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Margot Valatchy, l’aventure du Permis Vacances-Travail à Toronto

Publié le 19 février 2019

A 24 ans elle a décidé de faire une pause avant de se lancer dans le monde du travail. « J’ai choisi de devenir « PVTiste », autrement dit, détentrice d’un Permis Vacances-Travail pour deux ans à l’étranger. Aujourd’hui, dans le cadre de ce « break » au Canada, je travaille pour le Chocolatier Lindt. »

Lire aussi : Margot Valatchy : l’heure du retour à la Réunion (2022)


Pouvez-vous vous présenter ?

Margot Valatchy, 24 ans. Je suis originaire de Saint-Pierre. L’année des mes 7 ans, mes parents se sont lancés dans un projet ambitieux d’agro-tourisme en ouvrant « La Cour Mont Vert », une table et chambres d’hôtes logée plein milieu d’un verger de manguiers. C’est grâce à leur folie passionnée que j’ai eu la chance de grandir dans un cadre assez unique, qui m’a permis dès mon plus jeune âge de faire des rencontres inspirantes avec des clients venant des quatre coins du monde. De quoi nourrir une envie précoce de partir à l’aventure !

Dans quelles conditions avez-vous quitté l’île ?

Ayant nourri cette envie de partir voir ailleurs, de « sot la mer » comme on le dit si bien chez nous, j’ai quitté La Réunion en 2012 à 18 ans, juste après le Bac, pour poursuivre des études supérieures. J’ai d’abord commencé par une Prépa au concours des Instituts d’Etudes Politiques. L’année qui a suivi mon premier départ a été particulièrement éprouvante et il a fallu s’accrocher ! Même si le départ était désiré, rien ne nous prépare au premier « hiver zoreil » : le froid, la perte d’ensoleillement… Sérieusement, dans le Nord, en hiver, il fait jour seulement à 8h30 le matin et il fait nuit à 16h30 le soir. Et généralement, il pleut. Alors il y a de quoi se demander ce qu’on est venu faire là ! Mais heureusement, cette période d’adaptation était aussi ponctuée de découvertes bien sympathiques : l’année de mon installation, l’hiver était inhabituellement rude et on a eu de la neige jusqu’en mars.

Avez-vous quelques anecdotes ?

Le soir de ma première tempête de neige à Lille, je garderai toujours le souvenir d’être descendue en doudoune et pantalon de pyjama à 22h pour « voir la neige ». Avec ma colocataire de l’époque, qui était également réunionnaise, c’était l’émerveillement total ! On ressemblait à deux cosmonautes posant le pied pour la première fois sur la lune… Et six ans plus tard, je me retrouve à Toronto en plein hiver canadien, avec des températures frôlant les -25 degrés et de la neige jusqu’aux genoux. Clairement, on est passé au niveau supérieur !

Racontez-nous vos études.

Cette première année éprouvante mais extrêmement formatrice à Lille s’est soldée par une réorientation. J’ai enchaîné sur une Licence de Sociologie-Histoire et je me suis finalement passionnée pour cette discipline aux multiples facettes qu’est la Sociologie, car elle me permettait de percevoir notre société d’un œil plus vif et aiguisé. J’ai donc complété ma Licence par un Master de Sociologie spécialisé dans les stratégies de développement social, que j’ai obtenu en juin 2018.

Et ensuite ?

Malgré un véritable intérêt pour mon sujet d’étude, après six années sur les bancs de l’Université française, l’envie de repartir à l’aventure a repris le dessus. Avant de me lancer dans un quelconque projet professionnel à long terme, je me suis enfin autorisée le « break » que j’avais repoussé pendant toute la durée de mes études. J’ai choisi de devenir « PVTiste », autrement dit, détentrice d’un Permis Vacances-Travail pour deux ans à l’étranger. Aujourd’hui, dans le cadre de ce « break » au Canada, je travaille pour le Chocolatier Lindt, en tant que « Chocolate Advisor ».


En quoi consiste votre travail ?

C’est le meilleur des métiers pour faire vivre l’enfant qui sommeille en moi, puisque mon travail consiste à transmettre ma passion pour le chocolat, conseiller les clients qui viennent dans notre boutique et préparer toutes sortes de boissons chocolatées ! J’ai aussi la chance de travailler en étroite proximité avec une « Maître Chocolatière ». L’assister dans ses créations est un véritable régal au quotidien…

Quel bilan tirez-vous de vos expériences de mobilité ?

Partir faire mes études en métropole était une évidence dès le moment où j’avais décidé de faire des études longues post-bac. Le départ était donc un choix assumé et j’ai la chance d’avoir des parents qui ont toujours compris mon besoin de m’ouvrir sur le monde en soutenant mes « deux départs ». Car au final, la Réunion je l’ai quitté deux fois. Une première fois en 2012 pour partir faire mes études en Métropole, à Lille, où j’ai passé six années formidables. Et une deuxième fois, plus récemment en septembre 2018, quand j’ai quitté La Réunion après deux mois de vacances pour venir m’installer au Canada, à Toronto dans le cadre de mon Permis Vacances-Travail.

Mon départ pour Toronto a été complètement différent, pour plusieurs raisons : cette fois-ci plus d’études, plus de contraintes et plus d’obligations. J’allais vers une ville, un pays, un continent qui m’avaient toujours fait rêver. Je partais véritablement à l’aventure et il n’y a rien de plus excitant. J’ai aussi ressenti une fierté que je n’avais pas vraiment ressenti en allant m’installer à Lille. La mobilité vers la Métropole m’avait semblé être une étape incontournable, presque obligatoire pour mes études. Cette fois-ci, en m’installant à Toronto, je relevais le défi d’être capable de me débrouiller seule dans une mégalopole canadienne anglophone. Et aujourd’hui, chaque fois que j’aperçois la Tour CN, cette immense aiguille de béton emblématique de la ville, je suis fière d’être arrivée jusqu’ici.

Quel est votre regard sur la région où vous vivez et ses habitants ?

Toronto est une ville extraordinaire. C’est une des mégalopoles les plus cosmopolites au monde. Pour s’en rendre compte, il suffit de savoir que la moitié de sa population est issue de l’immigration ! De multiples communautés coexistent dans le plus grand des respects et la ville est le reflet de cette mosaïque culturelle. Downtown (dans le cœur de la ville), chaque quartier a sa propre âme et sa propre ambiance : « China Town », « Korea town », « Little Italy », « Little Portugal », « Little India »… autant de communautés partageant et faisant vivre leurs traditions. Bien évidemment, la scène culinaire est caractérisée par cette même diversité et, pour les gourmets comme moi qui adorent manger et découvrir de nouvelles saveurs, c’est tout simplement le paradis ! Au sein de cette diversité culturelle, en tant que nouvel arrivant, en tant qu’immigrant, on ne se sent jamais véritablement « étranger », et je trouve ça tout réellement extraordinaire. A Toronto, nous ne sommes tous que des citoyens du monde et de ce fait, cette ville est pour moi l’incarnation du concept de cosmopolitisme.


J’admire aussi le fait que cette ville gigantesque, qui vit à 100km/h, mette un point d’honneur à préserver un côté profondément humain. Respect et inclusion sont à la base de l’art de vivre torontois, et les discriminations de tout ordre (raciales, liées à l’orientation sexuelle, à l’âge ou au handicap…) sont intolérables. A beaucoup d’égards, la France a plusieurs trains de retard par rapport au Canada vis-à-vis de l’inclusion et au traitement égalitaire de l’ensemble de ses citoyens !

Quelle est l’image de la Réunion là où vous vivez ?

Alors là, la réponse est très simple : les Torontois ne connaissent absolument pas La Réunion. Au mieux, ils font référence à un Coffee shop qui porte le nom de « Reunion Island » à l’ouest de la ville ! (il me semble que vous avez d’ailleurs proposé un article sur ce café récemment sur votre site internet…). Donc, chaque fois, c’est le même processus : je dois expliquer que je suis française, originaire d’une île française située dans l’océan Indien. Et lorsque le concept de territoire français d’outre-mer est trop difficile à saisir pour certains, le plus simple est de comparer rapidement notre situation à celle d’Hawaii, qui est un « morceau » d’Etats-Unis dans l’océan pacifique. Généralement, ce rapide parallèle a le pouvoir de clarifier le statut de la Réunion dans l’esprit des Torontois que je rencontre.

Quels sont vos projets ?

Voilà maintenant six mois que je suis arrivée à Toronto, et chaque jour, mes projets ne cessent d’évoluer ! Je ne sais pas encore si je déciderai de rentrer à La Réunion à l’issue du mon PVT. Si, le moment venu, je ne me sens pas prête à repartir tout de suite, je ferai certainement ma demande de résidence permanente canadienne… Je n’ai donc pas de véritable projets fixes et définis sur une ligne de temps. En revanche, mon travail chez Lindt a réveillé chez moi l’envie d’ouvrir un jour un concept innovant sur la base d’un coffee shop amélioré. C’est une idée qui me trottait dans la tête depuis un moment déjà, mais que je n’avais pas prise au sérieux durant mes études. Aujourd’hui, mon expérience chez Lindt me nourrit chaque jour de nouvelles idées et de nouvelles compétences pour concrétiser ce rêve un jour. Il parait que chaque rêve est une réalité à conquérir. Mon parcours de mobilité en est bien la preuve : tout est possible !

Qu’est-ce qui pourrait vous convaincre de revenir habiter à la Réunion ?

Si je rentre à la Réunion, ce sera pour me rapprocher des miens et à une seule condition : avoir un projet professionnel bien défini en tête. Parce que rentrer à la Réunion sans ouverture professionnelle me semble être une faute tactique, même pour une diplômée de Master. Dans mon domaine, les opportunités professionnelles sont rares et souvent attribuées grâce à un système de « réseautage ». Donc rentrer à la Réunion pour ouvrir mon concept de coffee shop ? Pourquoi pas !

Qu’est-ce qui vous manque de votre île ?

Sans aucune hésitation : LA CUISINE ! Parce que, soyons honnête, vous aurez beau vous lancer dans un tour du monde culinaire (et croyez-moi, le multiculturalisme de Toronto s’y prête à merveille), il n’y a probablement qu’à la Réunion où vous trouverez des p’tites merveilles comme le carri ti-jaque boucané, le rougail morue margoz, le fricassé de brède chouchou, le makatia, les bonbons en tout genre (manioc, banane, cravate, miel, à vous de choisir…), ou, aussi simple soit-il, le pain bouchon gratiné ! Mon Dieu, rien que d’y penser, je salive…

Quels objets de la Réunion avez-vous apporté dans vos valises ?

Lorsque j’ai quitté la Réunion en 2012, il était littéralement IMPENSABLE pour ma grand-mère de me laisser partir sans un autocuiseur à riz tout neuf ! Je suis donc partie avec ma marmite à riz (qui m’a d’ailleurs été bien utile) et il a fallu redoubler de force de conviction pour lui expliquer pourquoi le « pilon » qu’elle voulait absolument me donner serait « légèrement » trop lourd à emporter ! Ha ha. Cette fois, en partant pour le Canada, ce que j’ai apporté de La Réunion était plus symbolique que matériel. Avant de partir, j’ai craqué pour un sweat l’effet péi « 974 La Réunion », et j’y suis extrêmement attachée.

Que vous a apporté l’expérience de la mobilité ?

La mobilité m’a fait, et continue de me faire, grandir ! On apprend, plus que jamais, à être responsable, à être endurant et à ne jamais céder devant l’adversité. On apprend à s’adapter et à se débrouiller dans n’importe quelle circonstance. En vivant loin de la famille et de sa terre natale, on apprend à être réceptif aux autres et au monde qui nous entoure. On cultive une tolérance que l’on a généralement avant de partir, étant né sur une île caractérisée par son métissage culturel, mais on renforce également une ouverture d’esprit en étant au contact de nouvelles pratiques, de nouvelles traditions… Chaque rencontre, chaque expérience a enrichi ma personnalité, mes savoirs, mes savoir-faire mais aussi et surtout, mon savoir être.

Quels ont été les avantages et les inconvénients du fait de venir de la Réunion dans votre parcours ?

A mon sens, le véritable avantage du fait de venir de La Réunion quand on fait l’expérience d’une mobilité à l’étranger, c’est cette tolérance presque qu’innée que l’on possède en tant que Réunionnais ! Cela crée un état d’esprit propice à la découverte et c’est un atout extraordinaire pour s’intégrer n’importe où ! En revanche, dans le cadre des études en Métropole, venir de La Réunion peut parfois porter préjudice aux yeux de certains étudiants, professeurs, ou même de la machine administrative universitaire, tous plus ignorants les uns que les autres. On nous perçoit comme des étudiants « en dilettante », dotés de diplômes « cocotiers » (sous-entendu valant moins que les diplômes métropolitains car obtenus « plus facilement »). Et bien sûr, en tant que Réunionnais, on a régulièrement droit à la panoplie de clichés et d’idées reçues concernant les départements d’outremer.

Avez-vous quelques exemples ?

J’ai eu le plaisir d’entendre ce genre de choses : « vous êtes des assistés de la France », « vous devez tous aller en cours en tenu de plage là-bas, non ? », « tu connais Carrefour ? c’est un supermarché, vous en avez à La Réunion ? », « heu, vous avez quoi à La Réunion, une Mairie ? une préfecture ? comment ça se passe niveau organisation politique ? » (Sachant que cette dernière question provenait d’un candidat au concours Science Po, vous noterez au passage l’ironie de la situation…). Bref, ce genre d’ignorance fait partie intégrante de l’expérience et il faut apprendre à y faire face. Avec le temps, on se forge un sens de la répartie assez développé… et bien heureusement, tout le monde n’est pas comme ça ! La majorité des gens que j’ai rencontré à Lille était formidable. Je m’y suis d’ailleurs faite des amis aujourd’hui très chers à mon cœur et avec qui je garde un contact permanent malgré la distance.

Quel est votre regard sur la situation socio-économique de la Réunion ?

Ma position d’expatriée ne fait pas de moi la meilleure personne pour proposer un avis objectif sur la situation socio-économique de notre île, ça j’en suis bien consciente. Ceci étant dit, les nouvelles qui me parviennent de mes proches et mes retours annuels en vacances durant les six dernières années ont terni un peu l’image que j’ai de mon île. J’adore mon p’tit bout du monde, La Réunion c’est mon histoire, mes racines, mon cœur. Mais je crains que son potentiel ne soit gâché. Et la crise sociale de ces derniers mois me semble être en partie le résultat de ce gâchis.

Dans mon domaine, celui du développement social, il y aurait tellement de projets importants à réaliser, pour ET avec les habitants ! Mais d’expérience, dans nos collectivités territoriales, j’ai vu des moyens gâchés à payer des personnes incompétentes, pistonnées pour obtenir un poste. Lorsque des jeunes qualifiés et motivés se confrontent à ce genre de fonctionnement, il y a de quoi être frustré et baisser les bras. La Réunion a un potentiel immense, mais il faut d’abord assainir une situation qui me semble s’être bien embourbée. J’ai aussi le sentiment que certains états d’esprits superstitieux, religieux à l’extrême et finalement intolérants, ont bloqué l’évolution de l’île et renfermé une partie de notre population dans des préjugés et des jugements de valeur typiques du manque d’ouverture d’esprit. Je trouve par exemple bien triste qu’une île modèle pour son métissage culturel puisse encore discriminer, rejeter voire, dans certains cas, violenter les personnes homosexuelles ! Je rêve du jour où ce vivre-ensemble qui nous rend si fière, s’appliquera véritablement à l’ensemble des aspects de nos vies !


J’ai essayé plusieurs choses pour nouer des liens avec d’éventuels compatriotes réunionnais expat’ à Toronto. Serait-il possible que je sois la seule créole à Toronto ?


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