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Quand la méditation entre à l’hôpital

Publié le 5 septembre 2017

Entretien croisé sur l’expérience menée au CHU Réunion, où 16 personnels soignants volontaires s’adonnent chaque semaine à la méditation. Equilibre émotionnel et bien-être au travail sont au rendez-vous, mesurés scientifiquement par une équipe de chercheurs.

Un entretien avec Rodolphe Sinimale, les Docteurs Karim Bey, Yeni Loumouamou et le chercheur Michel Spodenkiewicz.


Tous les mercredis matin, 16 soignants volontaires - chercheurs, infirmiers, médecins, éducateurs, aide-soignants - s’adonnent à la méditation dite de la pleine conscience bienveillante. Les effets de cette pratique laïque et séculaire en termes de bien-être et d’impact sur les ambiances de travail sont ensuite mesurés puis validés scientifiquement.

En plein coeur du PFME (Pôle Femme Mère Enfant), au sein de la toute récente Maison des plantes - une cours intérieure transmutée en espace naturel, boisé et verdoyant - une scène inattendue attire le regard des enfants curieux et de leurs parents aimants qui se pressent dans les couloirs alentours : Marie-Line, docteur en génétique, et David, éducateur spécialisé - sourire paisible et jambes croisées - se tiennent là, face à face, immobiles. Le temps semble s’être arrêté, dans une incroyable atmosphère de connexion humaine, presque palpable. Un gong retenti soudain et les corps reprennent vie, produisant un effet de surprise bienveillant chez nos plus jeunes spectateurs du jour :

“Vous pouvez remercier votre partenaire !” lance Rodolphe Sinimale, enseignant de méditation et entrepreneur du changement. Aux blouses blanches immaculées se mêlent alors les senteurs des essences rares et endémiques. Les soignants s’en vont, les visages pacifiés et heureux. C’est une nouvelle journée de travail qui commence au CHU Réunion - un hôpital décidément pas comme les autres.

“Maman, les docteurs, ils font de la méditation à l’hôpital ?” interroge une petite fille enthousiaste.


De gauche à droite : Murielle Leboursicaud, cadre hospitalier, les docteurs et pédiatres Yeni Loumouamou et Karim Bey, le chercheur et pédopsychiatre Michel Spodenkiewicz, et Rodolphe Sinimale, entrepreneur du changement et enseignant de méditation. Manquent à l’appel : Sarah Sellam, Claire Chambertin et David Deleurme

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet d’ Hôpital bienveillant du futur ?

Rodolphe Sinimale : Je suis très préoccupé par la dégradation des ambiances de travail au sein des entreprises en général et des institutions hospitalières en particulier - même si je suis certain que les décideurs de l’hôpital font de leur mieux pour changer la donne.

Il y a près d’une quinzaine d’années, j’ai consacré mes travaux de troisième cycle à la souffrance dans les organisations et les réponses que l’on pouvait y apporter : ce n’était alors pas du tout un sujet que l’on abordait facilement, et la question du bien-être des salariés semblait presque taboue. Aujourd’hui on constate que la majeure partie des salariés se sent de plus en plus isolée, en perte de repères et de sens. Les chiffres parlent d’eux-mêmes ! Selon une récente enquête de l’institut mondial de statistiques Gallup :

70% de salariés ne se sentent plus ni motivés, ni impliqués dans leur travail ;
le taux de burn-out (ou “épuisement professionnel”) atteint des records dans les hôpitaux (on parle de 60% des médecins dans certains services spécialisés)
seulement 8% des salariés affirment être vraiment heureux au travail.

Lorsque l’on réalise que nous passons plus d’un tiers de notre vie au travail, on comprend immédiatement l’urgence de la situation - et plus encore au sein d’un hôpital. A ce tableau dramatique s’ajoute un déficit majeur dans l’équilibre des comptes financiers des institutions hospitalières, qui ne fait que renforcer le cercle anxieux de la souffrance chez les personnels soignants.

Mais je reste optimiste et convaincu : en replaçant le bonheur - des salariés en général et des soignants en particulier - au centre de la décision managériale des organisations, on finit par créer une plus grande valeur-ajoutée… et un meilleur équilibre financier : moins d’arrêt-maladie, plus de créativité pour faire face au problématiques du quotidien, une meilleure communication entre tous...


Docteur Karim Bey : Pour être au coeur de la machine depuis de nombreuses années, je puis vous assurer que la réalité ne peut être retranscrite par des chiffres. Je m’étais déjà inscrit dans une démarche de bienveillance dans mon métier - tant envers les patients que le personnel hospitalier - car mon métier ne peut se cantonner à un démarche technique et à une politique de rendement financier.

J’ai introduit, avec un petit groupe de soignants motivés, les soins de développement auprès des prématurés. Puis ouvert, avec des éducateurs spécialisés de pédiatrie, une médiathèque. J’ai mis en place un mouvement de coopération avec Madagascar et Mayotte - et je suis toujours engagé pour qu’une Maison des parents voit le jour au Sud de la Réunion…

Entre temps, j’ai oublié que pour bien s’occuper des autres, il faut savoir aussi bien s’occuper de soi même ! J’ai ainsi moi-même connu un épisode très douloureux de burn-out. Tant qu’on ne l’a pas traversée soi-même, la souffrance émotionnelle peut sembler… abstraite. Mais c’est aussi grâce à ces moments difficiles que j’ai pu changer radicalement la façon dont j’appréhende mon métier - et la vie en général.

Je me suis mis à lire plusieurs ouvrage et articles sur la pleine conscience et la méditation - mais aussi sur ce champs que l’on nomme aujourd’hui la psychologie positive. 

Je me suis inscrit à un programme de formation à la méditation et à l’altruisme avec Rodolphe, qui m’a beaucoup apporté. Je voulais comprendre l’intérêt de ces techniques dans une démarche de soins auprès des patients présentant un stress chronique, mais aussi introduire plus de bienveillance à l’attention des soignants - qui sont en grande souffrance psychique.

J’ai alors réuni des personnes inspirantes et motivées pour réfléchir et oeuvrer, ensemble, à de meilleures conditions de travail. Pendant une année entière - en plus de nos journées de travail intenses ! - nous avons co-construit la vision d’un hôpital plus heureux. 


Parmi les participants à cette aventure singulière, humaine et scientifique, Elsa Técher, (à gauche sur la photo) - une étudiante enthousiaste de l’IFSI de Saint-pierre, accompagnée d’une externe, en stage au CHU.


Rodolphe Sinimale : La question centrale de notre expérimentation scientifique était, en substance, la suivante : que se passerait-il si l’on cultivait le bonheur à l’hôpital - non pas comme une élucubration intellectuelle ou philosophique, mais bel et bien en tant qu’axe central de la politique humaine et managériale de l’Institution ?

Tous les mercredis matin, 16 soignants volontaires - chercheurs, infirmiers, médecins, éducateurs, aide-soignants - s’adonnent à la méditation dite de la pleine conscience bienveillante. Les effets de cette pratique laïque et séculaire en termes de bien-être et d’impact sur les ambiances de travail sont ensuite mesurés puis validés scientifiquement.

Pouvez-vous nous dire comment, concrètement, s’est matérialisé ce projet ?

Docteur Yeni Loumouamou : Grâce au soutien de notre Direction, nous avons pu acheter les droits de diffusion d’un documentaire génial d’Arte, “Vers un monde altruiste” - un dialogue entre science, méditation et bonheur. Plus d’une cinquantaine de soignants sont venus assister à cet événement après leur journée de travail - ce qui me fait dire que c’est un vrai sujet pour nombre d’entre-nous.

Nous avons ensuite proposé à 16 d’entre-eux d’embarquer pour une aventure scientifique et contemplative, en lien avec le bonheur au travail. Une condition essentielle : nous voulions être en capacité de mesurer puis valider, par la science, l’impact et les résultats de ce programme. Nous nous sommes alors rapprochés d’un des experts en matière de recherche sur le sujet : le Docteur Michel Spodenkiewicz, chercheur à l’INSERM et pédopsychiatre, lui même méditant.

Cela n’a pas été facile ! Entre rassembler des soignants toujours très occupés - l’urgence et l’intensité sont le quotidien d’un hôpital - et organiser matériellement les séances et la recherche, il nous a fallu à tous beaucoup d’énergie…


Existe t-il des preuves scientifiques qui prouvent que la méditation fonctionne et impacte le bonheur des individus ? Comment le simple fait de s’asseoir et de ne “penser à rien” peut-il changer quoi que ce soit ? N’est-ce pas là encore un outil de plus - parmi la longue liste à la mode du développement personnel ?

Michel Spodenkiewicz : Il y a trente ans, j’aurais peut-être pu vous répondre oui ! Mais on sait maintenant que la méditation est bien plus qu’un simple outil : c’est un chemin de connaissances sur soi qui peut nous mener de la souffrance à l’épanouissement. 

Rodolphe Sinimale : Il faut ici démystifier la méditation, qui devrait être entendue et comprise comme un “entrainement émotionnel” - ou une “science de l’esprit”.

Rien n’est plus éloigné de la méditation que cette notion abstraite de “ne penser à rien”. Ainsi, au lieu de laisser son esprit vagabonder la majeure partie du temps - souvent pour ressasser une expérience douloureuse passée (une parole blessante d’un collègue par exemple) ou une anxiété liée à un futur incertain (“quelles remarques ce collègue va t-il me faire encore demain ?”) - nous apprenons à être présent au moment, à laisser les pensées venir puis s’en aller - puisque c’est leur nature même - et ne plus être affecté. C’est déjà une très grande liberté intérieure !

Surtout, nous “entrainons” notre esprit - comme à la salle de sport pour notre corps - à cultiver des états de pensées bien plus constructifs tels que la bienveillance ou la compassion.

Le programme MBSR, développé il y a plus de quarante ans maintenant par le Professeur émérite Jon Kabat Zinn, a fait beaucoup pour rendre compréhensible, à l’échelle mondiale, ces pratiques deux fois millénaires d’équilibre psychique. Cependant - très certainement dans un souci de construction scientifique et / ou de démocratisation sociétale - la méditation a perdu deux fondations essentielles :

- son éthique altruiste, c’est à dire notre capacité à agir pour le bien d’autrui (et pas seulement pour nous-même) ;
- son aspect sagesse, notre propension de discernement entre ce qui éthique, juste, et ce qui ne l’est pas.

Michel Spodenkiewicz : Et ce sont ces qualités d’empathie et de bienveillance - propres à tous les être humains mais également aux animaux - qui en réalité amènent à un meilleur équilibre émotionnel… et, in fine, au bien-être des personnes et donc au bonheur au travail.

Rodolphe Sinimale : Les travaux menés sur le cerveau du moine et scientifique Matthieu Ricard par les chercheurs Richard J. Davidson, de l’Université de Madison - Wisconsin aux Etats-Unis, ou encore par Tania Singer, de l’Institut Max Planck en Allemagne, experte mondiale de la compassion - montrent très clairement et sans ambiguïté que :

- transformer son esprit est possible. Il faut, pour cela, de la répétition, de l’effort, et aussi et également un enseignant qualifié pour nous accompagner ;
- cultiver quotidiennement des qualités telles que la bienveillance ou la gentillesse provoque de profonds changements au sein du cerveau - la compassion étant l’émotion suprême en terme de fonctionnement neuronal optimal comme l’a montré Tania Singer.

Michel Spodenkiewicz : …et ces changements incroyables se matérialisent à la fois au niveau structurel et au niveau fonctionnel, sur le fonctionnement cérébral mais aussi dans le vécu rapporté par les participants. Les résultats préliminaires de notre étude laissent à penser que les modifications du rapport au temps sont un des ingrédients de la transformation qui s’opère chez les méditants.

Quels sont les futurs possibles à présent ?

Docteur Yeni Loumouamou : Les projets à venir sont nombreux car une chose est sure : méditer et développer la bienveillance, ça marche ! Les premiers retours qualitatifs des participants à l’expérimentation sont prometteurs et enthousiasmants pour changer la donne des ambiances hospitalières. C’est pour cela que, dans le même temps, nous avons déposé plusieurs autres projets de recherche scientifique, afin que nous puissions reproduire cette innovation à plus plus grande échelle.

Nous ouvrons aussi - dès le mois de septembre 2017 et c’est une première ! - un créneau officiel de méditation au sein du PFME - ouvert à tous les soignants !

Enfin, une exposition itinérante est en cours de finalisation : nous espérons qu’elle donnera envie à tous nos collègues d’expérimenter, résultats à l’appui, qu’un autre hôpital est possible pour le XXIème siècle…

Rodolphe Sinimale : …Oui, un autre hôpital est possible ! Un hôpital plus heureux, plus humain… plus altruiste.

A PROPOS DE RODOLPHE SINIMALE


Apprécié pour sa simplicité et son enthousiasme, Rodolphe Sinimale est surtout connu pour une aventure hors norme, tout autour du monde : 5 années et près de 200.000 km parcourus, au plus près des habitants de notre planète ! "Ma quête spirituelle", aime-t-il à partager. Titulaire d’un MBA de l’ESG Paris XI, spécialisé en Relations humaines et expert en Psychologie positive, il partage son expérience à travers des programmes éducatifs originaux et des enseignements souvent qualifiés d’audacieux.

Plus d’infos / Le site METTA BHAVANA PROJECT www.facebook.com/rodolphemettabhavana / Contact : [email protected]

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