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Emmanuelle Thuong-Hime, administrateur territorial au Département de la Réunion

Publié le 12 juin 2018

Nous l’avions laissée directrice de la culture et du patrimoine de la Région Aquitaine (lire son interview de 2012). Première Réunionnaise à décrocher le concours externe d’administrateur territorial, Emmanuelle Thuong-Hime a bénéficié d’une mutation au Département de la Réunion. Une opportunité professionnelle unique en tant que future Directrice Générale d’une société publique locale en préfiguration, qui aura pour vocation de gérer et développer les musées et jardins départementaux. Découvrez ce portrait « Spécial Retour ».


Pouvez-vous vous présenter ?

Emmanuelle Thuong-Hime, 42 ans, je suis Dyonisienne. Après un BAC scientifique au lycée Leconte Delisle, j’ai suivi des études supérieures en métropole : à Lyon en hypokhâgne puis à l’Institut d’Etudes Politiques, à Paris en DESS (Master 2) Communication et politiques de développement territorial au CELSA. J’ai été la première Réunionnaise à avoir le concours externe d’administrateur territorial en 2002 (promotion Terres des Hommes). Je suis arrivée en décembre 2017 au Département de la Réunion en tant que future Directrice Générale d’une société publique locale en préfiguration, ayant vocation à gérer et développer les musées et jardins départementaux.

Quel a été votre parcours de mobilité ?

Au terme de ma formation post-concours à l’Institut National des Etudes Territoriales de Strasbourg, j’ai eu mon premier poste au Musée d’art moderne de Saint-Etienne Métropole, comme Secrétaire Générale en 2004. J’ai passé cinq années au plus près des artistes, au service d’un territoire à forte identité industrielle et d’une population attachante et ouverte à l’autre. En 2009, j’ai décidé de passer de l’autre côté du miroir et j’ai été nommée Directrice de la Culture et du Patrimoine de la Région Aquitaine, jusqu’à la fusion des Régions en 2016. J’ai sillonné cette vaste région au patrimoine exceptionnel, de Bordeaux à Biarritz, Pau, Mont-de-Marsan, Agen ou encore Périgueux. J’ai appris à connaître, petit à petit, les codes du sud-ouest et à profiter de cet art de vivre alliant paysages, terroir, gastronomie, traditions et innovations.


Visite de Lascaux, centre international de l’art pariétal, juste avant son ouverture au public en décembre 2016


Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rentrer à la Réunion ?

Il s’agit d’une conjonction de plusieurs facteurs, comme souvent dans la vie. Des raisons personnelles qui me poussaient à me rapprocher de ma famille, ayant quitté l’île à 17 ans et revenant à La Réunion au plus une fois l’an pour les vacances. Des raisons professionnelles, avec d’une part une insatisfaction liée à la fusion des Régions et à l’éloignement du terrain induit par un nouveau territoire, la Nouvelle-Aquitaine, aussi vaste que l’Autriche ; d’autre part une opportunité professionnelle unique qui s’est présentée avec la création de cette nouvelle structure, dans un secteur où j’aspirais à revenir, sur un poste à la fois stratégique et opérationnel.

Comment avez-vous préparé votre retour ?

J’ai procédé par étapes. La préparation du retour est en fait un processus de long terme qui vient d’une lente maturation du projet de vie. Elle est donc autant psychologique que matérielle. J’avais déjà envisagé un retour les années précédentes, sans pour autant franchir le pas. L’important est de garder des contacts sur place et de faire une veille permanente.

Décrivez nous votre état d’esprit à l’atterrissage à Gillot.

Je me posais des questions sur ma capacité d’adaptation, tant sur le plan personnel que professionnel. Et puis je me suis dit : « On va tenter le coup ! ». Au final, je n’ai pas eu de difficultés sérieuses. En tant que fonctionnaire territoriale bénéficiant d’une mutation, ce n’était pas tout à fait un saut dans l’inconnu.

Musée d’art moderne de Saint-Etienne pendant l’exposition Antony Gormley

Quels sont les points de satisfaction / déception de votre retour ?

Satisfaction de retrouver famille et amis d’enfance ou d’adolescence, tous les goûts et saveurs, la diversité culturelle et le métissage, de retrouver du temps aussi pour se poser, redécouvrir ce territoire complexe et son histoire. J’ai pris conscience de l’autre face de la société traditionnelle : un temps long, de l’inertie dans les projets, voire un certain conservatisme.

Avec le recul, tirez-vous un bilan positif de votre expérience de mobilité ?

Ayant vécu plus de temps en métropole qu’à La Réunion, je dirais que j’ai une double expérience de mobilité : de La Réunion vers la métropole, de la métropole vers La Réunion. Ma mobilité en métropole m’a apporté l’ouverture ; par effet miroir elle m’a permis de comprendre mon identité multiple (asiatique, créole, réunionnaise, française…) ; elle m’a permis d’acquérir une formation, une expérience, un réseau et un vécu très différents. Ma mobilité vers La Réunion est encore trop récente pour en tirer un bilan. Mais je n’aurais pas pu avoir ce parcours de formation et professionnel en restant sur l’île. Le marché du travail est très tendu sur des postes à responsabilité dans l’administration et le secteur culturel.

Qu’avez-vous trouvé de changé à votre retour à la Réunion ?

Depuis quelque temps, je sens que les communautés sont de plus en plus reconnues dans leurs traditions et rites, lesquelles sont parfois réinventées voire folklorisées. La question de l’identité créole et des identités semble plus forte aujourd’hui, comme en métropole ou dans le monde par ailleurs. La Réunion île laboratoire de la diversité et du métissage n’échappe pas à la globalisation culturelle, à la quête identitaire et sa récupération. Les Réunionnais doivent connaître et s’approprier leur propre histoire mais aussi la dépasser en la réinventant au présent : c’est en faisant cet effort que nous nous projetterons dans l’avenir.

Qu’est-ce qui vous surprend le plus par rapport à l’endroit où vous viviez en mobilité ?

La diversité des noms et des visages, les montagnes omniprésentes et imposantes (je pense par exemple aux dessins de Kid Kreol et Boogie), l’insularité, le tout-voiture, le manque d’animation dans certaines villes ou quartiers. Pour la première fois, les gens m’appellent par mon nom de famille, sans l’écorcher et du premier coup. Le respect des gens. Une société encore traditionnelle.

Aujourd’hui quels sont vos projets ?

Quelle que soit mon actualité du moment, je souhaiterais développer le même projet, au service de cette île à laquelle je suis tant attachée, et des Réunionnais, en particulier les jeunes, pour qu’ils puissent croire encore à l’égalité des chances.

Quels conseils donneriez-vous aux Réunionnais qui comme vous souhaiteraient rentrer sur l’île ?

De bien mûrir son projet de vie, personnel et professionnel, et d’identifier ses priorités du moment. De faire ses preuves professionnellement hors de l’île d’abord pour soi-même, car il faudra ensuite le faire sur l’île… où on ne vous attend pas forcément !


Plus d’interviews « Spécial Retour » / www.reunionnaisdumonde.com/t/8/Service-Public

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