan Indien, 1999). Avec son époux (le Martiniquais Benjamin Jules-Rosette, metteur en scène, réalisateur et directeur du Théâtre Noir de Paris), Nadine Fidji anime des ateliers de théâtre et d’écriture dans des lycées et écoles du Sénégal, du Mali, du Togo et de France.

Lire aussi : La Réunion, Terre sacrée : un poème de Nadine Fidji

Publicité