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Mélanie Manelphe, 27 ans, avocate à Paris

Publié le 11 juin 2006

Mélanie a quitté la Réunion après le bac et suivi des études qui l’ont menée jusqu’au diplôme d’avocat. Elle vient tout juste d’être embauchée par un cabinet spécialisé dans le droit du travail. Parallèlement elle déborde d’activités : chroniqueuse à la radio, elle fait partie de diverses associations qui délivrent du conseil juridique aux sans papiers et elle s’est engagée politiquement.

Mélanie Manelphe
Lors d’un voyage au Brésil.

Racontez-nous votre parcours.

"Je suis née dans un petit village du Tarn, pas loin de Toulouse, de parents éducateurs spécialisés. A l’âge d’un an, mes parents ont divorcé et ma mère est partie s’installer avec ses deux petites filles à la Réunion, qu’elle avait connu quelques années auparavant et dont elle était tombée amoureuse. Nous avons vécu au Port puis à Saint-Paul, et enfin à Saint-Gilles. A l’âge de dix huit ans j’ai eu mon bac et j’ai été prise en hypokhâgne à Toulouse. Je suis partie là bas faire mes études parce que ma grande soeur y était déjà".

Comment s’est passée votre arrivée ?

"J’ai tout d’abord vécu en colocation à trois. La première année a été pleine de découvertes, des moeurs métropolitaines (rien que le fait d’aller boire un café dans un lieu fermé et enfumé me semblait très "exotique"). Incapable de m’habiller en hiver, je portais deux pantalons légers l’un sur l’autre, et je faisais rire tous mes camarades de classe avec mes cinq ou six pulls superposés. Je n’avais pas saisi qu’il fallait acheter des vêtements chauds avec de la laine... Je me suis en revanche tout de suite fait des amis, la plupart un peu "expatriés" comme moi, des Espagnols par exemple".

Et ensuite ?

"Puis je suis arrivée en deuxième année de droit et là c’était encore plus le choc culturel. J’étais la seule en baskets dans un amphi de 500 personnes qui exhibaient leurs vestes Vuitton... A défaut de me faire des amis en droit, je m’en suis fait parmi mes voisins, chaleureux et ouverts : un vétérinaire gabonais, une chanteuse algérienne, une autre Réunionnaise du Tampon, etc".

Quel est votre cursus ?

"Je suis restée à Toulouse jusqu’à la licence, puis je suis "montée" à Paris en Maîtrise de droit privé mention droit social à l’université Panthéon Sorbonne. J’ai passé l’examen d’entrée au CRFPA (centre de formation à la profession d’avocat), tout en faisant des stages et des petits boulots. J’ai obtenu l’examen en 2004 et je suis entrée à l’EFB (école de formation du barreau de Paris). En décembre 2005, j’ai obtenu mon diplôme d’avocat et je viens juste de trouver du travail pour deux avocats en droit du travail (avocats de la CGT, défense des salariés). Cet été je ferai un mi-temps dans un cabinet à Meaux en droit pénal (permanences pénales, comparutions immédiates, gardes à vue)".

Quels sont vos projets ?

"Pour le moment, j’aime beaucoup ma vie à paris, même si je ne m’y vois pas dans dix ans. Je me suis construite une sorte de "matelas affectif", une ribambelle d’amis qui comptent beaucoup pour moi et qui remplacent en quelque sorte la famille manquante et permettent de bien supporter la dure vie parisienne. Plus tard, j’aimerais me retrouver dans un pays qui ressemble à la Réunion, avec du soleil, la mer et un rythme de vie zen et "cool". Ma soeur est partie vivre en Argentine, alors peut-être l’Amérique du Sud... Pour le moment je vais continuer à travailler à Paris, parce que ce que je fais me plait énormément".

Qu’est-ce qui vous manque de la Réunion ?

"Quand je rentre à la Réunion, que je pose les pieds à Gillot et que la bouffée d’air chaud m’envahit, je me sens chez moi. Sans savoir trop l’expliquer, je me sens tout de suite bien, sereine, au foyer. Ce qui me manque de la Réunion c’est avant tout la mer, l’horizon et puis la vie bien sur, le sourire des gens, les samoussas et les sarcives, le non-empressement. J’ai un peu voyagé et cette île est selon moi la plus belle et la plus riche (culturellement) du monde. Un bout de terre où se rejoignent une multitude de moeurs et de cultures, ça aussi ça manque".

Que vous apporte cette expérience de mobilité ?

"L’expérience en métropole m’a donné une ouverture sur le monde incroyable, de nouvelles habitudes, avec tout ce que ça a de bon (le cinéma, le théâtre, les concerts...) et ce que ça a de mauvais (le racisme, l’individualisme...). Et puis ça m’a permis de voyager facilement. Depuis que je suis là, dès que je gagne un peu d’argent je pars en voyage, en Europe, en Amérique du Sud, en Afrique. Tout est plus facile et plus accessible, et ça c’est formidable. De plus, je fais des choses ici que je n’aurais jamais cru pouvoir faire un jour : je suis chroniqueuse à la radio, je fais partie de diverses associations où je fais du conseil juridique aux sans papiers, je suis engagée politiquement, etc".

Quel est votre regard sur la Réunion ?

"Je suis l’actualité réunionnaise à travers ce que mes parents me racontent, mais je n’ai pas tellement le temps de m’y pencher sérieusement, étant assez engagé de différentes manières à Paris. Quand je rentre, je regrette cependant l’urbanisation à outrance de la côte Ouest. Mais je n’ai pas l’impression, en rentrant, que la Réunion perd de son identité ou de sa richesse culturelle".

Quels ont été les avantages / inconvénients du fait de venir de la Réunion dans votre parcours ?

"L’avantage certain d’avoir vécu à la Réunion est une "tolérance" et une ouverture sur les autres cultures, sur l’Autre de manière générale. Le seul inconvénient que je peux voir, c’est le manque de réseau professionnel qui fait que c’est plus compliqué que pour les autres lorsque l’on recherche du travail. On a moins de contacts, il faut plus se battre".

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes Réunionnais ?

"Je leur dirais qu’il est très important d’aller vers les autres et de se faire des amis ici, parce que c’est ce qui permet de s’enrichir et de supporter les coups durs de "l’exil". Il y a partout, de Grenoble à Paris, des gens formidables et ouverts. Il faut aussi se dire que tout ce qui nous arrive nous renforce et nous apprend. Etre venu en métropole c’est selon moi, comme aller vivre à l’étranger : il faut faire plus d’efforts pour "s’insérer" mais après, on peut vivre des choses extraordinaires et avoir une vie qui nous permet de faire ce que l’on veut".

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