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« Pour quelle mondialisation ? » - un article de Paul Hoarau

Publié le 3 novembre 2018

« La mondialisation à la mode a déjà perdu la guerre ». Extrait du Journal de Paul Hoarau du 29 octobre 2018. Homme de média et de politique, ancien conseiller régional et fondateur du Comité du Progrès, Paul Hoarau est fortement impliqué dans la vie civile et la société réunionnaise depuis de longues années.

Paul Hoarau sur la scène du TEDx Réunion 2012

« Le monde étant devenu un grand village, la mondialisation va de soi. Mais « la mondialisation à la mode » que l’on veut, aujourd’hui, imposer à l’humanité, la mondialisation par le clonage de modèles dominants et la disparition de la diversité, a déjà perdu la guerre.

Un cadre supérieur d’une institution locale, au sommet de sa réussite, me disait qu’un jeune chômeur qui ne trouvait pas d’emploi était un paresseux qui n’avait pas envie de travailler. Trente ans après, à la retraite, ce même cadre supérieur vint me voir, un jour, pour me dire son indignation : son fils, « bac +5 », ne trouvait pas de travail dans l’île. Je ne lui ai pas dit que son fils était un paresseux qui ne voulait pas travailler, mais j’avais envie de lui dire - car c’était un apôtre de « la mondialisation à la mode » - pourquoi son fils, s’acharnait-il à vouloir travailler à la Réunion, alors que, avec les diplômes qu’il avait, il pouvait trouver du travail en France, au Canada, aux Etats-Unis ou en Corée.

Un autre cadre supérieur - patron même – me serinait, tout le temps, tous les poncifs de « la mondialisation à la mode » : la loi du marché, la compétitivité, la productivité, l’internationalisation, le « moins d’État », etc. Il avait restructuré le secteur industriel qu’il dirigeait. Il avait pas mal réussi dans ce secteur pourtant fragile et menacé. Et un beau jour, son conseil d’administration, au nom de la loi du marché, de la productivité, de la compétitivité, etc., l’a contraint de vendre à une multinationale, tout ce qu’il avait mis toute une vie à construire.

Des entrepreneurs passionnés, ayant réussi à monter et à promouvoir des PME qui marchaient, ont vu leur entreprise, un jour, étranglée puis absorbée par un groupe plus important qui l’ont, tout simplement, effacée du paysage économique. Ce que ces « gros groupes péi » ignorent, c’est que, demain, à leur tour, ils seront eux aussi, étouffés, absorbés et digérés par des multinationales. Il est bien connu que « les fonds de pension » américains investissent à la condition de toucher des dividendes à deux chiffres », et qu’à la moindre défaillance sur ce point, ils retirent leurs billes, même si l’entreprise affiche des résultats positifs. Des milliers de travailleurs ont été jetés au chômage de cette façon.

C’est cela « la mondialisation à la mode », la tendance. Et les gens sérieux, informés, experts, importants disent, écrivent et répètent, que cette mondialisation-là est une fatalité du monde contemporain. Les moyens techniques d’aujourd’hui, permettent des concentrations à peu de frais avec, à la clé, des rapports exceptionnels. La diversité du monde disparaît.

En vérité, partout dans le monde, nous la voyons renaître. Des femmes et des hommes courageux, ont ouvert des entreprises, lancé des exploitations de tailles suffisantes pour assurer une vie décente. Ces hommes et ces femmes ne courent pas derrière la croissance à tout prix, et le toujours plus d’argent.

La concentration monopolistique entraîne mécaniquement du chômage. La diversification des activités économiques entraîne tout aussi mécaniquement, une diminution du chômage. Au bout du chômage, souvent, c’est la misère et le sentiment d’être, au mieux, assisté, au pire, exclu ; le sentiment culpabilisant d’être inutile et parasite. Dans certains pays, l’état de misère est tel que les plus atteints se mettent à rêver de mondes meilleurs vers lesquels ils vont tenter de se diriger, parfois au péril de leur vie.

J’ai été impressionné par le reportage de cette marche de plusieurs milliers de Honduriens qui ont traversé leur pays, le Guatemala et le Mexique pour se rendre aux Etats-Unis. Ce cortège était impressionnant. Imaginez qu’au lieu d’être 7000, ils étaient 700 000 ! Cela est envisageable, et ne serait que la répétition de l’invasion des barbares sur les terres de l’Empire romain décadent des débuts de notre ère. Il n’est pas possible que les millions de femmes et d’hommes réduits à la misère la plus extrême, la plus dégradante, pour des raisons économiques, politiques ou militaires et, parfois, pour les trois raisons mêlées, se résignent indéfiniment à leur sort.

En Afrique, en Asie, en Europe, des milliers d’initiatives en marge des puissances d’argent et des pouvoirs politiques à leur solde, organisent une autre vie économique. Les médias, les grands médias, n’accordent guère d’attention à ces initiatives, ils n’y croient pas. Ils sont subjugués, hypnotisés, tétanisés par la puissance de l’argent qui avance, commande et broie tout sur son passage. Ils sont dans la fatalité de « la mondialisation à la mode ».

Au niveau national, la tendance est à « la priorité à ceux qui travaillent ». On ratiboise les retraites des seniors (ils ne travaillent plus) ; on crée des aumônières pour les pauvres (parce qu’ils ne travaillent pas). Ils sont exclus du système économique qui redistribue la richesse produite : la solidarité nationale cède la place à la productivité. Mais pendant que les pauvres sont appauvris, les riches s’enrichissent. Les tableaux qui montrent l’enrichissement des milliardaires, d’années en années, est impressionnant. Le dirigeant d’une entreprise française au salaire faramineux qui organisait des « plans sociaux » (des licenciements de personnels au nom de la compétitivité et de la productivité) demandait une augmentation de 30 % de ses émoluments au seul motif de les aligner sur ceux de ses collègues américains (une autre forme de « la mondialisation à la mode »).

Depuis le président Giscard d’Estaing, les présidents de la République qui n’ont pas voulu réformer le « modèle économique et social français », mais le casser, n’ont pas eu de deuxième mandat. Les électeurs les ont congédiés. Le dernier d’entre eux a renoncé. En attendant, ils ont causé des dégâts importants à une construction qu’ils ont en partie démolie sans en construire une autre.

Nous sommes en présence de deux possibilités : soit les femmes et les hommes qui préparent une autre mondialisation qui s’enracine dans la diversité des pays et des peuples du monde, réussissent leur coup ; soit cette mondialisation alternative est empêchée d’émerger. Dans la première hypothèse, l’évolution de la société humaine sera pacifique ; dans la deuxième hypothèse, ce sera le déferlement des crève-la- faim du monde, le désordre absolu, qui démolira tout ce que l’égoïsme, la cupidité et la bêtise aura construit, en prélude d’un autre monde, d’une autre mondialisation. En tout état de cause, la mondialisation à la mode des tenants de l’école de Chicago, auront perdu la guerre.

Pour nous qui avons la responsabilité du caillou qui est le nôtre, quoi faire ici ? Pourquoi pas quelque chose d’exemplaire ? »


Lire aussi : Les Fondamentaux pour La Réunion et la Conférence des mille / d’autres analyses de Paul Hoarau / le blog http://reelr974.eklablog.com / www.facebook.com/lejournaldepaulhoarau / Contact : [email protected]

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