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Les Extra-Terriens et les Biosphères du Futur

Publié le 22 novembre 2018

Une histoire du temps présent racontée par le Dr. Guy Pignolet dans le cadre des « European Space Talks » - Sainte-Rose le 17 novembre 2018.


La pluie s’est arrêtée. Le soleil brille sur la Place des Fêtes de Piton (Pluton) Sainte Rose. De temps en temps un nuage s’interpose et une petite brise s’est levée. Depuis le seul kiosque qui reste après la passage de Fakir, on aperçoit le sommet du Piton Cascade où commence mon histoire. Kriké ?

Première partie : du Piton Cascades à Ultima Thulé

Messieurs, Mesdames, la Société, c’est ici qu’a commencé notre histoire, en janvier 2006, cela va bientôt faire treize ans. Sous leur grande antenne, trois techniciens de la NASA attendaient que passe dans le ciel de Sainte-Rose le dernier étage de la fusée partie quelque minutes plus tôt de Cap Canaveral, à une vitesse de 16 km/s. Au sol ça donnerait, top on est à Saint-Benoît, top on est à Sainte-Suzanne, top on est à Saint-Denis. Et là, au-dessus de La Réunion, la sonde « New Horizons » la bien nommée allait être libérée pour un long, très long voyage que nous allons essayer de suivre.

Une heure seulement après avoir quitté la planète Terre au-dessus de l’océan Indien, New Horizons croisait l’orbite des satellites géostationnaires, auxquels on doit les images météo, la télévision et le téléphone qui en quelques touches nous met en relation avec nos contacts de l’Hexagone, de l’Europe et du monde entier. Neuf heures après le lancement, la sonde dépassait déjà l’orbite de la Lune, longtemps donnée comme le symbole de l’inaccessible alors qu’elle est à moins de 400.000 petits kilomètres du kiosque de la Place des Fêtes de Sainte-Rose. Il a quand même fallu un an pour atteindre Jupiter, la première des planètes géantes gazeuses qui tournent autour du Soleil.


En passant très près de Jupiter, New Horizons a été « aspirée » et a bénéficié de ce que techniquement on appelle l’assistance gravitationnelle pour gagner en quelque sorte gratuitement quelques kilomètres par seconde supplémentaires qui ont raccourci d’autant la suite du voyage. Au passage, New Horizons a fait un extraordinaire petit film d’une éruption volcanique du satellite Io.

Pendant huit autres années, New Horizons a continué sa course jusqu’à Pluton, une planète naine découverte seulement en 1930. Pendant les quelques heures de la traversée du système de Pluton, le 14 juillet 2015, New Horizons a engrangé dans ses mémoires une énorme moisson de photos et d’informations scientifiques qui ont ensuite demandé une année et demie de téléchargement pour les rapatrier sur la Terre. A la distance de plus de quatre milliards de kilomètres, il fallait quatre heures pour que les ondes radio parviennent jusqu’à la Terre, à la vitesse de la lumière. Pensez qu’il ne faut que huit minutes pour que la lumière du Soleil parvienne jusqu’à nous. Pour commémorer le rôle mineur mais néanmoins important que Sainte-Rose a joué dans cette belle aventure, une maquette grandeur nature de la sonde est exposée pour le public dans l’entrée du gîte CanaSuc à la sortie de la ville de Sainte-Rose, avec des grands panneaux d’explications.

New Horizons a continué sa course dans la Ceinture de Kuiper, la troisième zone du Système Solaire, dont on ne connait l’existence que depuis tout juste une vingtaine d’années. Après les quatre planètes rocheuses dont la Terre fait partie, il y a les quatre grandes planètes gazeuses, et maintenant on a découvert qu’il y avait aussi plus de mille cinq cents petites planètes naines comme Pluton qui tournent autour du Soleil. Dans quelques semaines, le 1er janvier 2019, New Horizons va survoler Ultima Thulé, une sorte de rocher surgelé d’une trentaine de kilomètres que l’on considère comme un vestige des premiers objets de la formation du Système Solaire. La Réunion et Sainte-Rose seront à nouveau impliquées dans cet événement, comme relais francophone des informations diffusées par la NASA et l’équipe opérationnelle de New Horizons, avec une animation spécifique, des conférences et des ateliers pour le public réunionnais. Voilà, partis de Sainte-Rose, nous revenons à Sainte-Rose après, grâce à cet engin extraordinaire qu’est New Horizons, être allés jusqu’aux confins de ce qui est notre nouveau domaine, la totalité du Système Solaire. Kraké.

Deuxième partie : le miracle des astéroïdes

Avec Ultima Thulé, nous voici donc aux origines du Système Solaire, et là, c’est aussi toute une histoire, qui commence au Big Bang, il y a 13,7 milliards d’années. Kriké ?

Il y a eu la séparation de l’énergie et de la matière, la synthèse des particules puis celle des atomes d’hydrogène, simplement composés d’un proton et d’un électron, qui constituent encore la quasi-totalité de l’univers de matière. Sous les effets de la gravitation, ces atomes se sont rassemblés pour former les étoiles de la première génération, au cœur desquelles des pressions et des températures colossales ont engendré toute la série d’atomes de plus en plus massifs, de plus en plus complexes que l’on retrouve dans la table de Mendeleïev. Ces premières étoiles ont explosé, dispersant leurs constituants qui se sont à nouveau rassemblés pour former des étoiles de deuxième et de troisième génération dont notre Soleil fait partie. Les étoiles débordent d’énergie et ont un comportement violent qui se traduit par des éruptions et des éjections de poussières d’étoile pour constituer ce qu’on appelle un disque proto-planétaire. C’est dans ce disque que les poussières se rassemblent à leur tour pour former des météorites, des astéroïdes dont les dimensions vont de quelques mètres à quelques kilomètres, des comètes et des petits corps comme Ultima Thulé que l’on retrouve en quantité dans les zones extérieures du Système Solaire, la Ceinture de Kuiper et le Nuage de Oort.

A proximité du Soleil, tous ces petits corps ont fini par se rassembler pour former les quatre planètes rocheuses, Mercure, Vénus, la Terre et Mars, les quatre grandes planètes gazeuses, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, avec leur cortège de satellites et d’anneaux, et plus loin encore les milliers de planètes naines, dans une troisième catégorie créée après leur découverte il y a juste 20 ans.

Voilà pour l’image simple et classique d’un système composé d’une étoile autour de laquelle tournent des planètes, des corps assez gros pour que la chaleur dégagée par la radioactivité naturelle en fasse fondre le cœur et leur donne une forme de bille sphérique. Mais il ne faudrait pas oublier les objets primitifs que sont les astéroïdes, trop petits pour que leur cœur ait fondu, qui gardent des formes assez tarabiscotées. Depuis que les astronomes s’intéressent aux astéroïdes, cela ne fait guère qu’une cinquantaine d’années, ils en ont recensé environ un million de plus d’un kilomètre de diamètre. Il y a beaucoup de collisions, quand les trajectoires se croisent, et une grande quantité de cratères d’impact sur tous les corps du Système Solaire, y compris la Terre. Il a 65 millions d’années, un astéroïde d’environ 10 km de diamètre a percuté notre planète. Les dinosaures ne s’en souviennent pas parce qu’ils en sont morts, mais c’est à cet impact que nous devons l’émergence des mammifères dont nous faisons partie.

Plus récemment, il y a tout juste cinq ans, à Chelyabinsk, en Sibérie, un astéroïde d’une quinzaine de mètres a explosé dans l’atmosphère et l’onde de choc a détruit toutes les vitres d’une ville de dix mille habitants et fait des centaines de blessés. Des astéroïdes comme celui de Chelyabinsk, il en passe tous les jours à proximité de la Terre et il y a un site internet dédié pour dire chaque jour lequel était le plus menaçant. Hier, vendredi 16 novembre, l’astéroïde 2018 VS8 d’une taille d’une dizaine de mètres est passé à deux fois la distance de la Lune, sans danger pour nous, mais il n’a été détecté que lundi dernier. Ces petits astéroïdes, c’est par milliards qu’il faut les compter autour du Soleil.

Des astéroïdes, on en trouve donc partout dans le Système Solaire. Dans la composition des astéroïdes, on trouve tout ce qui fait l’environnement de notre biosphère, notre sphère de vie : du carbone, de l’azote, de l’eau en quantité, et tous les métaux que l’on veut. Point numéro un !

Il a fallu treize ans à New Horizons pour aller de la Terre jusqu’à Ultima Thulé, et encore en usant d’astuces comme le rebond gravitationnel autour de Jupiter. Mais après son injection à la verticale de Sainte-Rose, New Horizons a simplement continué sur sa lancée, sans aucune autre propulsion pendant tout le trajet jusqu’à la Ceinture de Kuiper. C’est le problème de la propulsion chimique, puissante mais de courte durée. La puissance est nécessaire pour s’arracher de la surface de la Terre, ou d’ailleurs de la surface de n’importe quelle planète, et seuls les propergols chimiques sont capables de fournir cette puissance en brûlant des carburants qui fournissent à la fois la masse de gaz sur lesquelles s’appuyer pour avancer par réaction, et l’énergie pour appuyer sur cette masse de gaz pour l’éjecter. L’inconvénient, c’est qu’en quelques minutes les réservoirs sont vides.

Il existe un autre mode de propulsion, mille fois plus performant que les fusées chimiques, c’est la propulsion électrique, ionique, où l’on accélère des particules chargées dans un champ électrique. Les vitesses d’éjection sont dix ou vingt fois plus importantes qu’avec les propergols chimiques, poudres ou liquides. Si on veut bien se souvenir que la fusée emporte non seulement sa charge utile mais aussi toute la masse du carburant non encore utilisée, une consommation instantanée dix ou vingt fois plus faible, parce qu’il y a un effet de cumul exponentiel, conduit à une efficacité mille fois plus grande. Inconvénient, la poussée instantanée est plus faible, elle ne permet pas de décoller d’une planète. Mais dans l’espace interplanétaire, un moteur ionique peut fonctionner sans inconvénient pendant des heures ou des jours au lieu des quelques minutes des moteurs chimiques. Aujourd’hui, les moteurs ioniques ont atteint la maturité technologique. On sait faire.

Un astéroïde, de par sa faible masse, n’a que très peu d’attraction gravitationnelle, et peut, dans l’espace interplanétaire, être abordé directement par des vaisseaux ou des engins à propulsion électrique, d’où une grande facilité d’exploration et d’exploitation. Point numéro deux !

Dans l’espace interplanétaire, les centrales photovoltaïques ou thermiques peuvent regarder le Soleil en face, sans l’alternance des jours et des nuits, sans les aléas de la météorologie terrestre, et il n’y pas de problème à déployer des grandes surfaces dans le vide interplanétaire. A proximité de la Terre, le Soleil envoie 1,5 kW par mètre carré, ce qui fait 1,5 GigaWatt par kilomètre carré. Dans l’espace interplanétaire, le Soleil est une source d’énergie illimitée. Point numéro trois !

Ouvrons les yeux et notre esprit : avec les matériaux des astéroïdes, l’énergie du Soleil, et la propulsion électrique d’une science-fiction devenue réalité, notre avenir spatial n’est pas seulement la Lune ou la planète Mars, c’est la totalité de l’espace solarien, c’est l’espace interplanétaire. Kraké ?

Troisième partie : La Réunion, sur la route de l’Espace solarien

Face à cette perspective grandiose et proche de la construction des planètes artificielles, revenons à Sainte-Rose et à La Réunion et entrons dans l’histoire, notre histoire que nous sommes en train de construire. Nous sommes nés de la poussière d’étoile. Il a fallu trois milliards d’années, depuis LUCA, la première cellule née dans l’océan, avec une membrane protectrice au sein de laquelle une organisation complexe pouvait se développer, pour arriver à tout l’environnement vivant de la biosphère dont nous faisons partie. Mais le temps s’accélère. Il n’a fallu que deux millions d’années pour que se développe le riche écosystème de notre île, et il suffit de quelques dizaines d’années pour que la vie complexe recolonise les coulées de laves récentes. Il peut suffire de quelques années pour laisser, avec notre aide attentive, se construire dans une structure spatiale interplanétaire une nature complexe capable de nous héberger en son sein. C’est une affaire mondiale, mais où l’expérience et le savoir-faire réunionnais peuvent trouver leur place harmonieuse.

C’est une affaire de technologie raffinée, d’agriculture bien comprise, et de comportements d’un savoir vivre ensemble exceptionnel qui a demandé trois siècles et demi de développement au peuple réunionnais après dix mille ans d’émergence contrastée depuis les plaines de l’Indus et du Gange au pied de l’Himalaya jusqu’aux sociétés contemporaines.

La situation de La Réunion est singulière et particulièrement favorable pour que les Réunionnais y compris ceux de Sainte-Rose soient des acteurs professionnels, sociaux, économiques dans un monde du Moon Village proposé par l’Agence Spatiale Européenne et dans l’accès aux ressources de l’espace interplanétaire pour subvenir aux besoins des Terriens. Nous ne devons pas, nous Réunionnais, avoir peur de reconnaître que nous avons les compétences d’être leaders aux côtés de nos amis Luxembourgois et des grands visionnaires de quelques entreprises mondiales.

Aujourd’hui, particulièrement, précisément, les « gilets jaunes » sont les symptômes visibles d’un problème de société qui n’est pas que français dans un monde qui vit une crise de population, d’énergie et de ressources. Soyons avec notre spécificité réunionnaise ceux qui vont contribuer à un monde vivable, pacifique et prospère, sur les traces d’un Letchi Orbital parti de Sainte-Rose… Vous pouvez respirer !

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