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Le jour où… Nous nous sommes faits arrêter par une fausse milice à Madagascar (2e partie)

Publié le 17 novembre 2010

Aventuriers réunionnais de la mobilité, Nirina et Rodolphe font le tour du monde depuis quatre ans sans réel budget. Ils nous racontent leur voyage dans une série d’articles. Episode 11 : Le jour où… Nous nous sommes fait arrêter par une fausse milice (vraiment armée) à Madagascar, deuxième et dernière partie.

Copyright : Rodolphe Sinimalé

Journal des aventuriers – Septembre 2006 (suite de Le jour où… Nous nous sommes faits arrêter par une fausse milice à Madagascar) :

« Je pense à la mort. Je repense à la vie. Je pense à cette vie, si précieuse et si fragile – « Just like a candle in the wind – Comme la flamme d’une bougie dans le vent », m’a souvent répété mon Maitre de méditation. J’ai 27 automnes, hivers, printemps et étés, autant de saisons envolées à jamais, passées à la vitesse de l’éclair. N’avez-vous jamais eu la sensation d’être littéralement aspiré par le temps, oublié de tous et de vous-même ? N’avez-vous jamais éprouvé ce sentiment d’avoir eu 18 ans hier seulement ?

Un puissant et interminable frisson nait au creux de mes omoplates puis vient mourir tout en haut de ma nuque, ma tête étant trop remplie d’interrogations pour laisser passer le processus de thermorégulation : « Est-ce que je vis mes rêves ou est-ce que je rêve ma vie ? Ai-je dis à mes proches – mon père, mon frère, Nirina, ma famille... que je les aime tendrement ? Ai-je demandé pardon à ceux que j’ai pu blesser ? Ai-je vraiment appris à donner et à partager, durant ce minuscule intervalle entre la naissance et la mort qu’on appelle la Vie ? »
Ce soir, la tempête du destin souffle fort sur le feu de notre existence. Les questions se suivent et se bousculent, l’une après l’autre, aux portes de mon cœur affolé par la peur. La peur, cet ennemi juré qui nous plonge dans une inertie implacable lorsque nous devons faire des choix. La peur, cette précieuse alliée qui, lorsqu’elle est comprise et dépassée, nous permet de nous découvrir et de grandir. De vivre, aussi. De vivre, enfin.

C’était il y a peu de temps, quelques mois à peine. Nirina et moi avions décidé de partir, de tout vendre, de tout quitter. J’avais depuis plusieurs mois une impression sourde mais certaine de m’éteindre et de disparaître, comme englouti par ce monde que je ne comprenais pas. Ni les florissants projets professionnels - pourtant remplis de promesses - ni l’accroissement de mon « pouvoir d’achat » - quelle maigre consolation ! - ne parvenaient à arrêter l’enlisement. J’étais devenu un spectateur impuissant et triste, regardant se dérouler rapidement et s’achever surement le film de sa vie.

Qu’on ne s’y trompe pas, cependant. Il y avait bien, dans cette puissante torpeur, un certain sens du confort et de l’oubli qui, de temps à autre, donnait l’illusion du bonheur : l’acquisition d’un nouveau bureau en bois de palissandre pour écrire d’hypothétiques courriers à d’improbables amis, de belles et grandes plantes vertes pour redécouvrir les joies d’une vie proche de la terre, de nouvelles chaussures et des chemises plus à la mode… Des trucs, des choses. Du bonheur en bois, saisonnier, en solde, en vrac, en masse ! Un bonheur fragile et éphémère.

Un bonheur impermanent, surtout. Ainsi avais-je commencé à fantasmer sur « Madagasikara », l’ile à la terre rouge et aux gens simples. Nirina y avait vu le jour - une naissance bénie par les étoiles tant l’enfant était belle - et y avait grandi sereinement, protégée par les miraculeuses légendes et les mystérieux contes des Betsilaos.

Copyright : Rodolphe Sinimalé

J’imaginais d’immenses baobabs marrons, immortels et majestueux, avec leurs fleurs vives et éparses bourgeonnant à peine, autour desquels s’amusaient quelques lémuriens endémiques – certains blancs, d’autres noirs, toujours soyeux - et contents surtout, leur queue s’agitant en l’air dans un mouvement inconsistant et léger, au rythme du Salegy endiablé. Plus loin, une sauvage mangrove verte et luxuriante abritait pour quelques instants magiques une famille d’albatros à bec jaune. Un terre pleine de promesses et de couleurs, un refuge pour réinventer ma vie, 800 km plus à l’est.

Mais ce soir, les astres colorés ont disparu dans le firmament de nos vies, et de froids et sombres fusils guettent. Nous sommes face à ces hommes-enfants, soldats à la recherche d’un bonheur disparu juste au fond de leur cœur. Moi aussi, je suis en quête, et j’ai embarqué celle que j’aime dans cette douloureuse aventure.

« Une petite seconde, c’est tout ce qu’il faut pour que tout notre univers change à jamais. Mais il faut vivre notre vie ! Nous devons en être les auteurs ! », j’offre, un peu brusque mais sincère, à Nirina, comme pour me faire pardonner.

Je saisis le téléphone portable, ouvre la porte d’un mouvement ferme et décidé qui me surprend moi-même, et fais mine d’appeler l’ambassade de France (« Allo ? Oui, bonsoir Madame, nous sommes deux français et avons un problème de contrôle d’identité, ici à Tana »). Un seul problème cependant : personne n’est à l’autre bout de la ligne !
Nirina quant à elle, en profite pour ramener à la vie notre chauffeur de taxi silencieux. J’aperçois alors un sourd et curieux manège : une discussion discrète, des billets, puis le va-et-vient des hommes armés.

Le vent s’est tu lui aussi, retenant son souffle tiède. Je me rapproche et demande, inquiet :
- « Qu’est-ce qui se passe ? »
- « Il faut leur donner de l’argent », répondent quasi en cœur Nirina et le chauffeur, donnant un effet stéréophonique à leurs paroles.
- « Mais nous n’avons pas beaucoup d’argent sur nous, seulement quelques … ! »
- « On n’a pas le choix… », me coupe Nirina, décidée.

Deux des trois soldats reviennent presqu’immédiatement pour récupérer leur dû. Nirina leur tend, effrayée, nos quelques billets. L’un d’eux les saisit, les compte rapidement et s’exclame, menaçant :
- « C’est tout ? ». Il reste un moment, nous fixe durement.
- « Qu’est-ce qu’on va faire ?, s’inquiète Nirina. C’est tout ce qu’on a ! »

Puis, après d’interminables secondes, comme lassé par ce jeu, ils finissent par s’en aller. Le taxi redémarre aussitôt, le son du vieux moteur diesel rugueux et les fumées d’échappement qui s’invitent dans l’habitacle marquent la fin du cauchemar. A peine 500 mètres plus loin, nous sommes déjà arrivés, épuisés et tremblotant. Souriant aussi : nous sommes en vie !

Nous retrouvons l’immense appartement jadis vide et froid, qui nous apparaît soudainement lumineux et si sur : le plus beau refuge que la terre ai jamais offert. Je réalise alors que les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être, mais que nous les voyons telles que nous sommes. »

A suivre...

Lire aussi :
Aventuriers réunionnais de la mobilité : ils font le tour du monde…
- Episode 1 : Le jour où... Nous avons traversé le Japon sans un rond
Episode 2 : Le jour où… Nous avons fêté l’Independance Day à Chicago
- Episode 3 : Le jour où… J’ai fait une retraite dans un monastère bouddhiste thaïlandais
- Episode 4 : Le jour où… Nirina a fêté son anniversaire au Mont Cook en Nouvelle Zélande
- Episode 5 : Le jour où… Nous avons conduit un scooter à Saigon
- Episode 6 : Le jour où… Nous avons appris à faire des pizzas en Italie
- Episode 7 : Le jour où… Nous avons partagé des gâteaux dans la rue à Barcelone
- Episode 8 : Le jour où… J’ai dormi chez un chauffeur de taxi en Inde
- Episode 9 : Le jour où… Nous avons rencontré un couple de Réunionnais en Australie
- Episode 10 : Le jour où… Nous nous sommes faits arrêter par une fausse milice à Madagascar
- Episode 12 : Le jour où… J’ai rencontré ma famille mondiale (1ère partie)
- Episode 13 : Le jour où… J’ai rencontré ma famille mondiale (2e partie)
- Episode 14 : Le jour où… Nirina partagea un moment lyrique
- Episode 15 : Le jour où... j’ai rencontré le maître de méditation américain Alan Wallace
- Episode 16 : Le jour où… J’ai visité le PIA Mind Centre en Thaïlande
- Episode 17 : Le jour où... j’ai rencontré Matthieu Ricard, moine bouddhiste et écrivain
- Episode 18 : Rodolphe et Nirina : plaidoyer pour le sourire
- Episode 19 : Le jour où... J’ai fait goûter le gâteau patate partout dans le monde
- Episode 20 : Le jour où… J’ai pris le temps de vivre à Madagascar
Aventuriers réunionnais de la mobilité : l’heure du retour
Les secrets du voyageur : sourires, réseaux et partage
Rodolphe et Nirina, l’interview

Joindre Rodolphe et Nirina : [email protected]


Rodolphe Sinimalé

Rodolphe Sinimale is a traveler, meditation teacher and writer.
In 2006, he left his position and sold out every little thing to focus entirely on the spiritual path. His search has led him all over the world - from Madagascar to Vietnam, from New-Zealand to Japan, from USA to Thailand – in order to learn, to give and to share.

Rodolphe Sinimale holds a M.B.A in Human Resources Management, from the Paris Graduate School of Management, France.

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