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Le jour où… J’ai dormi chez un chauffeur de taxi en Inde

Publié le 20 octobre 2010

Suite du périple de Nirina et Rodolphe, deux marmailles la kour revendiqués, qui font le tour du monde depuis quatre ans, pratiquement sans budget, mais avec de la suite dans les idées. Carnet de voyage 8 : Le jour où… Je suis arrivé à New Delhi à 2 heures du matin et qu’un chauffeur de taxi m’a proposé de venir dormir chez lui !

copyright : Rodolphe Sinimalé
Taxi à Dehli

Journal des aventuriers – juillet 2009 :

« La banquette arrière ferme, toute de simili cuir revêtue, est pourtant douce et accueillante. Un fort parfum d’encens mêlé de camphre s’élève d’on-ne- sait où tandis que, suspendu au rétroviseur intérieur par de longues guirlandes fleuries, une panoplie de Dieux protecteurs se balancent au grés des virages et veillent, le regard courroucé, sur le chauffeur fatigué. Le poste de radio capte avec grand peine quelques notes enjouées de tubes bollywoodiens et je crois reconnaître, l’espace d’un court instant, un sample de Thriller, le tube planétaire et effrayant de Michael. J’apprécie tout particulièrement les envolées de la Sitar, ce luth à manche long, classique dans l’hindoustani nord indien. Insuffisant cependant pour couvrir le boucan mazoute du moteur Tata : économe, fiable et facile à entretenir, la marque fait aujourd’hui le bonheur des centaines de taxis qui circulent ici, à New Delhi.

Deux heures. Cela fait bien deux heures que nous tournons, inlassablement, dans la cité endormie. L’air y est presque frais et les rues tout à fait poussiéreuses. A cette heure tardive de la nuit, peu de circulation mais un nombre incroyable de mendiants. Une véritable armée de laissés pour compte qui hante chaque carrefour, chaque tunnel, chaque parcelle de mon cœur et de mon esprit. L’obscurité les protège et me tourmente. Au feu, un petit garçon frêle et aveugle s’arrête juste à la hauteur de ma vitre, véritable automate somnambule des grands chemins. Immobile et rigide, c’est comme s’il sentait ma présence. Il semble même me fixer, intensément. J’ai appris, au cours de ces dernières années - et avec beaucoup de difficultés - que je ne pouvais aider tout le monde. Et je sais aussi que les lois du karma, si difficiles à accepter, sont cependant inéluctables : nous expérimentons tous le fruit de nos propres actions.

Maigre argumentation.

J’ai comme l’envie irrépressible de briser ce petit morceau de verre qui me sépare de mon frère indien. L’Inde, un pays si lointain et si proche à la fois. Un rêve pour certain... Un cauchemar pour tant d’autres.
L’Inde, c’est pour moi le pays de tous les extrêmes : sâdhus nus et chercheurs illuminés – vous savez, ces êtres qui abandonnent toutes possessions matérielles pour se consacrer entièrement au cheminement spirituel - bataillons d’impeccables costumes trois pièces dans la région du Bangalore, la silicone valley indienne, princes et princesses – maharadjahs ! - peuplant d’improbables et somptueux palais sculptés par les rêves célestes les plus fous… Et toujours cette horde d’Intouchables, (sur)vivant dans un dénuement si extrême que même les miracles hésitent à se réaliser.

Tata Ambassador - New Dehli

Le feu passe brusquement au vert mais le taxi démarre tout doucement, abandonnant une nouvelle fois l’âme et l’enfant. Bougeant sa tête de gauche à droite - puis de droite à gauche - le chauffeur de taxi m’annonce qu’il faut abandonner notre expédition : l’adresse que je recherche s’est définitivement envolée dans les nuages de poussière des pneus de la Tata et a du se coincer quelque part entre les paradoxes du pays indien.

Il est deux heures du matin, je suis épuisé et, ce soir plus que jamais, no plan is my plan. Sandji – puisque c’est son nom – me propose alors… de venir chez lui ! Bon, alors là, autant être franc : j’hésite.

C’est vrai, j’aime rencontrer les gens et construire avec eux les souvenirs qui nourriront, je l’espère secrètement, d’attentifs petits enfants. Mais là, je ne sais pas. New Delhi est l’une de ces grandes métropoles mondiales, lieux propices aux frustrations les plus diverses et variées et je me vois déjà, au mieux, finir sans passeport et sans le sou dans quelque périphérie reculée, vagabond nouveau quémandant un éventuel retour à La Réunion à des passants trop pressés (… ou pensifs et enfermés, protégés par le cocon d’un taxi vitré).
Mais je ne connais que trop bien ces allées, étroites et sombres, de mon esprit tourmenté. Celles là même qu’arpentent, tous les jours, les journaux télévisés (« Tous vos voisins sont surement des tueurs en séries »).

Comme Saint Exupery, je décide finalement d’écouter mon cœur. Et mon cœur s’exclame : « Ai confiance ! Vas-y ! ».

Nous roulons alors plein sud, passons de belles et admirables demeures qu’un lisse ruban goudronné vient à peine déranger. Puis la route se fait plus rugueuse pour devenir piste de terre puis de boue. Se dresse alors de part et d’autre du taxi, une forêt de feuilles de tôles, et je devine au loin un terrain vague remplis de carcasses.

« Out canard lé cuit ! » semble me dire, d’un ton moqueur, un esprit vengeur, en proie aux flammes de l’incertitude et de la peur. La voiture s’arrête au pied de ce qui ressemble à une tour de béton, obélisque de paix au milieu des squelettes d’acier menaçants.
Je ne sais pour quelle raison, je repense au sketch de Thierry Jardinot « Momon mo, papa mo, tout mon famille mo ! » et monte, d’un pas hésitant, à la rencontre de mon futur incertain, situé deux étages plus haut. Sandji me précède d’un pas hésitant et ouvre une de ces portes qui ressemblent à s’y méprendre à une entrée de cagibi. Une petite et unique pièce nous attend et, dans un recoin, une ombre.

New Dehli la nuit

Un homme se dresse soudainement, dans un sursaut presque convulsif, sur le vieux lit grinçant. Une fraction de seconde plus tard – lorsque l’éveil et la raison reprennent leurs droits - son visage m’apparaît : un superbe sourire plein de bonté se dessine, déchirant la nuit. C’est le frère de Sandji ! Les deux échangent quelques mots dans un dialecte incertain et je me retrouve, en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, avec une tasse de thé brulante dans une main et quelques douceurs sucrées dans l’autre – un cousin lointain du bonbon miel réunionnais.

Je finis par sourire aussi, finalement.

Après une brève et introductive conversation – j’apprends que les deux frères vivent ici ensemble depuis quelques années et ont monté un petit business dans le secteur porteur du tourisme – je me vois proposer de dormir sur le lit tandis que Sandji apprête un matelas de fortune avec draps et couvertures, à même le sol, pour eux. Je refuse évidemment ce traitement de faveur mais rien n’y fait : je suis l’invité !

Presque bordé par mon chauffeur de taxi, je retrouve l’odeur mystique du camphre et de l’encens, et m’endors doucement, le cœur et la raison réunis… ».

A suivre…

Lire aussi :
Aventuriers réunionnais de la mobilité : ils font le tour du monde…
- Episode 1 : Le jour où... Nous avons traversé le Japon sans un rond
Episode 2 : Le jour où… Nous avons fêté l’Independance Day à Chicago
- Episode 3 : Le jour où… J’ai fait une retraite dans un monastère bouddhiste thaïlandais
- Episode 4 : Le jour où… Nirina a fêté son anniversaire au Mont Cook en Nouvelle Zélande
- Episode 5 : Le jour où… Nous avons conduit un scooter à Saigon
- Episode 6 : Le jour où… Nous avons appris à faire des pizzas en Italie
- Episode 7 : Le jour où… Nous avons partagé des gâteaux dans la rue à Barcelone
- Episode 9 : Le jour où… Nous avons rencontré un couple de Réunionnais en Australie
- Episode 10 : Le jour où… Nous nous sommes faits arrêter par une fausse milice à Madagascar
- Episode 11 : Le jour où… Nous nous sommes faits arrêter par une fausse milice à Madagascar 2/2
- Episode 12 : Le jour où… J’ai rencontré ma famille mondiale (1ère partie)
- Episode 13 : Le jour où… J’ai rencontré ma famille mondiale (2e partie)
- Episode 14 : Le jour où… Nirina partagea un moment lyrique
- Episode 15 : Le jour où... j’ai rencontré le maître de méditation américain Alan Wallace
- Episode 16 : Le jour où… J’ai visité le PIA Mind Centre en Thaïlande
- Episode 17 : Le jour où... j’ai rencontré Matthieu Ricard, moine bouddhiste et écrivain
- Episode 18 : Rodolphe et Nirina : plaidoyer pour le sourire
- Episode 19 : Le jour où... J’ai fait goûter le gâteau patate partout dans le monde
- Episode 20 : Le jour où… J’ai pris le temps de vivre à Madagascar
Aventuriers réunionnais de la mobilité : l’heure du retour
Les secrets du voyageur : sourires, réseaux et partage
Rodolphe et Nirina, l’interview

Joindre Rodolphe et Nirina : [email protected]


Rodolphe Sinimale is a traveler, meditation teacher and writer.
In 2006, he left his position and sold out every little thing to focus entirely on the spiritual path. His search has led him all over the world - from Madagascar to Vietnam, from New-Zealand to Japan, from USA to Thailand – in order to learn, to give and to share.

Rodolphe Sinimale holds a M.B.A in Human Resources Management, from the Paris Graduate School of Management, France.

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