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Election de Clegg et Cameron en Angleterre : Cécile Hoareau témoigne

Publié le 24 mai 2010

La rubrique 974 World News réalisée en partenariat avec Le Quotidien donne la parole à des Réunionnais qui témoignent de l’actualité dans leur pays d’adoption. Cécile Hoareau a quitté son île natale pour poursuivre ses études il y a 11 ans. Elle est actuellement directrice de recherche dans un cabinet de conseil spécialisé dans les politiques publiques (Ecorys) et maître de conférences en sciences politiques à la London School of Economics and Political Science.

Cécile Hoareau

- Les élections ont-elles passionné les gens que vous côtoyez ?

- Oui, pour plusieurs raisons. La crise économique qui affecte le Royaume-Uni plus intensément que la France, la guerre en Iraq et en Afghanistan, le fait que le Premier ministre Gordon Brown n’avait pas été élu et le caractère unique du résultat.

- La période électorale qui vient de s’achever a-t-elle modifié vos habitudes ?

- Elle a modifié mes habitudes professionnelles puisque j’ai prêté un plus grand intérêt dans mes cours aux élections et un changement de gouvernement affecte directement le nombre et la nature des clients dans mon travail de conseil.
J’ai passé plus de temps devant les actualités qui étaient passionnantes, j’ai rencontré des gens de différents partis que je n’aurais pas côtoyés autrement et ai eu un peu plus de « raler-pousser » avec mes amis et mon partenaire lors de discussions politiques !

- Vous attendiez-vous ce que ces élections débouchent sur un gouvernement de coalition entre libéraux et conservateurs ?

- Oui. Le parti conservateur a obtenu le plus grand nombre de votes de façon constante pendant plusieurs mois avant les élections.
Mais le calcul du nombre de sièges à partir de la carte électorale indiquait l’absence d’une majorité et plusieurs experts avaient commencé à prédire une coalition entre les conservateurs et les libéraux démocrates depuis l’année dernière.
Il faut aussi dire que les débats télévisés ont beaucoup bénéficié à Nick Clegg, le leader du parti libéral démocrate et ont accru les votes libéraux.

- Comment expliquez-vous la défaite de Gordon Brown ?

- Gordon Brown a souffert de facteurs conjoncturels liés à l’économie ainsi que de la façon dont son mandat lui a été attribué et de son manque de charisme.
Au niveau économique, la récession a beaucoup affecté le Royaume-Uni et s’est traduite par un mécontentement particulier des citoyens qui ont pu percevoir une injustice entre leurs difficultés matérielles quotidiennes et les crédits importants accordés par le gouvernement pour sauver les banques et les banquiers dont les bonus font rougir dans la City.

Ce mécontentement a masqué le fait que Gordon Brown est en fait parvenu à faire sortir le Royaume-Uni de la récession et a évité une dépression économique depuis le dernier trimestre 2009.
Mais le mandat de Gordon Brown lui-même a aussi contribué à sa défaite. Gordon Brown n’a jamais été élu. Il avait promis une élection au début de son mandat mais a changé d’avis quand il a vu que les enquêtes d’opinion mèneraient à sa perte. Il a seulement déclaré les élections ce printemps, au terme de la période légale l’autorisant à rester Premier ministre malgré des demandes populaires constantes.

Gordon Brown n’est aussi, de son aveu personnel, pas à son aise devant les caméras et pas aussi charismatique et charmeur que certains autres hommes politiques. Ceci a contribué à une certaine impopularité.
Finalement, le parti travailliste est au pouvoir depuis 1997, donc une alternance était logique en théorie.

- Pensez-vous que David Cameron et Nick Clegg parviendront à s’entendre pendant tout un mandat ?

- Un des facteurs clefs concernant la durée de la coalition est la réforme électorale promise en concession aux libéraux et le calendrier du referundum sur cette réforme pour passer à la représentation proportionnelle.

Une fois cette reforme adoptée, les libéraux pourraient annuler la coalition et pousser à une élection générale pour obtenir un nombre de siège proportionnel à leur performance.
Le besoin de mener une politique budgétaire très restrictives, avec les réductions des dépenses publiques et une augmentation des impôts mènera cette coalition à être assez impopulaire une fois le nouveau budget mis en place.

Donc les libéraux ont intérêt à demander cette élection assez rapidement au début du mandat (dans un an ou deux) ou vers la fin du mandat une fois que les résultats de ces réformes feront remonter leur popularité. Mais il va de soi que les conservateurs essaieront certainement de repousser au plus tard le referundum sur le mode de participation électorale pour stabiliser la coalition.
En ce qui concerne l’entente entre David Cameron et Nick Clegg, ils viennent de deux partis qui ont des différences idéologiques fondamentales. Par exemple, le parti conservateur est très euro-sceptique alors que la femme de Nick Clegg est espagnole et qu’il a été formé au Collège d’Europe, une institution visant à former les élites des institutions européennes. Il va de soi que leur collaboration au jour le jour ne sera pas des plus faciles.

- Quelle sera selon vous la conséquence la plus immédiate de leur prise de pouvoir ?

- La priorité annoncée va à l’économie et à la réduction du déficit public qui est l’un des plus larges d’Europe. Après la crise en Grèce, le nouveau gouvernement doit signaler aux investisseurs mondiaux que l’economie britannique est stable.

- Qu’en attendez-vous personnellement ?

- Pas trop d’impôts ! Le parti conservateur veut aussi introduire une limite au nombre d’immigrants, mais cette mesure ne concerne pas les citoyens de l’Union Européenne dont je fais parte.

- Les perspectives économiques de la Grande-Bretagne vous semblent-elles meilleures qu’en France ?

- Au niveau budgétaire, non. Le déficit public de la Grande-Bretagne est plus élevé et le gouvernement doit mener des réductions importantes de dépenses publiques, particulièrement dans le milieu universitaire dont je fais partie. (En France, le plan de relance mène à la tendance inverse). Ces réductions budgétaires vont certainement accroître les inégalités sociales qui sont déjà marquées, Londres étant l’une des villes les plus inégalitaires au monde.

Au niveau de l’emploi, la tradition britannique veut un marché du travail plus flexible qu’en France. Pour certains cela signifie plus d’emplois précaires. Mais d’un côté positif, il est plus facile de recruter et de limiter le taux de chômage. Il n’y a pas de raison pour que ces conditions sur le marché du travail ne restent pas en place.

- Les Anglais prennent-ils comme une bonne nouvelle la promesse de ne pas abandonner la Livre au profit de l’euro ?

- Oui en majorité. Les Britanniques ne sont pas aussi pro-européens que les Français.

- Après les élections quelle est la principale préoccupation des Anglais ?

- Ceux qui ont un travail sont principalement préoccupés par les impôts, que le gouvernement a promis de ne pas trop augmenter, et par la préservation de leurs services publics. Pour les chômeurs, le principal souci est de trouver un emploi.

Interview réalisée par Franck Cellier parue sur lequotidien.re

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