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Sébastien Clain, créateur du site histoire-reunion.re

Publié le 7 juin 2017

« Je sais que c’est une banalité, car beaucoup ont vécu cela, mais c’est en m’éloignant de la Réunion que je me suis rapproché de mon île ». Administrateur système dans une entreprise du web spécialisée dans les logiciels libres à Lyon, Sébastien a créé le site histoire-reunion.re, organise des rencontres-débats, et entretient la réflexion sur l’identité réunionnaise.


Pouvez-vous vous présenter ?

J’ai 31 ans et j’ai grandi au Guillaume à Saint-Paul ; mes parents sont fonctionnaires. J’ai "désoté la mer" en 2003 après mon bac pour faire des études d’informatique à Paris. Je me suis adapté plutôt rapidement et j’ai longtemps aimé ma vie parisienne. Et puis les questions identitaires sont survenues. J’ai grandi avec l’idée que nous Réunionnais étions des Français comme les autres. Comme beaucoup, je voyais la "métropole" comme un El Dorado : j’étais persuadé que tout ce qui venait de là-bas était mieux. Mais après quelques temps, je me suis rendu compte à quel point la société française hexagonale était différente de la nôtre. Je sais que c’est une banalité, car beaucoup de Réunionnais ont vécu cela, mais c’est en m’éloignant de la Réunion que je me suis rapproché de mon île. Qui étais-je, moi, dans cette société qui me ressemblait si peu, qui ne connaissait mon pays finalement qu’à travers les clichés touristiques ? C’est dans ces moments là qu’on se tourne vers ce qui peut nous rattacher à notre pays : la musique, la culture, la langue...

Quel était votre rapport avec la culture réunionnaise ?

Mes parents m’ont toujours parlé en français, bien qu’eux-même parlaient créole entre eux ou avec la famille. Mais ma sœur et moi, c’est la langue française que nous devions parler, pour mieux "réussir" dans la vie. Il m’a fallu 24 ans pour avoir un déclic et commencer à parler la langue de mes parents et de mes ancêtres. Le livre d’Axel Gauvin, "Du créole opprimé au créole libéré" que j’ai découvert à Paris, a été une révélation pour moi. Il m’a fait comprendre plein de choses sur la façon dont nous vivons notre identité à la Réunion. Parmis d’autres auteurs, antillais ceux-là : Aimé Césaire et Frantz Fanon ont aussi apporté beaucoup de réponses aux questions que je me suis posé.

Qu’est-ce que cela a changé en vous ?

Avant de partir, je ne me voyais pas comme réellement Réunionnais. Certes j’étais Réunionnais, mais je peux même l’avouer aujourd’hui, j’avais honte de ma culture, de mon histoire, parce-que j’étais ignorant. On ne nous a pas appris à nous connaître et à vivre notre différence sans complexe. Le fait de vivre à Paris puis à Lyon m’a permis de découvrir que des gens de différentes origines sont venus vivre en France, ont apporté avec eux leur culture, et la portent fièrement. Pourquoi nous, Réunionnais, devrions-nous avoir honte d’être différents ? J’ai compris avec le temps que notre différence, notre culture, notre "réunionnité", n’était pas un fardeau, mais une richesse.

Conférence débat sur l’histoire de la Réunion à l’Université de Lyon 2 (mai 2017)

Quel est votre regard sur la région où vous vivez et ses habitants ?
 
Lyon est une ville jeune et dynamique. Je vois beaucoup de jeunes qui font leurs études ici avoir plein de projets, militer dans des associations, organiser des spectacles, des rencontres sur des sujets sérieux. A Paris aussi j’avais remarqué cela, et c’est une différence je trouve avec les étudiants de la Réunion. Peut-être qu’on n’ose pas assez organiser par nous-même, réfléchir ensemble, s’exprimer, sur des sujets d’actualité et importants pour notre avenir ?

Qu’avez-vous fait ?

A côté de ma vie professionnelle, il y a mon intérêt profond pour l’histoire de notre île et la culture de notre peuple. Il existe un grand nombre de livres et d’articles portant sur notre histoire, et je trouve qu’il est dommage qu’ils ne soient pas plus connus par les Réunionnais. C’est pour combler mes propres lacunes et partager mes découvertes que j’ai décidé de créer un site qui rassemble des articles et qui recense des livres parlant de l’histoire de la Réunion : www.histoire-reunion.re

A Lyon le 20 mai 2017, avec l’aide de l’Université de Lyon 2, nous avons organisé une projection suivie d’une conférence-débat sur le thème de l’histoire des années 60-70 à la Réunion. Beaucoup de Réunionnais sont venus et ont participé au débat, cela m’a fait très plaisir. Cela m’a prouvé qu’il nous sommes plusieurs à vouloir en apprendre plus sur notre île (la vidéo de la conférence).

Avez-vous des contacts avec les Réunionnais de métropole ?

Je connais quelques Réunionnais ici, qui portent le même intérêt que moi pour la connaissance de la Réunion. C’est avec une partie d’entre eux que nous avons organisé l’événement du 20 mai à Lyon 2. Nous ne formons pas d’association ou de collectif, mais j’aimerais bien qu’à terme il puisse y avoir une organisation qui valorise la culture réunionnaise, ici dans l’hexagone, et qui réunissent des Réunionnais et Réunionnaises qui ont envie de débattre de la situation de notre pays.
 

Quelle est l’image de la Réunion là où vous vivez ?
 
Parmis les personnes de mon âge que je rencontre ici, il y en a beaucoup qui sont déjà allés à la Réunion, qui y ont déjà travaillé, ou qui ont l’intention d’aller y vivre. A croire que c’est tout l’inverse de chez nous : à la Réunion, nous pensons qu’en quittant l’île nous trouverons un travail et un avenir meilleur, et de l’autre côté, d’autres partent vivre à la Réunion pour rejoindre un paradis sur terre. C’est très paradoxal. Pourquoi n’arrivons-nous pas à faire de la Réunion une île paradisiaque pour nous ?

Quels sont vos projets ?
 
Mon projet est bien sûr de retourner vivre et travailler au pays. J’ai tenté un retour il y a quatre ans de cela, mais après deux ans de recherche d’emploi sans succès, j’ai dû me résoudre à retourner dans le péi la fré. J’ai aujourd’hui un travail enrichissant, et je sais qu’il m’apportera les bases nécessaires à mon prochain retour. Mon idéal ? Trouver un travail qui correspond à ce que je recherche, ou rencontrer des Réunionnais avec qui monter ensemble un projet autour du web et des logiciels libres.

Qu’est-ce qui vous manque de votre île ?
 
Notre humour ! L’humour réunionnais est celui qui me fait plus rire au monde. A mon deuxième retour en France, j’ai aussi rapporté des objets : un livre de Prosper Ève et de Sudel Fuma, un disque de Danyèl Waro, un kayanm...

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de la Réunion ?
 
Un regard réaliste : nous avons le triste record du taux de chômage parmis les départements de France et d’outre-mer. La moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, et d’après le recensement de l’INSEE de 2011, nous avons 116 000 illettrés. Il y a peu de perspective pour la jeunesse réunionnaise à part des petits contrats pour les uns, ou quitter l’île pour les autres. Malheureusement, parmi ce qui est fait actuellement à la Réunion, je ne vois rien qui propose des solutions sur le long terme, pour un développement qui aille dans le sens des intérêts des jeunes Réunionnais.

Je sais que notre jeunesse veut pouvoir travailler, comme tout le monde. Elle le prouve tout le temps, et n’hésite pas à se mobiliser, même si ce n’est pour obtenir que des contrats précaires. Parfois, elle se révolte avec violence, mais cela prouve qu’elle désire que les choses bougent. Nous voudrions pouvoir travailler chez nous, dignement. Je sais que cela est possible, mais il faut une volonté générale pour nous sortir de cette crise qui ne date pas d’hier.

Le mot clé HISTOIRE REUNION / www.reunionnaisdumonde.com/r/11/Lyon-Rhone-Alpes (1 500 inscrits)

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