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Scission de la Belgique entre Wallons et Flamands : Olivier Hoareau témoigne

Publié le 9 mai 2010

La rubrique 974 World News réalisée en partenariat avec Le Quotidien donne la parole à des Réunionnais qui témoignent de l’actualité dans leur pays d’adoption. Olivier Hoareau a quitté son île natale à l’âge de 18 ans. Il s’est installé en Belgique il y a huit ans. Il vit désormais à Ixelles, dans la région de Bruxelles et y est directeur associé d’une PME active dans l’Internet.

Olivier Hoareau
Olivier Hoareau : "Dire que la Belgique meurt est une bien grande étape... au pire demain, il pourrait y avoir deux pays : la Flandres et la Belgique".

- Quelle(s) langue(s) parlez-vous en Belgique ?

- Français, anglais, néerlandais

- On imagine difficilement une Belgique déchirée par un conflit linguistique. Est-ce que vous ressentez cet affrontement entre néerlandophones et francophones dans votre vie quotidienne ? Comment cela se traduit-il ?

- A Bruxelles vit une majorité de francophones et d’Européens. La « capitale » n’est pas directement concernée par le conflit, mais sa banlieue oui. Bruxelles est une ville ancrée dans une province néerlandophone, la périphérie étant très attachée à être 100 % néerlandophone, c’est cette question délicate qui attise le conflit. Peu à peu, les francophones de Bruxelles sont allés vivre dans les villes flamandes voisines et ont demandé des « facilités ». Pour les Flamands, c’est le droit du sol qui prime : le territoire flamand doit rester intégral, et ils voient d’un très mauvais œil l’élargissement de la communauté francophone. Il y a vingt ans, ils avaient exigé une « frontière linguistique » : au Nord les Flamands, au Sud les francophones. Reste l’épineuse question de Bruxelles, ville francophone, capitale belge et européenne, telle une tâche ancrée en pleine province flamande.

- Est-ce que, pour vous-même, il peut être mal vu de vous exprimer en français ? Et à quelles occasions ?

- En Flandres, il est très mal vu de parler français, sauf à dire qu’on est Français. Les Flamands n’apprécient pas que les Belges francophones ne fassent pas l’effort de parler la deuxième langue nationale. Paradoxe : quasiment tous les Flamands comprennent le français, et voyant que vous faites des efforts en néerlandais, ils vous répondront en ... français !

Maintenant, personnellement, je m’en sors toujours en disant que je suis Français. Les Flamands apprécient beaucoup les Français... et parler en Flamand s’apprend, il faut juste oser... A Bruxelles, l’anglais devient la première langue, c’est encore plus facile.

Est ce que la rivalité linguistique s’accompagne de dérapages ?
Dans l’ensemble non, même si de plus en plus de dégradation ou de vol de drapeaux apparaissent. Par contre, à l’instar de l’Autriche ou certaines régions de France, c’est le nationalisme qui triomphe, notamment côté flamand. La NVA, parti nationaliste très porté sur la Flandres « autonome » - voire indépendante - est aujourd’hui en tête des sondages, ce qui laisse présager une mauvaise suite.

LES LIMITES DE LA DÉMOCRATIE

- Avez-vous ressenti un durcissement de cette rivalité ces derniers temps ?

- Très clairement oui. La Belgique est arrivée à un point de blocage unique dans son histoire...
Les Flamands parlent désormais en grande majorité d’une Flandres qui doit se prendre en main. Ils exigent une profonde réforme de la Belgique, quelque chose qui ressemblerait demain à du confédéralisme poussé. C’est-à-dire que chaque communauté disposerait de pouvoirs renforcés pour son propre gouvernement sur son sol : décider des dépenses de santé, du budget, des investissements, de la politique locale... bref, un « pays » sans concertation qui avancerait à plusieurs vitesses...
Pour compliquer le tout, on pourrait ajouter la troisième communauté officielle du pays, moins nombreuse et très discrète pour l’instant, à savoir la communauté germanophone !

- La démission du gouvernement le 22 avril était-elle prévisible ?

- Oui, Yves Leterme, en tant que personne, n’a jamais fait l’unanimité dans le pays, ni convaincu. Son parti, très populaire au départ, a perdu des voix au fur et à mesure. Et, dans ce nième gouvernement temporaire, la Belgique n’a finalement fait que gérer les affaires courantes... C’est à se demander comment le pays tient encore. Le fameux dossier "BHV", réclamant la fin d’un arrondissement électoral francophone en Flandres, a été reporté maintes fois... Les Flamands le posent désormais comme un ultimatum...

- D’après vous, quelle est la raison profonde du malaise belge ?

- Le malaise belge réside dans l’essoufflement d’un modèle fédéral très complexe. Entre le gouvernement fédéral, le gouvernement de chaque communauté, les régions, les provinces, les communes, les partis politiques et les alliances post-élection, même le Belge y perd son latin...
On touche les limites de la démocratie : les Belges votent, puis les partis politiques s’arrangent entre eux... Le vote est ici obligatoire, mais paradoxalement, les résultats ne veulent finalement rien dire.
Il faut ajouter à cela un siècle entier de frustrations, côté flamand, à force d’être dominés par les francophones. Aujourd’hui, la Flandres est l’une des régions les plus riches d’Europe, la partie francophone, quant à elle, a fortement périclité et n’est pas en grande forme économique... Les Flamands perçoivent le Sud du pays comme un obstacle à leur propre développement.

- A terme, pensez-vous, comme certains commentateurs, que la Belgique est morte ?

- Dire que la Belgique meurt est une bien grande étape... au pire demain, il pourrait y avoir deux pays : la Flandres et la Belgique (les Francophones restent attachés à ce mot). Mais on est loin de cette étape : il y a des garde-fous juridiques et constitutionnels à une telle séparation. Il y a également le casse-tête Bruxellois : que faire d’une ville francophone, berceau de l’Europe, ancré en plein milieu d’une province flamande nationaliste ?

Enfin, le Roi, bien qu’ayant un rôle essentiellement protocolaire, veille à la cohésion du pays et au respect mutuel des communautés.
Maintenant, quelque chose est bien mort dans la Belgique, à savoir la Belgitude... Fini le fameux « compromis à la Belge », où l’on finit toujours par s’arranger. Aujourd’hui, on règle ses comptes, chacun dans son coin, et l’on souhaite pouvoir avancer en toute autonomie. Comme si le syndrome de l’égoïsme issu de la mondialisation avait finalement eu raison de la Belgique...

LA VIE ÉCONOMIQUE AU RALENTI

- Comment imaginez-vous la suite des événements ?

- Des élections sont prévues le 13 ou 20 juin... Elles auront un coût considérable. On annonce déjà selon les sondages, une percée sans précédent des nationalistes flamands... Autant dire reculer pour mieux sauter... l’après élection risque d’être chaotique. Et il sera quasi impossible de choisir un Premier ministre consensuel.
Toute la solution - si temporaire soit-elle - résidera dans la capacité des francophones à accepter une profonde réforme de la constitution belge et du modèle fédéral, et à faire des concessions envers les flamands. Toute la solution dépendra aussi et surtout de la capacité des Flamands à croire encore à la Belgique. Le slogan du parti extrême flamand, le Vlaamse Belang, a toujours été et reste : "België barst !" (que la Belgique crève)

On s’acheminera peu à peu vers un modèle confédéral, comme le modèle Suisse.
A moins que le statu quo ne se poursuive à l’infini : crise après crise, gouvernement après gouvernement...
Aujourd’hui, les médias attisent le conflit, y allant d’anecdotes sur les "vilains flamands" ou "francophones coincés". Le Belge, quant à lui, semble perdu...

- Les députés belges viennent d’être les premiers à interdire le voile intégral dans la rue. Qu’en pensez-vous ?

- C’est une mesure votée à la va-vite par un gouvernement temporaire.Il n’y a pas grand-chose à penser. Il est clair que la Belgique n’est pas un modèle d’intégration sociale vis-à-vis de la récente immigration musulmane. Dans de nombreuses communes, les jeunes d’origine musulmane ne trouvant pas de travail en Belgique. Disons que ceci ne va sûrement pas améliorer la popularité de la Belgique à l’étranger...

- Quelles conséquences ont les troubles politiques sur la vie économique du pays ?

- La vie économique tourne totalement au ralenti. La Belgique a la chance d’être un pays riche, par l’immobilier et les finances. Si ce n’était pas le cas, le pays aurait fait faillite il y a belle lurette. En attendant, plus aucune mesure concrète n’est prise en Belgique : la pauvreté et le chômage augmentent, les prix également, il devient difficile d’emprunter pour tout un chacun. Le statu quo a un effet d’usure qui pourrait s’avérer catastrophique sur le long terme...

- Envisagez-vous de faire votre vie en Belgique ?

- Grande question ! La Réunion finit inlassablement par manquer à tout Réunionnais.

- Ce qui se passe aujourd’hui peut-il remettre en question votre situation en Belgique ?

- Oui très clairement. Passer d’un pays très riche car multiculturel, à un pays où les communautés s’entre-tuent, chacune plus nombriliste l’une que l’autre, ne m’enchante guère... Ce serait un grand échec si cela arrivait...

Interview réalisée par Franck Cellier parue sur lequotidien.re

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