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Description romanesque futuriste de Tananarive (Madagascar)

Publié le 27 novembre 2010

L’auteur Tamim Karimbhay nous offre une description pleine de surprises de la ville de Tananarive, capitale de Madagascar. "Nous avons atterri à l’aéroport d’Ivato, aéroport de Tananarive. Pour la petite anecdote, en apercevant, du haut d’une colline boisée, le village de Tananarive, le roi Andrianjaka se serait écrié : « Ho arrivo an-tanana », c’est-à-dire : « Qu’il y ait 1 000 hommes dans ce village ! » En souvenir de cette parole, on baptisa la ville Tananarive et elle devint la capitale du royaume. Tananarive veut dire « la ville des mille »..."

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Extrait de "Année 2043 : Autopsie D’une Mémoire" - Livre de poche (11x17cm) / 450 Pages. / N° ISBN : 978-2-9533865-0-9 / Dépôt légal : Bibliothèque Nationale de France.
"CARNET DE VOYAGE et RÉCITS DE VIE"

Nous avons atterri à l’aéroport d’Ivato, aéroport de Tananarive. Pour la petite anecdote, en apercevant, du haut d’une colline boisée, le village de Tananarive, le roi Andrianjaka se serait écrié : « Ho arrivo an-tanana », c’est-à-dire : « Qu’il y ait 1 000 hommes dans ce village ! » En souvenir de cette parole, on baptisa la ville Tananarive et elle devint la capitale du royaume. Tananarive veut dire « la ville des mille ». C’est vrai qu’Andrianampoinimerina qui avait régné de 1787 à 1810 avait choisi Ambohimanga comme capitale. D’ailleurs, c’est là qu’il y a les ruines des Palais royaux an-ciens, construits en palissandre noir. Je les avais visités en octobre 1993. C’est son fils Radama 1er qui la réinstallera définitivement à Tananarive. Le roi de Madagascar avait droit à 12 femmes ! On peut voir aussi, par exemple, dans ces palais, un vase offert par Napoléon III et une glace de Venise, présent d’usage de la reine d’Angleterre et Impératrice des Indes, Victoria !

Roi d’un tout petit royaume de l’Imerina divisé, Nampoina (abréviation de Andrianampoinimerina qui signifie : le seigneur désiré par l’Imerina) s’appuyait sur trois fortes tribus hovas qui construisirent partout des villages fortifiés, achetèrent des fusils européens et partirent en guerre contre les royaumes voisins. C’est en 1796 que Nampoina réussit à s’installer à Tananarive.

Nous avons pris un taxi, qui nous a emmenés à l’hôtel Relais des Normands, en plein centre ville de Tananarive dans un quartier d’affaires qui s’appelle Tsaralalana, et qui en réalité était inondé de bidonvilles. Le chemin qui nous menait à notre hôtel était occupé au moindre mètre-carré par des gens tentant de taire leur faim en fouillant les détritus qui traînaient ici et là. Ma famille et moi eûmes le souffle coupé par ce « spectacle » de misère et de souffrance qui défilait sous nos yeux, au fur et à mesure que le taxi avançait. La couleur de la terre reflète cette sueur et cette chaleur que dégage la population de cette ville, capitale de Madagascar. Tananarive, ou Antananarivo la capitale malgache, ville-type des pays sous-développés où la grande misère côtoie l’infime richesse.

En passant, j’ai toujours pensé que dans une société donnée, la misère instruit et rend sage, alors que l’abondance non contrôlée rend idiot. C’est une ville mégapole tentaculaire qui offre à ses 8 ou 9 millions d’habitants une vie difficile au sein d’une Afrique asiatique ou une Asie africanisée. La ville, qui s’est modelée au fil du temps, sans véritable plan, au gré des flux migratoires et des exodes ruraux, maintient une démographie galopante, et est devenue avec le temps, le carrefour de tous les déplacements routiers sur la grande île. La pollution, les faux et vrais estropiés, les vrais et faux mendiants, les vrais et faux hommes d’affaires, les vrais et faux orphelins, les vraies ou les fausses mendiantes - tenant parfois dans leurs bras des enfants qui inspirent la pitié - la misère, le travail des enfants ou l’exploitation humaine sous toutes ses formes, sont réunis dans le brouhaha des klaxons des voitures, des charrettes de zébus et des piétons pressés. Dans le flot des gens pieds nus et pauvres, on rencontre quelques hommes d’affaires, richissimes Indiens karanas ou Malgaches en costumes cravates avec un attaché-case. C’est le règne de la débrouillardise et de l’instinct de survie. Le temps s’est arrêté à Tana car les vieilles Citroën deux chevaux côtoient comme des âmes errantes qui se promènent sur les routes pavées, les quelques fantômes des 4L Renault. Les nombreux 4X4 vieux ou récents appartenant à des riches notables, affichent par leurs ombres en plein soleil, la richesse des uns en contrastant ouverte-ment avec la misère matérielle du plus grand nombre, d’un côté les pauvres qui ont beaucoup de courage et ne se plaignent pas, et, de l’autre côté, les riches qui ont tout le confort et qui ne sont toujours pas satisfaits.

Ma femme et mes enfants avaient souvent vu ce genre de misère dans les reportages télévisés, toutefois, ils me confessèrent combien ils eurent le cœur déchiré en étant aussi proches de cette réalité difficile et quotidienne pour les Malgaches. Peu de distance sépare nos deux îles, et pourtant un tel fossé ou gouffre, oppose nos deux mondes. Kareena et Vijay connurent d’emblée le choc des cultures tel un clocher résonnant dans leurs têtes et leurs âmes. Un peu abasourdis par l’extrême misère, ils ne dirent mot tout le long du trajet.

Ce qui m’a touché le plus c’est que malgré la pauvreté flagrante dont seul le système D permet de donner l’illusion d’en ressortir, les gens gardent toujours le sourire et la générosité. Cet accueil entre l’Asie et l’Afrique me touche beaucoup. Les gens expriment leur reconnaissance envers ceux qui leur donnent la moindre chose. Ils achètent aussi des produits de première nécessité, au prix d’un effort journalier incessant. Petit à petit, mes souvenirs remontèrent à la surface, et je me souvins du passage d’un cyclone sur Madagascar – cette île merveilleuse souvent blessée par les colères de la Nature. Les intempéries aggravent la survie quotidienne de ce peuple, presqu’à chaque avertissement cyclonique.

C’est un pays cosmopolite de 19 tribus, peuplades héritières de clans différents, dans lesquelles le voyageur a l’impression de croiser des regards asiatiques et africains. Les deux continents mêlés donnent aux sourires des personnes que l’on croise une dimension magnifiquement humaine, teintée de beautés, de paysages splendides et de générosité. Madagascar ! Je suis envoûté par mon pays d’adoption et ma langue se délie de plus en plus s’apparentant à une rivière fière de retrouver son lit.

« -Papa, tu es dans ton élément ici ! Kareena et moi apprenons beaucoup de choses sur Madagascar. Veux-tu être notre guide officiel ?

- Bien sûr, j’accepte ce rôle de guide avec bonheur. Je vois combien vous faites confiance à la mémoire de votre vieux père, merci les enfants. Ah oui, excusez-moi si parfois je radote un peu. L’amour que j’ai pour ce pays est si grand, je lui dois ce que je suis. Je le remercierai toujours, toutes les fois que mon cœur me le dira. »

Ce pays magnifique et paradoxal, complexe, rempli de contrastes de différentes natures - dont les mentalités restent inaccessibles - où l’espérance asiatique marquée par l’accueil et le sourire des gens, se confond d’une manière flagrante à la beauté des peurs africaines, et donne aux voyageurs l’impression d’être chez eux ! Madagascar, ce pays que j’aime tant et qui malgré les efforts permanents de sa population, sombre dans la misère. Madagascar, ce pays où la population laborieuse fait tout pour que la flamme de l’Espoir, et la volonté du Cœur ne faiblissent jamais et ne s’éteignent jamais. L’instinct de survie et la débrouillardise nous font réfléchir. Les yeux de ma petite famille ne se détachèrent plus de la vitre rayée du taxi, ébahis par tant de leçons de vie et de sagesse qui fleurissaient chez les Malgaches à tous les coins de rues. Ces leçons quotidiennes de courage accompagnées de sourires qui illuminent les visages fatigués et usés par la dureté de la vie, lais-sent à penser à l’occidental que je suis quelque part devenu, que la fatalité n’existe pas et que seuls la volonté et le courage sauvent l’Humain, et ne laissent aucune place à la plainte -terme inexistant dans leur vocabulaire. Tananarive - avec ses rizières, ses maisons en briques rouges et sa population descendant des Indonésiens et des Malaisiens - est un miroir type des contrastes qu’offrent à voir aux Occidentaux, les mégapoles mondiales types, comme Lagos au Nigeria, Bombay en Inde ou encore Rio de Janeiro au Brésil voire bien d’autres encore. Les gens travaillent ardemment, même la nuit. Le système D bat son plein ! Tout le monde est polyvalent.

Il y a autre chose de l’âme tananarivienne que j’aimerais bien évoquer ici, c’est la francophonie, la francophilie, le fort Amour des Tananariviens pour la France et pour la langue française, qui reste une langue de prestige dans les hôtels, et les restaurants. Lors de notre découverte de la ville, j’ai croisé dans la foule à Tananarive, des Malgaches, qui étaient fiers de me parler en français. Mes enfants étaient agréablement surpris d’entendre la langue française dans ce pays le plus pauvre au monde. Derrière cette francophonie, se cache une nostalgie forte de l’histoire de France, visible-ment partagée par des vendeurs d’anciens livres que l’on peut rencontrer au marché du quartier d’Analakely et dans les jardins d’Ambohijatovo. C’est à Tananarive, qu’on peut voir également se dresser solitairement, les vestiges des bâtiments de l’Université française d’Ankatso tel un navire échoué et renver-sé par les vagues des mouvements de décolonisation, et à bord duquel continuent à résister quelques matelots francophiles. Cette université était dans les années 1930 à 1960, le centre intellectuel des pays de l’océan Indien. Je restais là, les yeux fixés sur ces décombres dont les murs devenus squelettes, usés par le temps, gardaient précieusement l’histoire coloniale de cette grande île. La présence de cette université est le témoin encore visible de l’empreinte bien ancrée du savoir français qui a connu son apogée à un moment donné de l’histoire coloniale, en formant des grands intellectuels malgaches. Il ne faut pas oublier, sans faire de l’histoire spéculative, que le grand rêve français sur Madagascar s’éteint avec l’Indépendance de cette colonie. Et il est vrai que c’est grâce à la demande de l’indépendance de Madagascar que la petite colonie de La Réunion, (pourtant Département français depuis 1946), connut un développement réel qu’à partir des années 1970-80, car à en croire les anciens créoles réunionnais, il y avait la misère de 1946 à 1970 à La Réunion.

Je ne peux m’empêcher de parler pour interrompre le cours de l’histoire, et surtout apporter un éclairage sur ce que Madagascar représentait pour la France. Cette dernière s’intéressait évidemment jusqu’au bout à Madagascar. Une longue histoire idéologique, coloniale et par la suite même amicale unit ces deux pays, l’un moteur européen très actif et l’autre une perle magnifique dans l’océan Indien. C’est à la suite des mouvements de dé-colonisation de Madagascar, commencés, plus ou moins, depuis 1947, et concrétisés en 1960, que la France commencera à réorienter toute sa vision poli-tique, idéologique mais aussi géostratégique, sociale et économique de l’océan Indien vers l’île de La Réunion. Cependant, la France et Madagascar, c’est un long roman d’amitié. Ce sont deux destinées inséparables l’une de l’autre. La France aime Madagascar et Madagascar aime la France !

Cette petite escale à Tananarive nous a tellement enchantés, mais aussi émus, que cette ville est de-venue un peu, surtout pour les membres de ma famille, presque intime. En plus avec moi, ils ont eu droit, à des récits qui ne leur déplaisent pas du tout, à une petite histoire de la ville.

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